L’idée d’accueillir une exposition monographique de Tina Gillen à la Konschthal d’Esch était déjà ancienne. Elle date d’avant la tenue de la capitale européenne de la culture en 2022 et même de la Biennale d’art de Venise de 2021. Quand Christian Mosar a entendu que l’artiste luxembourgeoise, basée et enseignante à Anvers, était nommée pour y représenter son pays, il l’a aussitôt appelée pour lui proposer de montrer ensuite à Esch ce qu’elle allait y faire. Le curateur sait trop bien qu’à la surexposition de la Biennale de Venise succède souvent une période de creux, pas évidente à gérer. Lui proposer une exposition est un moyen de soutenir l’artiste dans ces moments potentiellement déstabilisateurs, en même temps qu’une double récompense. La Konschthal avait déjà fait la même chose avec Lisa Kohl et Daniel Reuter à leur retour des Rencontres de la photographie d’Arles.
Ce faisant, Christian Mosar inscrit la Konschthal dans les questionnements qui agitent la grand-messe vénitienne sur la durabilité et le devenir des œuvres réalisées à cette occasion. La démarche fait d’autant plus de sens que la réflexion sur les interactions entre humain et nature est présente dans le travail de Tina Gillen depuis le début de sa carrière à la fin des années 90 et qu’elle est devenue de plus en plus prégnante. L’exposition monographique présentée à la Konschthal permet de se rendre compte assez rapidement de cette préoccupation déjà ancienne, par exemple avec l’œuvre exécutée en 2006 après le passage de Katrina sur La Nouvelle-Orléans. On peut aussi constater que la réflexion se poursuit après Venise, avec une série d’icebergs, réalisée pour l’exposition. Ce tableau d’un iceberg, désormais directement associé au réchauffement climatique, fait cohabiter la contemplation et l’anticipation, la beauté et la menace, que Tina Gillen avait aussi concentré à Venise dans l’image d’un soleil pouvant être vue comme une explosion, et dont elle donne une réplique adaptée aux dimensions de la Konschthal.
A Venise, cette toile solaire illuminait une baraque placée au centre de l’espace d’exposition, repensé comme un set cinématographique. C’est une autre caractéristique de Tina Gillen que d’explorer la tridimensionnalité de ses peintures. La „sala degli armi“ ne permettant pas un accrochage, elle avait construit un système de supports lestés par des sacs de sable pour tenir debout ses toiles démesurées, qu’on peut aussi observer à la Konschthal. A Esch, ce refuge est situé en surplomb de la toile, sur une plate-forme intermédiaire qui fait l’identité de cet ancien magasin de meubles. Depuis ce refuge, qui reste ouvert, on peut donc orienter son regard à plusieurs niveaux, vers quelques-unes des 48 œuvres de Tina Gillen qui parsèment les quatre niveaux d’exposition. Pour l’exposition, le refuge en bois a par ailleurs gagné une extension, située deux niveaux plus bas et qui renvoie aux refuges souterrains américains pour se protéger des ouragans.
Au ralenti
S’il n’y a pas d’humains dans les tableaux de Tina Gillen, le spectateur y est par contre complètement aspiré. Les fenêtres, les jumelles, les miradors, cabanes ou refuges toujours ouverts aux quatre vents y invitent. La grande taille des tableaux et la mise à profit du concept „d’étrangisation“ élaboré par le théoricien russe Victor Chklovski, consistant à compliquer la forme d’objets pour accroître la difficulté et la durée de la perception, expliquent sans doute cette immersion. Tina Gillen travaille à partir de photos pour en extraire des fragments reconnaissables de la réalité qu’elle replace dans des paysages plus flous.
Le nom de l’exposition vénitienne „Faraway so close“ faisait référence au film-culte tourné par Wim Wenders. Le nom de l’exposition eschoise, „Flying Mercury“, fait pour sa part référence à une célèbre statue maniériste de Jean de Bologne, défiant l’apesanteur en figurant le dieu Mercure sur la pointe d’un pied. En 2008, l’historien de l’art Olivier Zybok, avait noté que les compositions de Tina Gillen donnaient une impression de lévitation semblable, par la contradiction entre techniques picturales.
Dans l’ouvrage consacré au travail de Tina Gillen à Venise, la curatrice et critique d’art Eva Wittocx souligne pour sa part la capacité de Tina Gillen de ralentir les images. Ses tableaux peuvent être ainsi vus comme un antidote à l’accélération du temps qui est aussi une marque de l’Anthropocène et la source d’un manque de recul. La Konschthal, rouverte après des travaux qui ne sont pas finis, offre avec cette exposition le cadre idéal pour prendre le temps de faire un pas de côté nécessaire.
Infos
L’exposition „Flying Mercury“ se tient jusqu’au 11 novembre. Visite guidée gratuite de l’exposition tous les dimanches à 15.00 h et les jeudis à 18.30 h. L’exposition s’accompagne de conférences (dont „Archives of Women Artists, Research and Exhibitions“ le 22 juillet), de projections („Deserto Rosso“, „Take Shelter“ et „Rear Window“), d’événements (dont „Take Over Thursdays – Uncertain Landscape“ le 28 septembre), de workshops (“Letterpress Workshop: Can you Haiku?“ le 15 juin, „Print Print Print“ le 25 juin et peinture le 2 juillet) et d’une masterclasse avec Tina Gillen le 10 octobre. Programme complet: www.konschthal.lu.
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