Edgar Degas et Edouard Manet sont tous deux issus de familles bourgeoises aisées, le père de Manet étant un haut fonctionnaire au ministère de la Justice et la famille de Degas appartenant au milieu des affaires et de la finance. Tous deux abandonneront les études auxquelles ils étaient destinés, pour la peinture. Ils étudieront auprès de peintres reconnus, sans passer par l’école des beaux-arts et, outre des voyages formateurs en Italie, ils copieront des œuvres de maîtres anciens au Louvre. Du côté de leurs contemporains, Degas admire Ingres et l’on peut voir combien il privilégie dans son travail la beauté de la ligne, tandis que Manet se tourne vers Delacroix. Mais là aussi ils s’affranchiront de leur admiration. Les Salons les réunissent, avec plus de bonheur pour Manet, qui s’inscrit davantage dans son temps. Les Salons sont un moyen important de se faire reconnaître et de bénéficier du mécénat d’Etat. Cela dit, leurs chefs-d’œuvre, replacés dans le contexte de l’histoire et de leur relation, sont là pour parfaire notre connaissance de leur peinture.
Manet et Degas ont fait des choix différents, en regard de l’impressionnisme, mouvement apparu dans les années 1860. Manet ne suivra pas Degas dans cette aventure, même si Degas lui-même évite toute imitation impressionniste, notamment l’influence de Monet. On les voit déjà soucieux de préserver leur style. Degas et Manet se croisent chez les collectionneurs, vivent l’expérience de la guerre, se retrouvent au café à Pigalle. C’est l’époque où la littérature et la peinture se côtoient avec la finesse d’une perception et d’une formulation qui va enrichissant chaque art. Quelques anecdotes savoureuses permettent de donner de la chair à cette relation. Ainsi Manet n’appréciera absolument pas une peinture de Degas le représentant assis dans un canapé tandis que son épouse joue du piano. Estimant que la représentation de son épouse n’est pas avantageuse, Manet coupe un morceau de la toile, ce qui est à l’origine d’une des violentes brouilles avec Degas.
De grands bouleversements dans la peinture
Les portraits, notamment ceux d’artistes ou d’écrivains, connaissent un engouement certain au XIXe siècle. Manet peindra Emile Zola, les jambes croisées, le regard au loin, un livre à la main, dans la position d’un intellectuel, tandis qu’à l’arrière-plan on distingue une réplique de L’Olympia, œuvre de Manet qui fit couler tant d’encre. Une façon de témoigner d’une amitié entre artistes. Quant à Paul Valéry, proche de Degas, il écrira à propos de celui-ci: „Il tenta et osa tenter de combiner l’instantané et le labeur infini dans l’atelier, d’enfermer l’impression dans l’étude approfondie ; et l’immédiat, dans la durée de la volonté réfléchie.“ Et si Degas est parfois impressionniste, c’est davantage par l’esprit, celui de saisir l’instant, que par la technique. Degas a effectivement un goût pour les scènes d’intérieur et la lumière artificielle. Il aime la précision, préfère le réel à l’impression. En cela, il est influencé par les écrivains naturalistes de son époque.
Edouard Manet, quant à lui, scandalise ses contemporains par sa manière de peindre et par les sujets traités. Il rejette l’artificiel et l’anecdote. Etre au plus juste de ce qu’il perçoit. Mais il n’est pas un réaliste, malgré l’étiquette qui lui est accolée. Grand bouleversement dans la peinture, il néglige la profondeur et la perspective, présente ses personnages comme des cartes à jouer, notamment pour Le Balcon (1868-1869, huile sur toile), où Berthe Morisot figure au premier plan. Edouard Manet va toujours à l’essentiel. La vitesse est également à l’étude, notamment avec les courses hippiques, venues d’Angleterre. Aux cavalcades, pourtant, Degas privilégie le moment qui précède le départ, prétexte à saisir la tension, les montures qui piaffent. Tandis que Manet s’immerge dans les courses.
Notons également que la hiérarchie des genres, au XIXe siècle, est abandonnée. Certaines poses, chez Manet, relèvent de la grande peinture, inspirée de Velazquez ou de Goya, et nous trouvons chez Degas, avec les femmes à la toilette, des scènes intimes et audacieuses, traitées au pastel.
Il serait fastidieux de continuer une enquête entre digressions et chemin commun. Par contre, cette exposition, sous le prétexte de réunir ces deux destinées ou de voir en quoi elles s’opposent, propose des chefs-d’œuvre.
Info
Manet/Degas
Jusqu’au 23 juillet 2023
Musée d’Orsay
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing
75007 Paris
www.musee-orsay.fr
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