Après s’être mariée et avoir eu deux enfants, Graciela Iturbide a fait ses classes en s’inscrivant à l’âge de vingt-sept ans à l’école de cinéma de Mexico. Elle y découvre la photo en suivant les cours de Manuel Alvarez Bravo et devient son assistante. A la suite de la mort de sa fille Claudia, à l’âge de six ans, elle se sépare de son époux, l’architecte Manuel Rocha Diaz, et se consacre à son art. A la manière d’une thérapie, elle se met à photographier les angelitos, les petits anges, ces enfants décédés prématurément et qui, selon la croyance populaire mexicaine, vont droit au ciel, car ils sont morts avant d’être des pécheurs.
Graciela Iturbide, dans un entretien avec Fabienne Bradu, explique la raison pour laquelle les oiseaux occupent une part importante de son travail. Ils apparaissent comme des messagers du ciel, mais aussi ils symbolisent le lien entre la vie et la mort. Alors que la photographe demande la permission de suivre une famille qui accompagnait son petit ange au cimetière, la procession est arrêtée par un corps gisant sur le chemin, à demi dévoré par les vautours. Il y a dans l’exposition l’image d’un enfant dans son cercueil ouvert, couvert de lys. La photo n’est pas violente, elle est sidérante, comme l’est la mort. Et les oiseaux qui planent deviennent le signe à la fois funeste et évident de l’existence entre ciel et terre, un envol.
Les photos sont d’une prodigieuse beauté et d’un silence incroyable, lorsqu’on voit des nuées d’oiseaux envahir le ciel ou, comme en Inde, être à fleur de terre, toutes sortes d’oiseaux, dans ce dialogue incessant des êtres humains avec les animaux. La plupart des photos d’oiseaux ont été prises le jour des obsèques, au cimetière. „(…) tous les vautours s’étaient mis à voler, et beaucoup de mes photos d’oiseaux ont été prises ce jour-là, car le ciel en était rempli. Ainsi, dans la vie, tout est lié: votre douleur et votre imagination, qui peut vous aider à oublier la réalité. C’est une façon de montrer comment ce que vous vivez est lié à ce dont vous rêvez, et ce dont vous rêvez est lié à ce que vous faites, et le papier photographique en garde la trace“, dit Graciela Iturbide.
Un rêve éveillé
Travail puissant et saisi sur le vif, œil aux aguets, le monde se révèle à travers des signes, les ombres portées des processions, les rituels qu’entretiennent les Mexicains avec la mort. Les visages, les corps, sont autant d’offrandes, comme les oiseaux semblent des prémonitions, un alphabet particulier, celui effectivement d’un rêve éveillé. Et le cadrage, la photo parfois en contre-plongée, donnent avec une grande douceur l’ineffable relation d’un visage avec le monde, d’une présence, le lien que l’homme tisse avec les animaux et les plantes, avec la lumière aussi. Observation méticuleuse, d’une grande sensibilité et d’une grande simplicité. La vie dans son mystère s’ouvre tel un cocon, comme portée par la grâce d’un premier regard. C’est ainsi que l’univers de cette immense artiste s’offre à nous. En noir et blanc, dans une encre noire d’oiseaux ou dans la lumière d’un être, d’un ruissellement d’eau sur un corps nu de femme, d’un visage altier qui se propose à l’objectif.
Info
Graciela Iturbide, Heliotropo 37
Fondation Cartier pour l’art contemporain
Jusqu’au 29 mai 2022
261, boulevard Raspail
75014 Paris
fondationcartier.com
Graciela Iturbide ne construit pas ses photos, elle avive la réalité, la donne à voir dans sa beauté iconique. Grâce et altérité, comme nous ne les percevons plus en Occident, en relation avec les animaux et la nature, tout ici se dit du miracle d’être sur terre. Les transsexuels sont approchés avec pudeur et nous révèlent l’ambiguïté du féminin et du masculin en nous, les fêtes populaires où la mort est convoquée joyeusement sont l’occasion de nous familiariser avec des rites qui nous semblent justes et inaccessibles.
En Inde, Graciela Iturbide, photographie des objets, des symboles, peu d’êtres humains. Un nouveau répertoire voit le jour. Les oiseaux y règnent toujours. „On ne trouve pas les oiseaux là où l’on veut. Avant tout, ce n’est pas l’oiseau lui-même qui m’intéresse mais certaines situations, comme celle, à Khajuraho, des oiseaux posés à côté d’une veste militaire accrochée à un arbre, ou encore celle des oiseaux survolant une enfilade de chiens“, dit-elle, toujours dans son entretien avec Fabienne Bradu.
Des rencontres fortuites
A force de saisir du réel des situations insolites, se glisse imperceptiblement une part d’imaginaire, presque surréaliste. Quelque chose d’incongru, d’impossible autrement que par le hasard d’une rencontre fortuite. Il n’est qu’à voir Notre Dame des Iguanes, pour comprendre, face à cette vision saisissante, que le regard en dehors de la réalité saisie, élabore sa part mentale, une reconnaissance onirique des lieux, des êtres, des choses. Après tout, depuis les ombres portées d’une procession, que Graciela photographie, silhouettes noires contre le bitume, la vie n’est-elle pas songe?
Cette succession de photos en noir et blanc – sauf les dernières photos en couleur commandées par la Fondation Cartier – sont d’une douce nécessité. Il y a même ce que Graciela Iturbide nomme l’hôpital des cactus, accordant aux végétaux une sensibilité qui envahit alors l’image. Cette série a été réalisée lors d’une visite du Jardin botanique d’Oaxaca pendant sa restauration. Et l’on voit des cactus protégés par des voiles, retenus par des cordes, enveloppés de jute. Gabriela Iturbide ressent une profonde empathie à leur égard. Notre regard emporte des images essentielles, à la beauté plastique sans anecdote, l’hommage profondément sensible de Graciela Iturbide à ce qui fait notre humanité.
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