Parlons hauts-fourneaux et industrie du fer avec la chanson de Bruce Springsteen sur le centre sidérurgique de Youngstown dans l’Ohio.
Le haut-fourneau a constitué pendant longtemps le symbole majeur en pays de sidérurgie comme le Bassin minier du sud-ouest du Luxembourg ou la Lorraine ferrifère. Par centaines, dans les années 1960 encore, les hauts-fourneaux, petits, moyens ou géants, imposaient leur présence à toute une région vouée au travail de la fonte et de l’acier. La palme revient sans conteste à Differdange, avec ses dix hauts-fourneaux alignés, un véritable record. Ce cas de figure, dix hauts-fourneaux en ligne, ne s’est présenté ailleurs dans le monde qu’en deux endroits seulement: aux Etats-Unis, à Gary dans l’Etat de l’Indiana, et en Allemagne, sur la rive gauche du Rhin, l’usine Krupp de Rheinhausen (Ruhr).
A propos hauts-fourneaux: pour les historiens qui s’intéressent à Differdange, il ne faut surtout pas oublier Lasauvage, dont la forge et les fourneaux ont marché pendant plus de deux siècles (XVIIe-XIXe siècles). Mais les fourneaux de Lasauvage étaient alimentés, pour l’essentiel, en minerai de fer fort tiré du plateau de Differdange ou de la forêt de Sélomont (sur territoire français). Le site de Lasauvage n’est pas ou très peu concerné par la „minette“, la catégorie de minerai de fer de faible teneur qui a donné naissance à la grande industrie sidérurgique lorraine-luxembourgeoise et dont des légendes, persistant côté luxembourgeois, évoquent un côté découverte ou redécouverte, alors que ces gisements étaient connus depuis la nuit des temps par la population locale. „Found the ore that was linin’ Yellow Creek …“ Quand en 1896, sur initiative des barons de Gerlache, sont montés les deux premiers hauts-fourneaux de l’usine de Differdange, hauts-fourneaux destinés à être alimentés en minette, ce minerai est déjà exploité depuis plus de vingt ans sur le territoire de la commune de Differdange. Les de Gerlache, eux-mêmes grands propriétaires de terrains miniers, exportent depuis 1873 la minette qu’ils font exploiter sur leurs terres.
Anciens hauts-fourneaux de Lasauvage, déjà hors feu au début des années 1870. Hauts-fourneaux de la nouvelle usine de Differdange, très modernes pour l’époque, dès 1896-97. Et entre ces deux dates? Entre 1870 et 1896? Rien? Si, n’oublions pas Hussigny, en Meurthe-et-Moselle (France), où un haut-fourneau a été élevé dès le début des années 1880. Comme cette petite usine était établie dans la vallée de la Côte rouge, séparant Differdange d’Hussigny (une partie du minerai alimentant cette usine était d’ailleurs extraite de terrains sis sur le ban de la commune de Differdange), le personnel de cet établissement était composé aussi de beaucoup de Differdangeois.
„They built a blast furnace …“ On lit souvent: „Telle société construit des hauts-fourneaux …“, étant entendu que ceux qui construisent (en réalité ils font construire) seraient les maîtres de forges eux-mêmes ou les sociétés ou compagnies qu’ils représentent. Il serait temps de s’intéresser de plus près aux véritables constructeurs sur le terrain; ils peuvent éclairer d’un jour nouveau la dimension ici également transrégionale, voire transnationale, surtout en ce qui concerne l’époque pionnière.
Au Luxembourg, dès qu’on parle construction de hauts-fourneaux, on évoque les Etablissements Paul Wurth, en oubliant de préciser que pendant longtemps, ils ont exploité les brevets Ashmore et Freyn, bien avant la conception et la diffusion de leur gueulard sans cloche, authentique invention Paul Wurth des années 1970. C’est l’ingénieur belge Bérenger qui a conçu les premiers hauts-fourneaux de la „Metzeschmelz“ à Esch-Schifflange, en 1870; l’ingénieur belge Eugène Boulanger ceux de la „Brasseurschmelz“ à Esch-Barbourg, en 1871; les entreprises Munier, Stehelin et plus tard Pohlig, l’usine à fonte de Rumelange. Le géant DEMAG de Duisburg construit les hauts-fourneaux de l’usine sidérurgique géante de Belval en 1911-12 pour le compte de la „Gelsenkirchener“. Ces noms, je les ai trouvés presque par hasard, en compulsant de nombreux textes – a priori arides pour les non-initiés – de la littérature technique. Il y en a d’autres, des noms, des dizaines d’autres, des Allemands, des Belges, des Anglais, des Français, des Autrichiens.
„And they made the cannon balls …“ Depuis longtemps, j’avais constaté, dans le cénacle des exégètes en matière de sidérurgie, la persistance d’une forme de déni ayant trait aux productions des usines. Dans nos régions surtout (Lorraine et Luxembourg), les maîtres de forges n’auraient jamais eu affaire aux productions de guerre. Les marchands de canons, c’étaient les Schneider du Creusot, les Aciéries de la Marine de Saint-Chamond, les Krupp à Essen … mais pas les de Wendel d’Hayange-Moyeuvre, pas l’Arbed luxembourgeoise … La génération d’après-guerre, bien dans l’air du temps, se refusait à voir dans ces célébrités régionales autre chose que des fabricants de demi-produits, de poutrelles, de rails, de tôles … que du pacifique!
Là aussi, basta! Hayange, bien avant les de Wendel, faisait partie des Trois-Evêchés, plus ou moins contrôlés par le Royaume de France (contrairement à la plus grande partie de la Lorraine, restée indépendante jusqu’en 1766). Les propriétaires ou fermiers des forges d’Hayange ont toujours roulé pour la France, fournissant aussi de quoi équiper les troupes des rois de France (boulets en fonte pour les canons, etc.). Les de Wendel, en s’installant à Hayange et Moyeuvre (XVIIIe-XIXe siècles) poursuivirent cette tradition (n’oublions pas les deux canons de leur sigle): boulets de canons, peut-être les canons eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, les armées avaient un grand besoin de fer, à commencer par les chaînes et ferrures des affûts des canons, les bandes de fer destinées à cercler les roues des chariots, etc. un bon client que l’armée, de tout temps. Histoire de la sidérurgie et histoire militaire sont indissociables.
Les mêmes œillères historiques ont existé au Luxembourg. Toutes les productions de l’industrie ferrifère luxembourgeoise n’auraient jamais concerné l’industrie de guerre, de quelque pays que ce soit … Les grenades fabriquées par la Gelsenkirchener à Belval, l’acier Thomas et le matériel de guerre produits par les usines de l’Arbed pour l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale, les poutrelles Grey de l’usine de Differdange servant à reconstruire des ponts détruits sur le front (ponts construits par les Allemands en 14-18, par les Américains à la fin de la Seconde Guerre mondiale), la minette devenue indispensable au réarmement hitlérien de 1937. Tous ces exemples amènent la preuve qu’en temps de guerre, l’industrie du fer est très sollicitée, par tous les belligérants …
Récemment, l’historien luxembourgeois Jacques Maas a réussi à savoir que l’usine de Differdange de l’époque Differdange-Dannenbaum (au tournant des XIXe-XXe siècles) comptait dans ses actionnaires des Italiens de la région de Gênes où ils étaient actifs dans les chantiers navals. Ces derniers, évidemment, avaient pris commande d’acier Thomas de l’usine de Differdange, acier qu’ils convertirent en plaques de blindage dans leurs chantiers navals, plaques pour équiper des navires de guerre destinés à l’exportation, notamment en direction de l’Argentine et du Japon. En 1904, c’est la guerre russo-japonaise. Le Japon la remporte, grâce notamment à ses victoires navales, reposant sur la supériorité de sa marine de guerre comprenant des vaisseaux de guerre italiens flambant neuf, comportant des éléments de blindage faits à partir d’acier de Differdange … „These mills they built the tanks and bombs …“
Sur l’auteur
Luciano Pagliarini, né en 1957 à Differdange, est un musicien de jazz, compositeur et historien, spécialiste de l’histoire de la sidérurgie et des mines. Il a publié plusieurs dizaines de livres et d’articles sur l’histoire du Bassin minier lorrain-luxembourgeois. Il a aussi enregistré plus de 100 entretiens audio avec des hommes et des femmes qui ont vécu et travaillé dans cette région industrielle.
This Hard Minett Land
Von März bis Oktober 2022 laden das Tageblatt, das Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C²DH) und capybarabooks die LeserInnen jeden Freitag zu einer besonderen Entdeckungsreise durch Luxemburgs Süden ein. Rund vierzig SchriftstellerInnen und HistorikerInnen lassen sich von Bruce Springsteens Songs inspirieren und schreiben Texte über das luxemburgisch-lothringische Eisenerzbecken, „de Minett“, sowie über diejenigen, die dort geboren oder dorthin eingewandert sind, dort gelebt, gearbeitet, geliebt, geträumt, gehofft, gekämpft, Erfolg gehabt oder versagt haben. Begleitet werden die Texte in deutscher, englischer, französischer und luxemburgischer Sprache von Illustrationen des Luxemburger Künstlers Dan Altmann. Im Herbst erscheinen sämtliche Texte und Zeichnungen dann versammelt in Buchform bei capybarabooks. Bis dahin heißt es: „Son, take a good look around/this is your … Minett Land!“
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