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En quête de calme et de réflexionDeborah de Robertis: „J’en ai marre d’être au tribunal“

En quête de calme et de réflexion / Deborah de Robertis: „J’en ai marre d’être au tribunal“
Deborah de Robertis: „Pour moi, il y a une différence entre le militantisme qui utilise des codes relevant de la communication, un message clair, et l’art qui réinvente des formes, n’utilise pas des codes existants“

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En résidence de recherche pendant trois semaines à l’abbaye de Neimënster, Deborah de Robertis s’est sentie privilégiée et en mesure de montrer ce qu’elle sait faire, en troquant la performance contre le spectacle d’art vivant. 

Il arrive souvent dans la carrière d’un.e artiste qu’un regard extérieur lui permette de mieux cerner son propre travail et lui indique des références qui lui avaient échappé. Lorsque le 29 mai 2014, Deborah de Robertis s’est assise devant „L’origine du monde“ de Gustave Courbet, écartant ses jambes et son sexe, elle ne savait pas qu’elle s’inscrivait à la suite de l’artiste autrichienne Valie Export. Cette performance s’inscrivait certes dans une pratique déjà ancienne, datée de ses études d’art en Belgique, d’user de son corps dans sa pratique artistique. Mais, on ne lui y avait pas mentionné d’artistes féministes. C’eût été lui donner du pouvoir, dit-elle, tout comme l’auraient fait les hommes du monde de l’art, s’ils n’avaient pas dépolitisé ses performances.

Le déferlement médiatique et judiciaire qui a suivi cette performance en particulier, mais aussi les suivantes devant l’Olympia de Manet (16 janvier 2016), devant La Joconde (15 avril 2017), en Vierge à Lourdes (31 août 2018), en Marianne des Gilets Jaunes (15 décembre 2018), au Parlement européen (19 mai 2019) ou sur la statue Gallieni (26 septembre 2021) n’ont pas été vraiment propices à la réflexion. „J’ai passé des années comme si j’étais en interrogatoire plutôt qu’en interview, à expliquer pourquoi j’ai montré mon sexe plutôt que d’expliquer mon travail. Ça empêche de penser. Ce sont presque des excuses publiques indirectes“, expliquait Deborah de Robertis, en cette fin de mois de juin, au cœur d’une résidence de trois semaines à l’abbaye de Neimënster.

„De la mauvaise foi“

Deborah de Robertis a du mal à comprendre qu’il lui faille ainsi se justifier. „On vit dans une société hyper sexualisée, où la nudité, patriarcale, ne choque personne, où on peut aller regarder un gros plan de sexe ouvert sur internet pour se masturber. C’est de la mauvaise foi“, dit-elle. Cette obligation de rendre des comptes l’a réduite à un rôle de militante, regrette-t-elle, quand c’est bien d’art dont il est question. Un universitaire a cru pouvoir théoriser son art en celui de femeniste. Ça a le don de l’hérisser. „On a les mêmes problèmes. Mais elles sont militantes et je suis artiste conceptuelle. Pour moi, il y a une différence entre le militantisme qui utilise des codes relevant de la communication, un message clair, et l’art qui réinvente des formes, n’utilise pas des codes existants. C’est pourquoi le travail est moins lisible. Le rôle de l’art est de faire réfléchir celui qui regarde.“ En posant nue devant des tableaux, Deborah de Robertis en dédouble l’image, reléguant à l’arrière-plan l’auteur homme du tableau. Elle donne une voix ou un visage au modèle. Cependant, elle veut aussi renvoyer le regard voyeur du spectateur dirigé vers le tableau et vers son sexe.  

Pour une fois, on entendra tout mais on ne verra rien

Deborah de Robertis, artiste

Mais si parmi les travaux universitaires, comme dans les médias, on peut retrouver une instrumentalisation de son oeuvre, il y a aussi d’autres analyses, plus lentes à maturer, qui vont dans le fond des choses et inscrive son action dans l’histoire de l’art. „Il est (…) observable que l’artiste tire peu de bénéfice
en termes d’image sociale puisque les médias peinent, pour la plupart, à dégager le point de vue artistique de ses performances, livrant parfois une image erronée ou dévalorisante de l’artiste“, notait le chercheur en histoire de l’art Quentin Petit dit Duhal, dans un article publié en 2019 où il évoquait sa capacité à transgresser pour déconstruire. En 2020, le professeur en histoire cultuelle Martial Poirson l’intégrait dans son anthologie „Combattantes: une histoire féminine de la violence en Occident“. Il la cite parmi les artistes femmes qui, par le détournement pour Brigitte Ziegler, l’hybridation pour „l’artiste-putain“ Orlan ou la subversion des codes dans son cas, génèrent une autre réception possible de ces images.

Deborah de Robertis a toujours vu dans le tableau de Courbet une décapitation, „une femme sans tête, sans point de vue et donc sans intellect“. En redonnant un visage au tableau, il y a une volonté de dire: „J’existe“, explique-t-elle. Or, dans la considération de son travail, les mêmes clichés qui ont présidé à la composition du tableau comme à son succès – la lascivité et la stupidité des femmes – demeurent. Elle voit dans le refus de présenter cette œuvre au Centre Pompidou de Metz à l’occasion de la venue prochaine de „L’origine du monde“ pour une exposition consacrée à Lacan, une autre conséquence de la permanence de structures patriarcales. Elle désigne le curateur comme responsable. „On apprécie les gestes politiques et féministes, on trouve cela super quand c’est chez le voisin et pas chez soi. Parce que derrière, il y a la question économique“, constate-t-elle. Elle reproche un manque de communication semblable à celui qui avait amené à l’annulation d’une exposition monographique qu’elle aurait dû réaliser en 2015 au Casino – Forum d’art contemporain. Pourtant, le fait que le musée Pompidou soit pilotée par une femme, Chiara Parisi, lui semblait une chance tout aussi grande que le fait que l’abbaye de Neimënster soit dirigée par Ainhoa Achutegui.

Depuis au moins 2019, cette dernière a affiché un soutien important à Deborah de Robertis dans son pays de naissance. Dans un article au magazine Forum cette même année, elle l’inscrivait „dans une lignée d’artistes performeuses qui, depuis les années 1970, utilisent leur corps pour dénoncer cette discrimination à l’encontre des femmes dans le monde de l’Art où elle s’inscrit et dans la société non égalitaire“. Elle la comparaissait à  Orlan, pour sa maîtrise des situations qu’elle produisait. En hiver de la même année, elle accueillait sur invitation de l’Institut Pierre Weber une conférence avec la philosophe Geneviève Fraisse, autre intellectuelle qui prend très au sérieux le travail de Deborah de Robertis, pour lequel elle a forgé le concept de „corps qui regarde“, lequel „n’est pas seulement le corps repris et réapproprié par les femmes, mais le corps qui oblige à repenser la tradition esthétique“.

Eustache fait parler Courbet

Sa première performance devant le tableau de Courbet reste un moment fondateur de sa pratique. „C’est mon socle, le cadre avec lequel mon travail doit être lu. Cela fait partie des performances dont je suis fière“, dit-elle. „J’en suis satisfaite sur le plan esthétique, de la composition, du geste. Tout était très lisible. Toutes mes performances n’ont pas réussi de la même manière. Les interventions peuvent rendre la performance moins lisible et donc plus militante.“ Il existe même un lien direct avec le projet sur lequel elle a initié des recherches lors de sa résidence dans le Grund. Elle y a travaillé avec le scénariste et réalisateur Jowan Le Besco – qui avait filmé sa dernière performance – à une interprétation du film „Une sale histoire“ de Jean Eustache, longue confession d’un voyeur confiant que c’est le sexe des femmes plutôt que leur beauté qui l’attire. „Pour moi, ce film est au cinéma ce qu’est ‚L’origine du monde’ à l’histoire de l’art. C’est comme si Courbet parlait du modèle“, résume-t-elle sans vouloir s’étendre sur ce projet qui doit signifier une nouvelle étape dans sa carrière, la fin du travail dans l’urgence.

„Pour une fois, on entendra tout, mais on ne verra rien“, sourit Deborah de Robertis. Cette Parisienne d’adoption, depuis sa résidence à la Cité internationale des arts en 2013, vit comme un privilège sa résidence dans son pays natale. Elle pense enfin venue la possibilité de montrer qu’elle sait faire autre chose que des performances. „J’en ai marre d’être au tribunal. Il n’y a que mon travail qui pourra me rendre justice. Je veux pouvoir montrer ce dont je suis capable. Je ne suis pas là pour entretenir la polémique.“ Plutôt qu’à des tableaux, c’est aussi à une autre icône en chair et en os, mais tout autant, si ce n’est plus sexualisé, Marilyn Monroe, qu’elle songe à rendre hommage, sur base de sa lecture de ses écrits autobiographiques, baptisés „Fragments“. „Je pense que je peux très bien lutter avec la parole.“ Il est vrai que pour mettre à nu la domination masculine, les mots peuvent être, eux aussi, redoutables.