La visite débute par deux extrêmes de la peinture, une peinture du Moyen Age côtoie une œuvre de Picasso. Deux femmes, „Sainte Madeleine en pleurs“, par le Maître de la Légende de Sainte Madeleine (vers 1525) et „La Suppliante“ de Picasso (1937). Le Moyen Age et ses conventions offrent un visage de profil et neutre. Les symboles de l’émotion sont représentés par un mouchoir, une larme qui perle au coin de l’œil. Portrait d’une tenue extrême, dans la structure, la composition, la codification, alors que la liberté semble à son comble avec „La Suppliante“ de Picasso au visage tourné vers le ciel, ouvert sur le désarroi, que viennent souligner des bras levés en supplique. Raccourci extrême qui nous permet de mesurer les écarts et la liberté de l’artiste moderne, une liberté esthétique qui s’est peu à peu affirmée.
Habiller notre condition d’émotions
C’est en puisant dans le répertoire des affects, de ses représentations, que nous cheminons à travers le temps, en tenant compte des évolutions plastiques et de ce qu’elles doivent parfois à la science, notamment dans la représentation des affects. Ainsi, dans les débuts de la représentation, qu’il s’agisse de portraits historiques ou plus intimes, le visage ne manifeste pas d’émotion particulière – comme si un souci de dignité et de neutralité prévalait et que pour aborder ces peintures, il s’agissait d’en lire la symbolique par une réunion d’objets représentés.
Après les sujets religieux, des scènes laïques, notamment inspirées de la littérature courtoise, prennent le relais, sans pour autant jouer de l’expressivité des visages et des corps. Pour l’annonce d’un mariage, une femme au visage impassible tient une fleur entre les doigts. Et pour ne pas oublier notre condition, s’extasier au passage devant la vanité de Philippe de Champaigne, „Vanité ou Allégorie de la vie humaine“ (première moitié du XVIIe siècle), un crâne humain posé au centre de la toile, entre un sablier et une fleur qui fane, dans un jeu de transparence et de lumière qui ne fait qu’ajouter à la cruauté de cette image. Œuvre dépouillée qui donne la nostalgie de l’incarnation.
Habiller donc notre condition de ses émotions, les porter au plus près de l’expression, du romantisme, et parfois de l’abstraction, qui n’en perd pas moins de sa force, telle la masse du visage de Fautrier, un visage de pierre, pour la „Tête d’otage“ (vers 1944-1945). Mais avant d’en arriver là, à cette liberté d’évocation, nous cheminons subtilement vers une émotion de plus en plus apparente, jusqu’à, parfois, un expressionnisme échevelé. Et nous comprenons peut-être une part du mystère de la Joconde, dont une copie très aboutie, du XVIIe siècle, est présentée ici. Ce regard mystérieux, le sourire à peine esquissé, ne tiendraient-ils pas de l’économie des manifestations du sentiment, de la neutralité que l’on quitterait peu à peu, pour une expression qui ne relèverait aucunement de l’anecdote?
L’expression réaliste des sentiments
Au XVIIIe siècle, l’émotion est codifiée et les déformations du visage font l’objet d’une publication posthume, ouvrage du peintre du roi, Charles Le Brun, „Méthode pour apprendre à dessiner les passions“, proposée dans une conférence sur l’expression générale et particulière. Cette méthode sert aux peintres, mais aussi aux comédiens qui théâtralisent leurs postures, avec une certaine emphase, une façon de surjouer le sentiment pour mieux le faire comprendre. Ainsi, certaines scènes mettant le public de théâtre aux premières loges montrent sur celui-ci les effets du mélodrame, jusqu’à l’évanouissement ou la pâmoison.
Des visages aux expressions outrées se pressent autour de l’âme sensible, telle cette scène de Louis Léopold Boilly, „L’Effet du mélodrame“ (vers 1830). Il y a également, dans une œuvre excessive d’Antoine Joseph Wiertz, „Faim, folie et crime“ (1853), une femme délirante et souriante, hallucinée, qui découpe son enfant, dans un élan de cannibalisme. Passé ces excès et quelques extravagances romantiques, le XIXe siècle est celui de l’expression réaliste des sentiments. De la misère exposée, y compris celle de l’artiste dans son atelier, mais aussi d’une délicatesse, comme on peut la voir avec l’œuvre très fine de Courbet, „Les amants dans la campagne“ (après 1844). Mais il y a aussi Daumier, qui sait si bien osciller entre la satire et la représentation profondément humaine des scènes de la vie ordinaire, montrant des petites gens comme des personnages politiques.
Au fil du temps et de l’exposition, nous découvrons des merveilles, comme „Le Verrou“ (vers 1777-1778) de Fragonard, des œuvres comme celle de Rodin, Egon Schiele, mais aussi un visage réduit à l’essentiel, stylisé, aussi vibrant de couleurs, la „Tête de femme“ (1911), de Jawlensky. Avec le XXe siècle, on s’éloigne du réalisme et de ses apparences, au profit d’une distorsion, d’une abstraction, d’une évocation, d’un imaginaire. L’exposition s’achève par une installation de Boltanski, „Monument“ (1985), où l’on voit bien comment l’expression des sentiments, comme avec Fautrier, est mise à distance, au profit d’une élaboration mentale, sans se détourner de la préoccupation esthétique.
Infos
Jusqu’au 21 août 2022
Musée Marmottan Monet
2, rue Louis-Boilly
F-75016 Paris
www.marmottan.fr
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können