L’exposition „Never the Never“ au Casino Forum d’art contemporain a déjà une longue histoire derrière elle. Au départ, il y a en 2013 une bourse de curation proposée par la fondation Prada, suivie de la victoire d’une outsider, Evelyn Simons. Celle-ci a convaincu le jury avec un projet sur la crise migratoire alors particulièrement aiguë. Mais lorsque, dans l’entre-temps, Ai Weiwei et d’autres s’approprient le sujet à des fins mercantiles, elle se dit que ce n’est peut-être pas le bon projet et qu’elle n’est peut-être pas la bonne personne pour le traiter. Quand la fondation Prada revient vers elle, elle propose de mener une réflexion sur la libre circulation du capital et des marchandises, qui tranche avec les soucis de déplacement que rencontrent les êtres. L’exposition s’appellera Driftwood, or how we surfaced through currents (2017), se déroulera à Athènes, dans le quartier anarchiste Exarcheia et sera collective.
À la fin de l’aventure, il lui reste encore des crédits. La curatrice propose cette fois à l’un des artistes, Jeremy Hutchinson, de faire un projet seul et de nouveau à Athènes. À court d’idées, ce Britannique discute du projet avec son père. Ce dernier, un „chic type“ mais Brexiteer patenté selon le fils, lui dit: „Savais-tu qu’il y a plus de Porsche à Athènes que partout ailleurs en Europe?“ Ce qui s’avèrera une fake news véhiculée sur le web, devient la matière à penser de l’artiste. Il en ressort le projet „Never the Never“, qui traite de désinformation, de marques de luxe, de stéréotypes culturels et de xénophobie.
„Mythe personnel“
Le projet s’est développé en contact avec des communautés locales, en collaboration avec le collectif théâtral athénien Nova Melancholia, pour travailler sur les stéréotypes que véhiculent leurs cultures, mais aussi la manière dont ils incorporent ces stéréotypes venus d’ailleurs. Cela a donné lieu au tournage de 22 clips publicitaires, diffusés en boucle au rez-de-chaussée du Casino, chacun mettant un cliché en images (calamar, âne, feta, figues, parade, sandales, évasion fiscale, yaourt etc.) et reprenant l’esthétique des pubs de marque de luxe.
Il s’agit aussi d’explorer les faux mythes, véhiculés par le marketing et la publicité, un domaine dans lequel l’artiste a exercé et où il puise son inspiration. Il évoque Jacques Derrida et Jean Baudrillard. C’est dire l’influence de ces philosophes dans l’art, mais aussi à quel point le sujet de la manipulation n’est pas de la dernière fraîcheur. Certes, il y a quelque chose de surréaliste, digne des Monty Python, dans la manière qu’a Jeremy Hutchinson de se moquer du capitalisme et de l’hégémonie culturelle. Mais la partie la plus originale de la réflexion ne se cache ni là ni dans les fragments de Porsche exposés dans le hall et l’aquarium, mais bien dans le jeu d’échelles auquel la curatrice et l’artiste se livrent dans une troisième salle.
Une maquette y reproduit ce qu’aurait pu être leur exposition au premier étage du Casino. Elle est tellement vraisemblable que des photos pourraient faire croire qu’ils ont réellement occupé le vaste espace supérieur. De cette manière, ils recourent eux-mêmes à la désinformation, poussés par la précarité qui est la leur dans un milieu de l’art sélectif. „Ces espaces d’exposition en miniature semblent refléter l’ambition et la précarité de deux professionnels de l’art luttant désespérément pour accroître leur mythe personnel“, disent-ils.
Jusqu’au 29 janvier au Casino – Forum d’art contemporain
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