PhotographieUne immersion dans l’univers Yanomami: l’œuvre de Claudia Andujar à la Fondation Cartier

Photographie / Une immersion dans l’univers Yanomami: l’œuvre de Claudia Andujar à la Fondation Cartier
A une époque de mondialisation la protection de l’identité Yanomami nous concerne plus que jamais Photo: Claudia Andujar

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L’exposition de la photographe et militante Claudia Andujar nous plonge dans un univers à la fois documenté et enchanteur, forgé par les lois du cosmos, celui des Indiens Yanomami. Claudia Andujar provoque une rencontre nécessaire, elle est aujourd’hui et depuis des décennies la vigie et l’émissaire de cet autre monde. 

La protection de l’identité et du territoire Yanomami nous concerne plus que jamais, à une époque où la marchandisation et la mondialisation voudraient abattre les défenses et les particularités des peuples. Claudia Andujar, née en Suisse en 1931 d’un père juif hongrois et d’une mère suisse protestante, a fui les persécutions nazies en vivant avec sa mère en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Son père a été déporté et exterminé à Dachau avec la plupart des membres de sa famille.

En 1946, Claudia Andujar s’établit à New York. Puis elle retrouve sa mère en 1955 au Brésil. Passionnée par le pays, elle en parcourt les régions et rencontre les Yanomami. Moment décisif, comme si elle allait également à la rencontre d’elle-même à travers cette population fragile, menacée par les Blancs. Elle décide alors de consacrer son travail aux Yanomami. En 1971, elle obtient pour cela la bourse Guggenheim. Elle n’aura de cesse de documenter la vie de cette population. Monde enchanteur et parcouru de légendes et de rites.

Malgré l’obscurité de la forêt dans laquelle les Yanomami vivent, les photographies sont baignées d’une lumière particulière, de couleurs éclatantes, de corps en confiance dans l’environnement qui leur est dévolu. La photographe parvient parfaitement à nous donner l’impression d’un paradis sur terre, d’une terre ancestrale parcourue de toutes sortes d’esprit et où les chemins des forêts sont connus par cœur, là où d’aucuns s’y perdraient.

Une vaste cosmologie

„Je suis liée aux Indiens, à la terre, à la lutte première“, écrit Claudia Andujar. Tout cela me touche profondément. Tout me semble essentiel. Peut-être ai-je toujours cherché la réponse au sens de la vie dans ce noyau fondamental. J’ai été poussée là-bas, dans la forêt amazonienne, pour cette raison. C’était instinctif. C’était moi que je cherchais.“

En effet, la part belle faite à l’instinct est une intelligence que nous avons perdue. Cette façon d’être prévaut, contrairement à nos modes de vie dévolus à la marchandisation. La forêt est pour les Yanomami une entité vivante faisant partie d’une vaste cosmologie. Tout y compte, tout est lié, les humains, les êtres invisibles de la forêt, les images chamaniques des arbres et des animaux. Autant dire que l’être humain est impliqué dans un vaste réseau qui nous échappe. Et les photos de Claudia Andujar, grâce à certains recours techniques, comme des pellicules infrarouges, le flou, de la vaseline sur l’objectif, parviennent à retranscrire la sensation du flottement des esprits et les hallucinations lors de séances chamaniques.

Ce sont des moments précieux, délivrés en grande confiance, Claudia Andujar ayant su se faire accepter et s’immerger dans le quotidien des Yanomami. La forêt y est un univers, la possible représentation d’un monde mythique. Claudia Andujar a fondé en 1978, avec le missionnaire Carlo Zacquini et l’anthropologue Bruce Albert, la Commissão Pro-Yanomami (CCPY) et lutté pour délimiter et faire reconnaître le territoire yanomami. Les Indiens Yanomami redoutent les hommes blancs, qui propagent des virus mortels comme la rougeole, créent des épidémies, ont des projets de déforestation et de colonisation agricole, au mépris de leurs droits. Ce qui n’est pas sans rappeler cruellement que la lutte pour ces droits est de nouveau d’actualité avec la politique du président Bolsonaro et la conquête de la forêt.

Et depuis ce monde enchanteur, avec la cruauté de la photographie qui en expose l’envers, l’Occident et son système de prédation, Claudia Andujar montre combien l’homme blanc amène également la prostitution et la pornographie, à proximité des chantiers. Claudia Andujar participe à des programmes de santé et des campagnes de vaccination des Yanomami sont mises en place. Ironie du sort, pour les sauver, ceux-ci portent un numéro autour du cou, qui sert à les identifier et qui n’est pas sans rappeler, à rebours, l’étoile jaune des camps. De l’innocence des temps bénis à ces images, l’écart est vertigineux, comme si la relation intime avec la terre, l’eau, le ciel, était amputée, rétrécie, l’âme Yanomani méconnue et maltraitée.

Un nom pour la colère

Davi Kopewana, chaman et porte-parole des Indiens Yanomami du Brésil, est également l’invité de cette exposition. Né en 1955, il a vu son groupe d’origine décimé par les épidémies de maladies infectieuses, ceci en 1959 et 1967. Son nom, Kopewana, un nom „pour la colère et pour parler durement aux Blancs“, provient d’un rêve chamanique. En 1997, avec l’appui de la CCPI, et grâce à lui, un territoire de 96.650 km de forêt est réservé à l’usage exclusif des Yanomami.

„Parfois, nous avons peur que les Blancs n’en finissent avec nous. Pourtant, malgré tout cela, après avoir beaucoup pleuré et mis les cendres de nos morts en oubli, nous vivons heureux. Nous savons que nos morts s’en vont rejoindre les spectres de nos anciens sur le dos du ciel, là où le gibier est abondant et les fêtes sont incessantes.“ (Davi Kopenawa)

Les Yanomami effacent toute trace de vie d’une personne lorsqu’elle meurt, en brûlant ses affaires et son habitation. Comme une marque ultime d’humilité envers ce qui est plus grand que soi et que, pour notre malheur, nous avons perdu de vue. L’instinct de vie, cette intelligence, nous font peut-être à jamais défaut. Alors nous nous immergeons dans la beauté et l’énigme humaine, grâce aux Yanomami, et au travail bouleversant de nécessité et d’exigence, de Claudia Andujar.

Infos

Claudia Andujar, „La Lutte Yanomami“
Jusqu’au 10 mai 2020
Fondation Cartier pour l’art contemporain
261, boulevard Raspail
75014 Paris
fondation.cartier.com