A l’auditeur qui sait lui prêter attention, le rap offre une fenêtre sur des univers et des imaginaires auquel l’auditeur n’aurait pas accès autrement. Rien n’est plus vrai avec Sixo. Parce que, dans ses textes, le rappeur d’Echternach fait le choix de parler de lui le plus souvent, sans tricher, malaxant les émotions qu’un parcours difficile et tortueux a charriés. Le parcours qu’il raconte sur le deuxième morceau de son premier album, „Bipolar“, sorti en novembre dernier, lui a valu une belle notoriété au sein de la jeunesse luxembourgeoise. Sur „Ass et normal“, il questionne „Ass et normal, datt meng Emotioune méi dréche sinn wéi Stëbs oder Sand an da Sahara/ Ass et normal, datt se säit kuerzem mech sou gäeren hunn, oder ass et einfach eng Fatamorgana“. Sept mois et un deuxième album plus tard, Sixo continue à considérer ce titre comme sa „masterclass“, s’émerveillant de l’effet de son refrain en même temps qu’il le reproduit.
Rap à double tranchant
Sixo n’aime pas beaucoup s’étendre sur son parcours, sur ses errances, sur une voie qu’il regrette aujourd’hui d’avoir emprunté. Il suffit qu’il dise qu’il a vu et subi des choses qu’il ne souhaite à personne de vivre et subir, pour qu’on lui concède le droit à l’oubli. „Quand on est petit, on veut être comme les grands, être cool, on veut traîner avec des personnes qui ne sont peut-être pas bonnes pour son futur“, dit-il. Dans les oreilles, le jeune Sixo écoutait un rap agressif et viril; comme celui des rappeurs français Gradur ou Kaaris, ce qui n’était pas de bon conseil. „Si on écoute ça depuis petit, on croit que c’est normal, mais ce n’est pas normal.“
Le rap a pu être une partie du problème dans la vie de Sixo, âgé aujourd’hui de 21 ans. Mais il en a été aussi une partie de la solution. „J’ai commencé à réaliser que le rap n’est pas nécessairement fait pour qu’on devienne un gangster, mais c’est aussi la musique, une culture entière qui est derrière ça.“ A 15 ans, lui qui joue du piano depuis son enfance, a découvert le pouvoir de l’écriture pour évacuer les épreuves par les textes plutôt que par la violence. Et la voie autobiographique qu’il emprunte dans son rap est vouée à être la bande-son de jeunes gens avertis, qu’il veut „renforcer mentalement“. „Je veux que les jeunes, avec ma musique, apprennent que la violence n’est pas le bon lieu de refuge, même si tu veux être comme les gens que tu vois à la télé, ou dont tu écoutes la musique. Ça te donne le sentiment d’être puissant, mais ce n’est pas puissant comme tu le crois. Avec la violence viennent beaucoup de problèmes et de familles détruites.“
Sur son deuxième album, le morceau „Fridden“ („Et gëtt kee Wee fir de Fridden, well de Fridden, dat ass de Wee“) indique la voie à suivre. „Dans la vie, si t’es avec six personnes intelligentes tous les jours, tu vas devenir la septième, mais si t’es avec six personnes qui font n’importe quoi, tu seras la septième à faire n’importe quoi.“
Le feu au lac
Quand il longe les terrains de sport à l’arrière du lycée classique, Sixo indique de lui-même et avec amertume que c’est là que ses problèmes ont commencé. Entre cet endroit et la scène de l’e-Lake, il y a quelques hectomètres pour les promeneurs, mais des années de galère pour Sixo. Alors, monter sur la scène de l’e-Lake est pour lui un premier accomplissement dans sa jeune carrière commencée il y a trois ans. Il est toujours allé à l’e-Lake en voisin et s’est juré de s’y produire ce jour où, touchant la scène de la main, il a pris un rendez-vous en secret. C’est une victoire lors du concours pour jeunes talents „Screaming Fields“ qui lui a permis d’accéder à son rêve.
Sixo n’appréhende pas pour autant le concert de ce soir. Il a déjà une quinzaine de concerts à son actif (au Melusina et à la Rockhal notamment). Et puis, cette première fois a tout d’un déjà-vu. „J’étais déjà sur scène au e-Lake dans ma tête. Quand je m’endors, je vois cela en rêve. Je suis déjà devant des milliers de personnes. Pour moi, c’est rien de nouveau. Je savais qu’un jour j’y serai. Ce moment-là va être notre jour, à Echternach, à nous“, dit, sûr de lui, celui qui a utilisé le premier et le dernier chiffre du code postal de la ville pour former son blaze: un 6 et un 0.
Il savoure cette victoire symbolique. Dans le morceau d’ouverture de son deuxième album, „Erënnerungen“, tout juste sorti avant le festival, il chante „Kee wollt mir dach hëllefen/Elo op da Bühn kucken se alleguer op mech“. „Je ne suis encore qu’au début, mais je remarque déjà qu’il y a beaucoup de gens qui disaient que je n’y arriverais pas. Et maintenant, ils viennent me voir.“ „C’est une revanche“, acquiesce-t-il. „Une revanche sans parler.“ Sixo ne s’est pas facilité la tâche. Il avait commencé à rapper en français et avait éveillé les doutes en décidant de bifurquer vers le luxembourgeois pour pouvoir se raconter avec plus de mots encore. „Je veux représenter mon pays avec ma langue“, dit-il.
Le travail a fait la différence, celui qui permet d’accomplir le „Grouss Dreemen“ qu’il chante aussi sur son disque. „Ma mère me dit toujours que je dois rêver grand, que je dois charbonner tous les jours, je dois transpirer tous les jours.“ Et c’est d’ailleurs au sort de sa mère qu’il mesurera son succès. „Mon succès sera le jour où je pourrai la mettre à l’abri, qu’elle n’ait plus besoin de travailler, et que mes frères que je compte sur les doigts d’une main puissent faire ce qu’ils veulent dans la vie“, explique cet enfant qui n’a jamais connu son père comme il le raconte dans „Eidele Mo“. „Je fais tout pour ma mère. Elle a trop souffert avec moi. Je dois lui donner quelque chose en retour.“ Sixo apprécie désormais le calme d’Echternach, les balades dans la nature environnante et pense d’ailleurs avoir trouvé sa vocation après un stage comme forestier. Ce plaisir, il se l’est forgé tout seul, comme cette phrase qu’il lâche pour dire le chemin parcouru. „La vie, ce n’est pas un biscuit. On doit vivre avec ce qu’on a et apprécier tous les jours.“
Info
Le concert de Sixo est programmé de 21 h à 21.30 h sur la Sunset Stage, où il passera après Chasey Negro et avant Balthasar-Rosenfeld-Leen-Moreira, Chefket, Das RADIAL et Blanket Hill. Sur la scène principale se succèderont Angel Cara (à 18.50 h), Chaild (à 19.40 h), Kaffkiez (à 20.45 h), Grossstadtgeflüster, De Läb & guests (23.50 h), M.O.M. Beatbox et Ryvage. Programmation de samedi et dimanche sur www.e-lake.lu
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