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JazzAvec Daniel Migliosi, l’âge n’est plus qu’un nombre

Jazz / Avec Daniel Migliosi, l’âge n’est plus qu’un nombre
Daniel Migliosi a découvert le jazz au lycée de garçons d’Esch-sur-Alzette avant de s’y exercer au conservatoire Foto: Editpress/Alain Rischard

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Daniel Migliosi n’avait pas 18 ans quand il a enregistré son premier disque „Left on scene“. Il s’est révélé un coup de maître pour le trompettiste de Rumelange aussi talentueux que pressé. A (re)découvrir demain au Mélusina à Luxembourg dans le cadre du Blues’n’Jazz Rallye.

Pourquoi attendre de se retrouver noyé dans la masse – toute relative – des génies de 22 ou 23 ans, plutôt que de marquer le coup en sortant un album en n’étant même pas majeur? „Moi, si voilà l’album d’un musicien de 17 ans, pourquoi écouter celui d’un musicien de 23 ans“, dit avec certitude Daniel Migliosi. À un âge où on voit une année, comme les anciens une décennie, Daniel Migliosi n’a pas voulu perdre de temps. Il a saisi au bond le défi que lui avait lancé son prof, Andy Haderer, la trompette lead du WDR Big Band, en lui disant qu’il attendait son premier disque. „Je me suis dit qu’il fallait le faire maintenant et pas attendre vingt ans“, dit-il. Il était alors le titulaire d’une bourse de compositeur au sein de cet orchestre renommé de Cologne, mais avait aussi sous la main des amis un peu plus âgés que lui avec lesquels il n’avait cessé de jouer durant la pandémie. En cinq jours, il a couché sur le papier les idées qu’il avait accumulées. Et en un jour du mois de mai 2022, au studio Loft de Cologne, le sextette qu’il a réuni autour de lui a enregistré les neuf pièces qui composent son premier disque „Left on scene“. 

Ensuite, il a envoyé une centaine de mails à des labels. Le premier qui a répondu fut Mons, label indépendant créé en 1991, assez connu en Allemagne, qui produit une dizaine de disques par an. À bientôt 19 ans, Daniel Migliosi vient de vivre neuf mois bien chargés depuis la sortie de son disque en novembre dernier. Et si déjà le prochain se profile à l’horizon, c’est qu’il a réussi son coup, avec une audace qui transpire de chacune de ses décisions comme de ses phrases qu’il débite à la vitesse d’un scatteur. 

Honneur aux anciens

Sur „Left on scene“, Daniel Migliosi a composé six morceaux, à cela s’ajoutent deux standards et un morceau confectionné par le saxophoniste britannique Sean Payne, qu’il a rencontré à Cologne, ville où il s’est transféré à 16 ans, obtenant une dérogation du ministère de l’Intérieur pour suivre les pas de son aîné, le batteur Matthieu Clément, qui joue dans son sextette. Cologne a d’ailleurs son morceau, baptisé Ebertplatzblues. „Ça sonne comme du straighthead, du jazz ancien“, explique Daniel Migliosi. Il s’agissait de montrer ce qu’il avait dans le coffre, faire allégeance aux anciens pour mieux en prendre congé par la suite. „Je me suis dit: tu ne peux pas faire du jazz moderne si tu ne peux pas jouer du jazz comme on en jouait dans le temps. Je voulais montrer que je savais faire du jazz traditionnel.“ 

Et cet hommage dessiné par un trompettiste à peine majeur a fait mouche. Dans Jazz Magazine, le rédacteur en chef Fred Goaty, dont il avait fait la connaissance lors d’un workshop au festival Jazz à Vienne, loue ses „déjà impressionnantes qualités d’instrumentiste – son, puissance, attaque, autorité –“ et trouve que „Daniel Migliosi surprend par une volonté somme toute assez peu commune chez les musiciens de sa génération: celle de proposer un véritable album, bien construit, sans temps morts“. Il parvient à „faire perdurer le langage du jazz, sans rien ignorer du message de ses aînés et de ses contemporains, mais en y ajoutant une touche de fraîcheur qui fait plaisir à entendre“.

Vieux briscard de la scène jazz, l’Australien Andrew Read a, en des termes similaires, hautement recommandé le disque aux lecteurs de sa plate-forme „Jazz in Europe“ par ces mots: „Je ne peux que conclure qu’avec Daniel Migliosi, et tous les musiciens sur cet album, le futur du jazz est entre de bonnes mains.“ Ce bassiste s’est dit excité par „l’exubérance pleine de jeunesse“ du disque tout en reconnaissant au trompettiste, sur le morceau „Dolly“, où il s’essaie au répertoire du film noir, „une maturité habituellement entendue uniquement chez les musiciens qui ont passé bien plus de temps sur scène“.

Vers un public large

„Prendre des risques a toujours fait partie du jazz et ces musiciens ne sont pas intimidés à cet égard“, remarquait par ailleurs Andrew Read dans sa critique. Le jazz est la musique des audacieux, mais elle offre aussi aux trompettistes une liberté dans le jeu. Lorsque Daniel Migliosi a découvert ce genre à 13 ans, il a aussitôt abandonné le classique et a enfin pu apprécier l’instrument que son père joueur de tuba dans l’harmonie de Kayl lui avait collé dans les mains, à lui qui aurait préféré les percussions de son grand-père. La transition s’est faite d’abord au lycée de garçons à Esch, où des jeunes gens plus vieux, les „cool kids“ du lycée, l’ont invité à jouer dans leur brass band. Elle s’est poursuivie au conservatoire d’Esch, sous la houlette de Michel Berns d’abord, et de Marc Harles ensuite, où il a pu approfondir ce genre qu’il a découvert d’abord avec Clifford Brown – „Joy spring, je l’ai écouté peut-être 5.000 fois. Je connais tout par cœur“, dit-il – avant que ne s’ajoute à la liste l’incontournable Miles Davis ou encore Joe Henderson. 

La réussite de son disque, c’est aussi ce nom qu’il lui a donné: „Left on scene“, clin d’œil magistral à la génération millénium qui est la sienne, et qui nomme „left on seen“ cette manière cruelle de (ne pas) répondre à un message lu. Que ce soit par ce titre, par la tenue décontractée qu’il affiche sur la pochette, ou par le lieu dans lequel fut prise la photo (le ‚Gudde Wëllen’), Daniel Migliosi veut signifier son intérêt pour un public large, dans lequel se retrouvent ses amis non musiciens. Les mots, le texte sont importants pour partager encore davantage d’émotions avec le grand public. Et c’est pour cette raison que, naturellement, il s’intéresse à la fusion du jazz avec le genre incontournable qu’est devenu le rap. Il vient d’en donner un exemple prometteur avec le rappeur londonien Baby Panna. Là aussi, il lui aura fallu une bonne dose d’opportunisme pour provoquer cette collaboration avec un jeune rappeur en devenir qui a affolé les réseaux sociaux avec un titre précédé du message: „Imagines que tu rentres dans un jazz bar au hasard et qu’il y a un rappeur britannique au micro.“

Daniel Migliosi a composé la musique, Baby Panna pose des textes d’un rap qu’on dirait conscient. Et le résultat est un morceau entêtant, qui colle à son époque, „Living Right“. C’est devenu le titre le plus écouté de Daniel Migliosi sur les plate-formes. Mais ce ne sera pas le dernier du genre, puisqu’une collaboration avec le producteur Funkvater Franck du rappeur allemand OG Keemo au succès bien établi, se profile d’ici la fin de l’année. Funkvater Franck est habitué à sampler du Herbie Hancock et l’écoute du disque de Daniel Migliosi lui a donné envie d’accepter l’offre de collaboration du trompettiste rumelangeois.

„Avec le disque, on voit que je ne suis pas un trompettiste du coin de la rue, mais qu’il y a un label derrière moi. Il a permis de me placer sur la carte“, se réjouit-il. Et avec le deuxième disque qui va sortir en novembre, il entend bien se hisser à un niveau international, en explorant le jazz moderne. Il s’est attribué les services de musiciens qui ont cette dimension, capables de susciter davantage de critiques et d’attirer davantage de monde dans les concerts. Daniel Migliosi ne veut manifestement pas de la vie stressante des musiciens de jazz moyennement connus qui doivent courir les concerts pour survivre. Il y préfèrerait la vie plus confortable de professeur de musique au Luxembourg, si les sommets auxquels il tente d’accéder lui restaient inaccessibles. „Les gens pensent toujours que mes parents me forcent à faire la musique. Si je leur demandais, ils me diraient d’arrêter. Mais pour le moment, cela marche très bien. Je suis jeune. Il n’y a rien qui me dit d’arrêter. J’essaie. Si à 21 ans, je vois que ça ne marche pas, j’aurai le temps de faire autre chose.“

Pour l’instant, il est plutôt dans la bonne cadence, pour pouvoir se comparer avec les plus grands. Comme le magazine allemand Jazzthethik le concluait très justement dans un élogieux portrait: „Si son développement se poursuit au même tempo, les prochaines années seront très excitantes.“

En concert demain au Melusina  à 19.30h dans le cadre du Blues’n’Jazz Rallye, avec son sextette. Entrée gratuite.