Diane Albasini, Mélissa Merlo et Christine Muller se sont rencontrées en 2021 au Liban, lors d’une pépinière à projets organisée par la Commission internationale du théâtre francophone (CITF). Chacune représentait son pays. Dans l’ordre: Suisse, Canada et Luxembourg. Sont venues ensuite l’envie d’approfondir les liens et l’opportunité sous la forme d’une bourse de recherche de la même CITF pour artistes francophones confirmé.e.s, afin de confronter leurs pratiques artistiques.
Depuis trois semaines, elles sont en résidence à l’abbaye de Neimënster. Elles travaillent sur l’imposture, non pas celle assumée, qui a pu mener plus d’un homme en ces lieux jadis prison. Mais celle qu’on redoute et qui plane comme une menace, au-dessus de la tête des femmes principalement. „Il y a plus de femmes concernées, de par l’héritage, de par les injonctions qu’on peut leur faire, de ce sentiment de ne jamais être à sa place“, explique Diane Albasini. C’est d’ailleurs une ironie que le syndrome de l’imposteur, dont il est question, soit décrit au masculin depuis que deux psychologues américains l’ont identifié en 1978; il est d’autant plus logique de le genrer, sinon de parler de syndrome de l’imposture.
L’Association médicale canadienne définit ce syndrome comme „une tendance psychologique à la peur et à la remise en question“. Le milieu culturel, où l’on est souvent jaugé, est un terrain de prédilection. La plus exposée des trois comparses, manifestement, est Mélissa Merlo. „Je suis complètement obsédée par la performance, l’angoisse de la performance, la réussite, ce qu’est la réussite, qu’est-ce qu’être productif, c’est quoi ne rien faire? J’en suis venue à me poser la question si ce n’était pas lié au fait de se sentir à côté de la plaque“, admet la comédienne. C’est notamment à la sortie du conservatoire qu’elle a ressenti ce doute existentiel. „Les gars étaient beaucoup plus appelés, car il y avait bien plus de rôles pour eux. Ils ont travaillé beaucoup plus vite, et beaucoup plus tôt. Les rôles de femmes étaient extrêmement rares. Il fallait se battre pour en avoir. Depuis, il y a eu une énorme évolution. C’est très bien, mais il y a encore du boulot.“
„Lié au sentiment de honte“
Les trois comédiennes ont d’abord mené, dans leurs pays respectifs, des entretiens avec des femmes des milieux culturels, juridiques et médicaux notamment, pour vérifier s’il existe vraiment et si c’est réellement un syndrome, avec toute la charge pathologique que le terme charrie. „Ce qui nous intéresse, ce sont ses effets, qui soit nous inhibent complètement et nous paralysent, ou alors nous poussent à compenser par un surcroît de travail et avoir l’impression que notre position n’est due qu’au travail ou à la chance“, explique Diane Albasini. Elles ne sont pas sorties rassurées d’entendre que même des femmes qui ont vingt-cinq ans de carrière, des prix, sont encore travaillées par un sentiment d’illégitimité. „Il y a une peur constante d’être démasquée, l’idée qu’à un moment tout le monde va le découvrir. C’est une peur liée au sentiment de honte et de gêne“, ajoute Mélissa Merlo. „Derrière se cache la peur de l’échec. Souvent, quand on pose la question à nos interlocutrices, elles nous répondent: Si j’échoue, c’est fini, je n’existe plus!“, complète Christine Muller.
Le trio associe le syndrome à un système, à un monde du travail qui va très vite, dans lequel il faut travailler efficacement. Il n’est donc pas impossible que cela soit le reliquat d’une répartition des rôles plus ancienne. „On porte des choses que d’autres générations ont portées. Cela laisse des traces inconsciemment“, admet Diane. „Beaucoup de femmes ont l’impression d’échouer, car elles doivent être efficaces dans beaucoup de choses.“ Le syndrome d’imposteur peut ainsi être celui de ne pas être une bonne mère. „Il y a beaucoup d’injonctions contradictoires. Il faut travailler, mais pas trop, il faut avoir des enfants, mais être efficace au travail. Finalement, tu es vouée à échouer constamment et à vivre ce sentiment d’échec“, observe Mélissa Merlo. Ses propos font écho avec l’exposition „we can have it all“ de Nora Koenig et Anne Simon qui s’achève le 26 février dans le cloître de Neimënster. Cela prouve que le thème est d’actualité, mais aussi que l’abbaye de Neimënster est devenu une précieuse caisse de résonance des artistes féminines.
Le prix à payer
„On veut déconstruire ce syndrome et se l’enlever“, explique Diane. „C’est le système qui me l’impose et je dois m’en débarrasser.“ Leur outil est celui du théâtre. L’idée originelle était d’aller chercher des modèles de comédiennes dans le passé. „On se disait que les premières femmes montées sur scène qui ont vu la féminité jouée par des hommes, devaient déjà se sentir imposteures de jouer leur propre sexe“, confie Diane. Mais en trois semaines de résidence, cela a changé. Elles se sont intéressées aux prix, symboles de la validation très concrets. „Le sujet des prix n’enfonce pas des portes ouvertes“, observe Christine Muller. „C’est très difficile d’en parler comme cela. Il y a énormément de choses questionnables.“ Elles se sont penchées sur la littérature, inspirées notamment par la trajectoire de Nelly Arcan, prostituée avant de devenir écrivaine, constamment renvoyée à son passé et sa vie privée plutôt qu’à son œuvre.
„L’idée est de raconter une histoire où on explore ces notions de réussite, d’imposture, d’être une femme artiste et comment se sentir à sa place, mais on veut l’aborder de façon sensible et plus viscérale qu’intellectuelle“, explique Mélissa Merlo. „Nous voulons nous amuser avec cette notion. Nous ne sommes pas moralisantes“, enchaîne Diane Albasini. „Ça peut partir d’un rien, d’une situation banale dans un supermarché.“ Si après la résidence et la restitution succèderont des mois de travail d’écriture séparément, les trois comédiennes voudraient ensuite se retrouver pour une nouvelle résidence, en vue d’une production de la pièce qu’elles voudraient voir jouer dans les trois pays. Une chose est sûre, la pièce ne sera pas là pour donner des recettes. Même si le personnage principal va bien évidemment ne pas se laisser enfermer par ce syndrome. „Il faut qu’elle mette quelque chose en œuvre, qu’elle ne soit pas une victime, il faut qu’elle agisse, c’est certain“, explique Christine Muller.
„On y répond par autre chose que par les mots, la théorie, ou des préceptes, chacun pourra décider comment amorcer un changement“, conclut Diane Albasini. „Plus on est paralysé, plus on échoue, il faut juste faire», propose Mélissa Merlo. Mercredi soir, à Neimënster encore, le prix Goncourt 2021, son congénère sénégalais Mohamed Mbougar Sarr laissait entendre qu’il lui arrivait encore de ne pas se sentir légitime et conseillait: „Il faut rater du mieux qu’on peut.“
Infos
Une première restitution de sortie de résidence a lieu aujourd’hui à 17 h, dans les ateliers à l’abbaye de Neimënster. Entrée libre.
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