Né.e en 1972 à Umlazi, un quartier de Durban, en Afrique du Sud, Zanele Muholi a étudié au Photo Market Workshop de Johannesburg et à l’université Ryerson à Toronto. Iel est également professeur.e honoraire à l’Université des arts de Brême en Allemagne. Son travail documente la vie de la communauté noire LGBTQIA+ (lesbiennes, gays, bisexuel.les, transgenres, queers, intersexes, asexuel.les +). Il s’agit d’un travail très important de découverte de territoires autres, enfin révélés au grand jour, là où l’apartheid régnait et où les minorités sexuelles ont été et continuent d’être victimes de violences.
Zanele Muholi se désigne comme un.e activiste utilisant son appareil photo contre les injustices. En 1994, la démocratie s’établit en Afrique du Sud, avec l’abolition de l’apartheid, et en 1996 la nouvelle constitution, la première au monde, interdit toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Mais les communautés noires LGBTQUIA+ demeurent la cible de violences. Zanele Muholi les dénonce en ouvrant le champ de l’intime et en représentant ces personnes dans leur quotidien et leur vie amoureuse, en photographiant les cicatrices sur les corps, par des portraits et des autoportraits. Et chaque geste artistique porte les stigmates d’une époque, s’affranchit des codes, redonne le contexte. Chaque photographie porte la technique et la virtuosité d’un regard précis, d’une création au service d’une cause. Certes l’art se suffit à lui-même, et les photos de Zanele Muholi sont à chaque fois des paris esthétiques, des forces vives, quand elles ne relèvent pas du documentaire. C’est entre ces territoires qu’il faut naviguer, en s’attardant sur les qualités artistiques, tout en rattachant l’œuvre à un combat encore d’actualité.
Cette exposition est ponctuée par plusieurs projets emblématiques. La série „Only Half the Picture“ (2002-2006) documente les violences faites aux survivant.es de crimes, dans les townships, quartiers regroupant les communautés noires sous l’apartheid. Des victimes de viols „correctifs“ et „curatifs“, dont l’identité demeure cachée et qui exposent des corps aux multiples cicatrices. C’est en 2002, au moment ou iel travaille sur cette série, que Zanele Muholi cofonde le FEW, Forum for the Empowerment of Women, une organisation à but non lucratif ayant pour objectif de donner un espace sécurisé aux lesbiennes noires, afin qu’elles puissent se soutenir et trouver emploi et logement. La série „Being“ (2006 – en cours) utilise la couleur pour livrer la beauté d’un quotidien fait de tendresse et d’amour. La scène de deux femmes prenant leur bain dans une bassine, debout, côte à côte, est splendide de simplicité et nous renvoie à des instants atemporels, tissés de la fragilité et de la délicatesse des relations amoureuses. Zanele Muholi saisit de tels instants pour dénoncer l’idée selon laquelle la vie homosexuelle serait non africaine, comme si elle était une importation coloniale. Zanele Muholi écrit à ce propos: „Les images que nous voyons reposent sur des oppositions qui nous ont été inculquées depuis longtemps (hétérosexuel·le/homosexuel·le, masculin/féminin, africain/non africain). Dès la naissance, on nous apprend à intérioriser nos existences, oubliant parfois que lorsque les corps sont connectés, se lient, la sensualité va au-delà des compréhensions simplistes du genre et de la sexualité.“
Odes à la beauté noire
Autre série, tout aussi importante, les „Brave Beauties“ (2014 – en cours), une série de portraits qui représentent des personnes issues des communautés LGBTQIA+ participant à des concours de beauté, afin de vivre leur différence, mais aussi pour remettre en question les stéréotypes et les préjugés à leur encontre. Autre élargissement du champ politique, occuper les espaces urbains autrefois interdits, en donnant une dimension queer à l’espace public. Cela en posant notamment sur des plages, longtemps accessibles seulement à la communauté blanche.
Les photos de Zanele Muholi sont sculpturales, magnifiques, les visages éclaboussent le regard de leur beauté et les corps sont des offrandes, des témoignages délicats, d’une grande vérité. Ses autoportraits, splendides, sont des odes à la beauté noire. Pour cela Zanele Muholi accentue les contrastes et la noirceur de sa peau, une façon de reconquérir sa négritude. Elle détourne des objets du quotidien pour s’en coiffer, des pinces à linge, des éponges métalliques, qui donnent une sensation d’étrangeté et de beauté insolite. Elle use de ces objets pour rappeler la condition des femmes sous le colonialisme, domestiques auxquelles on donnait des noms anglais au lieu d’utiliser ou de se souvenir de leurs vrais noms. Ainsi les titres de ces portraits sont en zoulou, la langue maternelle de l’artiste. Et les objets dont elle se pare, véritables ornement, sont ceux que ces domestiques utilisaient. Sublimation des conditions humaines, Zanele Muholi est un.e grand.e artiste.
Zanele Muholi
Jusqu’au 21 mai 2023
Maison européenne de la photographie
5/7, rue de Fourcy
75004 Paris
www.mep-fr.org
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