„EO“ a reçu le prix du Jury (ex æquo „Les Huit montagnes“ de Felix Van Groeningen, Charlotte Vandermeersch). Skolimowski a rendu un hommage vibrant à son acteur principal et à ses doublures (Tako, Hola, Mariette, Ettore, Rocco et Meda). De la joie plein les yeux, un instant.
Car le voyage d’EO, en Pologne et en Italie, est semé d’embûches. Injustement maltraité, il ne peut s’empêcher de regarder les hommes avec tristesse. Jerzy Skolimowski n’a pas oublié son coup de cœur pour „Au hasard Balthazar“ de Robert Bresson (1966). Il s’en inspire allègrement. A travers le regard de l’âne, son nouveau film ausculte la société.
Lorsqu’on voit ce conte cinématographique, au lieu de répéter „bête comme un âne“, on dit „de l’Esprit comme un âne“. Magique! Plus l’animal regarde autour de lui, plus le tragique pathétique des hommes se déroule sous nos yeux. Lointain et pourtant si proche, il nous parle. Des sensations, des émotions, à profusion. La générosité même. Il fallait toute la virtuosité de Skolimowski pour capter le langage de l’âne et nous faire sentir son innocence, son entêtement à vouloir aller de l’avant. Le réalisateur montre plutôt que de démontrer. Une odyssée visuelle et sonore dont la beauté plastique envoûte et émeut.
Tageblatt: Quel est le point de départ d’„EO“?
Jerzy Skolimowski: C’est une question complexe. Mes derniers films, je les ai écrits avec Ewa Piaskowska, ma coproductrice et ma femme tout à la fois. Nous étions fatigués de la narration linéaire, lassés de raconter une histoire de A à Z. Et une grande partie du public en a également assez de cette structure scénaristique parce que tout est prévisible. Je l’ai expérimenté personnellement: après vingt minutes, je prévois déjà ce qui va se produire ensuite, et même, la fin du film. Et, malheureusement, j’ai souvent raison.
Dès lors, nous avons cherché des trucs et astuces pour ne pas être aussi conventionnels. Et une des idées était peut-être d’avoir un animal comme personnage central, avec l’avantage, au moins, de réduire une grande partie des dialogues. Les acteurs ont beau les interpréter, les dialogues ne sont pas toujours bien écrits. Et cela m’ennuie souvent quand je regarde les films. L’animal était comme une sorte de roue de secours pour trouver une nouvelle façon de raconter une histoire.
Pourquoi avez-vous choisi un âne?
Nous avons immédiatement éliminé le chien, le chat déjà largement présents dans les films. Et la plupart ne sont pas bons! Par un pur hasard, nous sommes tombés sur un âne pendant nos vacances de Noël en Sicile. Nous avons assisté à la „Presepe“, la fête des crèches vivantes célébrée partout sur l’île. La foule immense préparait des pizzas, pressait les raisins pour le vin, en costumes. On entendait des cris incroyables de poules, d’oies, de moutons, de cochons, de vaches … Au milieu, il y avait Joseph, Marie et Jésus. Un petit âne blanc, seul, immobile, silencieux, se tenait à l’écart, comme s’il observait la scène. Ses yeux anormalement grands n’exprimaient aucune colère, mais, en même temps, ils étaient empreints d’une forme de mélancolie.
Ces émotions étaient peut-être les vôtres …
Oui. Vous avez raison. Quand je suis entré dans la grange, je me sentais un peu perdu. Je ne parvenais pas à me concentrer sur Marie, Joseph et Jésus, ni choisir où regarder. L’âne m’a appris une chose: rester tranquille, garder une certaine distance et regarder l’ensemble de la scène sans vouloir suivre un mouvement spécifique ou un animal en particulier. Comme l’âne, j’essaie de prendre un certain recul, d’avoir une vision générale de ce qui se passe et de ne pas participer vraiment aux événements réels.
„EO“ est-il un film engagé?
C’est un message surtout adressé à tous les êtres humains pour qu’ils révisent leur attitude vis-à-vis des animaux. On ne se rend pas compte qu’ils ont des émotions semblables aux nôtres. Ils ont besoin de tendresse, de sécurité, d’affection. Nous utilisons les animaux et en disposons comme des choses. Les êtres humains ne voient pas l’importance et la place que les vivants occupent sur la planète. Les animaux sont nos petits frères. La nature se comporte de manière démocratique. Nous partageons cette planète avec tous les vivants: les arbres, les plantes, les rivières, les animaux … et les êtres humains sont supposés vivre en paix, dans une coexistence harmonieuse.
Vous êtes réalisateur et peintre. Quelle activité privilégiez-vous?
Je fais les deux, mais pas en même temps. C’est une question de concentration. Pour la fabrication d’un film, je travaille avec plusieurs dizaines de personnes à qui je répète ce qu’elles doivent faire. Devant mon tableau, je suis seul. Personne ne touche à mes peintures, je suis responsable de chaque centimètre carré du résultat final. Et pour cette activité, je dois être proche de la zen attitude pour vouloir atteindre une concentration totale. Je dois faire un travail en profondeur, être au plus près de mes émotions et de mes pensées qui irriguent chaque mouvement de création. Peindre est l’opposé d’une activité chaotique. Il n’y a pas d’incidences extérieures. Quand je fais un film, je ne peins pas et vice versa.
Comment observez-vous la montée de l’extrême droite en Europe?
La politique n’est pas ma tasse de thé. Parce que je pense que les leaders politiques ne font pas du bon travail. Il n’y a aucun sentiment d’union en faveur de la planète qui est en grand danger. Nous vivons des moments historiques très durs, très difficiles. Nous sommes tout près de multiples conflits qui peuvent exploser à plusieurs endroits. Partout, les tensions grandissent. Nous avons la guerre à côté de chez nous.
Vous croyez encore à la démocratie?
Je crois que l’idée de la démocratie est tellement forte et solide qu’elle est une puissance naturelle qui a encore une chance d’être concrétisée d’une manière appropriée. Nous sommes en danger et nous devrions nous unir dans cet effort de sauver la paix. Pour ce faire, la mission des leaders politiques est essentielle, mais, malheureusement, pour le moment, je ne vois aucune autorité qui puisse assumer ce rôle et dire: allons-y les gars, essayons de sauver la planète et notre humanité.
Vous êtes pessimiste?
Oui, malheureusement, je le suis. Qui sait, peut-être, „EO“ aura de l’effet et pourra au moins toucher des gens. Par exemple, moi-même et ma femme, nous avons réduit la consommation de viande, à raison d’une fois par semaine, alors que nous en mangions quasiment tous les jours. Mon équipe, pendant le tournage, a complètement arrêté d’en consommer. Si plus de gens suivaient ce changement d’habitudes, s’ils adoptaient ce comportement, peut-être qu’une partie des spectateurs de mon film auraient l’idée de manger moins de viande. Alors des activités humaines, en particulier le système de production de viande industrielle, s’arrêterait. Exécuter des animaux afin d’avoir un bout de viande dans l’assiette est d’une barbarie sans nom. Réduisons la consommation de viande, soyons plus gentils avec les animaux qui nous entourent!
„EO“ de Jerzy Skolimowski. Avec Sandra Dzymalska, Lorenzo Zurzolo. En salles.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können