Le dimanche 7 mai a eu lieu, au Schëfflenger Bierg, une promenade poétique en compagnie de l’écrivaine Ulrike Bail et du géologue Robert Weis, grand habitué des randonnées littéraires depuis la publication de son bouquin „Rock Lines“ avec le „géopoète“ italien Davide S. Sapienza. Pendant près de deux heures, les participant·e·s ont pu découvrir un paysage des plus authentiques de la région, guidé·e·s par les deux auteur·e·s. L’événement s’inscrivait dans le cadre de l’exposition collaborative „du lauschst dem lärmen der bäume“ dont les œuvres se nourrissent des échanges entre expressions poétique, photographique et picturale. Les montages photographiques de Vic Fischbach offrent un portrait vibrant des arbres, tandis que les collages et installations de Marie-Pierre Trauden-Thill, frêles et organiques, font ressentir la vulnérabilité de la nature au-delà de sa simple représentation.
Dans ce contexte se lit un des plus beaux ensembles de la plume d’Ulrike Bail, dont le recueil „wie viele faden tief“ avait été récompensé par le Prix Servais en 2021. Les 24 textes exposés à Schifflange s’inscrivent dans la continuité du dernier recueil, „statt einer ankunft“, qui décrit une déambulation poétique urbaine se terminant au Bambësch.
Les „GedichteRahmen“ d’Ulrike Bail
Ces poèmes ne sont pas seulement composés d’encre et de papier: Ulrike Bail les nomme „GedichteRahmen“, des boites à images qui constituent un tout invitant à une expérience de lecture en résonance avec la découverte multisensorielle de la forêt. Ces petites installations, souvent réalisées avec des matériaux naturels, comme des aiguilles de pin ou de la sciure de bois, ne sont pas immuables: des fissures apparaissent, des tâches se créent, des branches se décollent. Bien qu’imprévue, cette évolution montre que la vocation de cette poésie n’est pas d’arrêter le temps pour conserver sous cloche le vivant ou le souvenir, mais d’en accompagner l’éternelle transformation jusqu’à leur inévitable disparition.
Les textes d’Ulrike Bail mettent au jour les rapports pluriels, tantôt harmonieux, tantôt conflictuels, de l’humain avec la forêt. En témoigne d’abord le traitement poétique de la nomenclature biologique. Ainsi, un coléoptère qui ravage les conifères se mue en chroniqueur d’une hécatombe bien plus profonde: „ips typographus werden jene drucker genannt / die im harzfluss zwischen borke und stamm / ihre frasz zeichen setzen als sterbebegleiter / wissen sie um die wendung und auch im totholz / erklingt die stimmgabel in deren nachklang / du die linien liest“. Trait caractéristique de la littérature luxembourgeoise, le multilinguisme est aussi mobilisé pour souligner des spécificités culturelles des descriptions du monde naturel, chaque langue véhiculant une image différente d’un même végétal : „impatiens parviflora / balsamine à petite fleurs / kleinblütiges springkraut / kräitche réier-mech-net-un“. Il en va de même pour le langage technique de la foresterie dont la poésie met à nu l’aptitude à réduire la forêt à une ressource exploitable: „wohin sich wenden / wenn die erdlöcher der füchse / verschüttet der wald erschlossen / für schweres gerät“.
Souvent considérée comme un moyen de saisir l’instantané, cette écriture de la nature explore plutôt le temps qui passe, tant à travers le souvenir intime – „zerreibe ich die nadeln einer douglastanne / in der hand stellt sich mein vater neben / mich“ – que par la mémoire historique, comme celle des massacres perpétués par l’Allemagne nazie: „in die fichten und kiefern bei piasnica / schlügen bei gewitter oft blitze ein / das metall der gewehrkugeln / die noch in den stämmen steckten / zöge sie an“. La contemplation des arbres crée ainsi des liens entre les jeunes forêts repeuplant les anciens sites miniers de la Minette et les forêts séculaires de la Pologne.
Refusant toute célébration bavarde de la beauté de la nature, Ulrike Bail saisit l’expérience sensible – et aujourd’hui tragique – de la nature: „wenn ein tier ausstirbt ohne dass wir es gekannt haben ein nachtfalter zb dessen flügelschlag unsere netzhaut nie berührte pupillen in denen wir uns nie gespiegelt sahen“. Si l’humain appréhende son propre devenir à travers le regard de l’animal, la disparition du plus infime papillon de nuit exprime la part d’humanité à jamais perdue quand s’éteint le vivant.
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