La réalisation, le vernissage et la contemplation de chaque œuvre se feront à ciel ouvert, indépendamment du temps qu’il fera. Tous les deux mois, c’est sur le tableau de son prédécesseur qu’un nouveau graffeur viendra vider ses bombes. Et il ne s’en offusquera surtout pas. „Il n’y a que les diamants qui sont éternels“, s’amuse Sader, en reprenant une expression bien connue dans le milieu hip-hop, du ventre duquel a jailli le graffiti il y a plus de quatre décennies.
Fondateur de l’association „I love graffiti“ et importateur au Luxembourg du projet „Le Mur“, Sader n’oubliera pas au préalable de documenter et partager sur les réseaux sociaux le travail des artistes invités. Cette publicité qui prolonge la durée de vie des œuvres, c’est ce qu’il manque à un projet similaire réalisé sur la tour d’aération installée sur le „Knuedler“. En collaboration avec la coordination culturelle de la ville de Luxembourg, des graffeurs s’y relayaient tous les deux mois pour rhabiller cet équipement de chantier dans un relatif anonymat. Sans communication ni vernissage …
„Un lieu de rencontre“
C’est dans le quartier Oberkampf du 11e arrondissement de Paris que le concept „Le Mur“ a commencé. C’est là où vingt ans plus tard 444 graffeurs ont eu les uns après les autres l’occasion d’exprimer leurs talents et que leurs héritiers continuent de disposer d’un espace de peinture le long d’une artère fréquentée. C’est là aussi que Sader a trouvé les contacts pour importer au Luxembourg une idée qui a déjà fait 23 petits dans d’autres villes de France, et s’apprête ainsi à franchir une deuxième fois les frontières, après avoir atteint la Belgique.
Pour la déclinaison luxembourgeoise du concept, c’est le mur d’un parking hors du temps à l’angle des rues Bender et Fort Neipperg, dans un coin hybride du quartier de la gare, entre cabarets et immeubles de bureaux, qui a été retenu. C’est un lieu de transit, davantage encore depuis que l’ADEM voisine y a fermé ses portes. Mais c’est à un nouvel emploi, plus festif, que le carrefour est désormais appelé. Les organisateurs avaient dans un premier pensé à un mur du centre culturel de la rue de Strasbourg. Mais, des travaux prévus pour durer deux années supplémentaires ont empêché de le faire. „On aime l’énergie du quartier de la gare. C’est un endroit qui nous intéresse pour son aspect populaire. Ici, c’est moins vivant au premier abord, mais il y a quand même du passage. Et on espère en faire un lieu de rencontre“, explique Sader, au moment de repeindre en blanc la façade qui accueillera dorénavant la crème du graffiti.
Avec un projet comme „Le Mur“, les graffeurs passent dans une nouvelle dimension. Ils obtiennent une nouvelle visibilité, légale, au cœur de la ville. Les artistes retenus sont des graffeurs professionnels. „C’est ceux-là qu’on essaie de valoriser. Ici, c’est une vitrine en plus pour faire leur promotion.“ Un passant peut être intéressé par le travail de l’un d’eux et lui acheter une œuvre moins monumentale. En effet, pour gagner sa vie avec son art, un graffeur doit soit peindre sur des surfaces toujours plus grandes lors de projets plus ambitieux encore que „Le Mur“ et augmenter ainsi ses honoraires, ou alors multiplier les médiums et opter par exemple, comme beaucoup le font, pour la toile. Ce 20 mars, une toile du Luxembourgeois Sumo s’est d’ailleurs vendue à 5.250 euros aux enchères sur les bords de la Moselle.
La transmission des connaissances est une autre source de financement. Sader qui vit lui-même du graffiti, en apprécie la fraîcheur. Il fait aussi de la décoration et cultive depuis peu le goût de la coordination au service du travail des autres. L’année dernière, il a organisé aux Rotondes le projet „Back to the Books“ sur le thème du black book, ce livre d’esquisses que les graffeurs s’échangent jalousement. La manifestation avait culminé dans un battle de sketches épique, de six heures, durant lequel vingt-quatre artistes devaient écrire des mots le plus rapidement possible avec style. 400 mètres carrés de peinture fraîche avaient été consommés ce jour-là.
„On a une ligne“
En tant que graffeur, Sader pratique surtout le „style writing“, avec une préférence pour les formes arabesques. Mais il explore également d’autres styles comme le font nombre de ses confrères. „Le graffiti, c’est s’exprimer avec son nom. Après, il y a des artistes issus du graffiti, qui font des travaux post-graffiti, qui ont développé des projets qui vont plus loin que le graffiti classique. On veut aussi les promouvoir. Et bien sûr on reste ouverts aux „street artists“ et „urban artists“. Mais on a une ligne», explique-t-il. Le „street art“, dont Banksy est l’auteur le plus emblématique – et sans doute aussi le plus intègre –, est marqué par une tendance au mainstream et au commercial, qui suscite la méfiance des puristes. Beaucoup des „street artists“ de surcroît ne sont pas passés par la case graffiti.
Les artistes invités sont libres de peindre ce qu’ils veulent, de s’inspirer des lieux ou non. „Chacun fait ce pour quoi on l’appelle, pour son style.“ Et c’est justement pour que le passant s’y retrouve qu’un vernissage accompagnera la présentation de l’œuvre tout juste finie. Le graffiti est un langage d’initiés et demande comme toute autre forme d’art à être expliquée. „Moi Picasso, je ne comprends pas si on ne m’explique pas son background et son parcours. C’est pareil pour le graffiti», observe Sader.
En fait, le projet „Le Mur“ s’inscrit dans une politique de la ville de Luxembourg opérée depuis un quart de siècle et l’abandon aux graffeurs des parois des anciens abattoirs de Hollerich. Sader se souvient de „la bonne claque“ qu’il avait reçu en découvrant les lieux au début des années 2000, alors que dans sa ville natale de Metz, il avait fallu attendre 2008 pour que des murs soient ainsi „légalisés“. Hollerich, „c’est le hall of fame“, dit-il. „C’est l’endroit où les jeunes et moins jeunes aussi, viennent s’adonner à leur hobby. C’est la salle de sport du graffiti.“ Le projet „Le Mur“ en est en quelque sorte la projection en ville, la vitrine.
Sader assume qu’il s’agit aussi d’une forme d’institutionnalisation de la pratique du graffiti. „Quand bien même un artiste graffiti a commencé dans la rue, quand sa démarche artistique évolue avec une pensée, une logique, etc., c’est précieux de disposer d’un mur d’expression comme celui-là“, estime Sader. La connexion avec les racines n’est pas perdue pour autant, notamment par ces „repassages“ sur un même mur. L’organisateur voudrait même approfondir le lien en adoptant un rythme mensuel plus en phase avec celui de la rue. Et si les œuvres doivent à l’avenir toujours rester éphémères, le support, lui, est pensé pour durer, y compris par la suite dans la rue de Strasbourg. Pour l’instant, l’accord avec la ville de Luxembourg court sur dix-neuf représentations bimensuelles, soit jusqu’en 2025.
25 mars
Le premier graffeur professionnel à investir le „Mur“ de Luxembourg est l’incontournable Sumo et son personnage „Crazy Baldhead“. Le vernissage est fixé au 25 mars à 16.30 h sur place. Et on pourra déjà le voir en action sur place dès la veille.
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