Headlines

Un monde immondeJe reprends la plume …

Un monde immonde / Je reprends la plume …
L’épisode de la pandémie, en paralysant les choses du monde, aurait pu et dû freiner la dégringolade. On nous l’a fait croire. Photo: archives AFP

Jetzt weiterlesen! !

Für 0.99 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Je reprends la plume, ici, tous les quinze jours, après l’avoir fait des années durant dans feu l’hebdomadaire „Le Jeudi“ enterré brutalement un 16 juin 2019. Semaine après semaine, plus de vingt ans durant, je m’y indignais de la dérive du monde.

Je la reprends parce que c’est ce qu’un écrivain doit faire en ces temps de dépérissement moral et intellectuel. Je la reprends aussi, parce qu’entre-temps le monde a pris des virages plus immondes encore dans sa chute vers l’irréversible.

Mais je la reprends surtout, parce que les intellectuels, bouche-bée devant l’accumulation des désastres, ne sachant plus en démêler les tenants et les aboutissants, ni lire le jeu pervers des tireurs de ficelles, brillent désormais par leur silence tonitruant dans nos médias. Nous sommes entrés, et c’est peut-être la première fois dans l’histoire moderne, dans l’ère des bras baissés.

Oh nous nous sentons encore ponctuellement capables de petits sursauts, d’élans de solidarité ciblée, face à l’afflux de réfugiés ukrainiens par exemple, abasourdis que nous sommes par la guerre d’agression brutale qui se livre non loin de nous, dans la banlieue de l’Union européenne. Par les images surtout versées à tout instant dans nos foyers, cette guerre-là, étant plus proche que les autres, ces victimes-là nous ressemblant davantage que les autres. C’est comme si la tragédie du moment effaçait tout le reste. Les médias y sont pour beaucoup. Ils hiérarchisent le malheur. Pour l’instant, l’Ukraine est tout en haut de l’échelle. Le reste a moins de valeur.

Un noyé en Méditerranée n’a donc pas le même poids qu’un civil assassiné à Boutcha. Ce n’est pas la même chose, dira-t-on. Oui, ce n’est pas la même chose: en Ukraine le crime est commis par des soldats russes surtout, alors que les naufragés de la Méditerranée sont notre crime. Un crime d’Etat, un crime évitable s’il n’y avait pas les nauséabondes politiques d’immigration faisant qu’un Africain, un Afghan, un Syrien et tant d’autres, n’ont pas droit à la même solidarité qu’un réfugié ukrainien. Criminalisée cette solidarité-là qui tend la main aux naufragés. Légalisée la non-assistance à personne en danger. Cela inverse toutes les valeurs auxquelles on fait semblant de croire encore.

L’épisode de la pandémie, en paralysant les choses du monde, aurait pu et dû freiner la dégringolade. On nous l’a fait croire. On nous a dit: nous avons compris la leçon, il faut plus de solidarité désormais. On nous a dit: rien ne sera plus comme avant. On nous a dit: le monde va changer. Bref on nous a fait croire que le mal conduirait vers le bien. Après la grosse tempête, l’embellie durable, quoi.

Il y en a qui ont osé espérer. Les réseaux sociaux en étaient les témoins. Soudain la mort et la peur entraient dans nos chaumières à nous que l’on pensait parées contre l’infortune. Les sirènes des ambulances hurlaient nuit et jour, les corbillards faisaient sans cesse la navette entre les hôpitaux et les cimetières. C’était propice à la remise en question. Cela a même nourri çà et là l’idée qu’un autre monde était non seulement possible mais nécessaire, afin que plus jamais ne se reproduise une telle tragédie, ni aucune autre.

La rengaine du „plus jamais ça“ qui chaque fois est ressassée pendant et juste après des moments noirs, n’a, comme il fallait s’y attendre, pas tenu longtemps. La fausse pause imposée à la frénésie du monde par le confinement globalisé a éclaté comme une bulle de savon. Comme une parenthèse qu’on referme, pour reprendre les choses là où on les a laissées.

En pire même. Les différents Etats n’ont-ils pas profité de la pandémie, pour parfaire le contrôle de leurs citoyens, leur grignoter le peu de sphère intime qui leur restait? La peur, c’est connu, est un ingrédient majeur de la soumission. Et la soumission le poison qui nous fait accepter l’inacceptable.