Freddie, adoptée en France, met pour la première fois les pieds en Corée du Sud. „Retour à Séoul“ est trompeur, car Freddie, 25 ans, ne cherche pas à retrouver ses parents biologiques. Et c’est pourtant ce qu’elle va faire peu à peu tout en découvrant un pays, une culture dont elle ne connaît ni les codes ni la langue. Elle débarque à Séoul sur un coup de tête. Elle traîne avec une bande de jeunes. On lui dit qu’elle a un visage typiquement coréen. Personnage antipathique, pas aimable au contact de son pays natal, elle ne va pas là où on lui demande d’aller. Elle refuse de se conformer à la gentillesse asiatique. Elle regarde les gens de haut. Freddie est parisienne, elle ne partage pas leur culture.
Dans son troisième long métrage, le réalisateur français d’origine cambodgienne Davy Chou aime son personnage, qu’il filme avec, aussi, sa réalité. „Retour à Séoul“ déroule pendant deux heures une forme de surprise continuelle dans la façon dont son héroïne réagit. Freddie bifurque, elle prend les chemins qu’elle veut. Davy Chou filme et il continue à filmer sans réserve. La durée des séquences laisse du temps pour regarder le visage de Freddie, incarnée par une non professionnelle, Park Ji-min. Le phénomène de l’adoption est très connu en Corée. Il est même devenu un sujet cliché. Davy Chou s’en écarte, aimanté par la jeunesse rageuse de Freddie. Il ne signe pas un film à thèse ou sociologique. Ce n’est même pas son histoire personnelle. Entretien.
Laure Badufle a servi de modèle pour le personnage de Freddie. Qui est-elle?
Davy Chou: Laure est née en Corée du Sud. Elle a été adoptée à l’âge d’un an par des parents français. Nous nous sommes rencontrés à la Business School à Paris. On est devenus amis. Personnellement, je ne suis pas un enfant adopté. Je n’ai jamais grandi dans un environnement asiatique. J’ai vécu à Lyon et à Paris. Après mes études, je suis allé pour la première fois au Cambodge, pendant six mois, voir où mes parents sont nés.
À 23 ans, Laure est retournée vivre en Corée du Sud où elle a rencontré sa famille biologique. Ce fut une expérience difficile. Elle m’a accompagné au Festival international du film de Busan où je présentais mon documentaire sur le Cambodge „Le Sommeil d’or“ (en 2011). Elle avait vécu deux ans en Corée du Sud. Elle y avait rencontré son père biologique, mais elle ne voulait plus le revoir. Finalement, elle a décidé de le retrouver dans une petite ville. J’étais le témoin de ces retrouvailles. Ce fut une grande émotion. J’ai pris des notes et des photos. Je savais, qu’un jour, j’allais en faire un film. On s’est retrouvés à Londres. Je lui ai parlé de mon projet qu’elle trouvait très positif.
Il y a aussi, dans le film, des éléments de votre propre vie. Comment avez-vous lié les récits?
Je ne suis pas coréen, je ne suis pas une femme … Ces éléments pouvaient bloquer la démarche. Heureusement, j’ai compris qu’il y avait aussi, dans l’histoire de Laure, quelque chose de mon expérience personnelle. Par exemple, mon premier voyage au Cambodge, le pays de mes parents. Quand j’ai compris cette connexion et qu’il est question d’identité, je me suis résolu à faire le film. Le rapport avec des autochtones, des adoptés ou non, m’intéressait aussi. C’est pourquoi beaucoup de personnages entrent et disparaissent dans le film.
Freddie n’a pas l’intention de retrouver ses racines. Elle voyage en Corée du Sud par hasard …
En effet. En fait, Freddie est la proie d’un conflit conscient et inconscient. Elle veut et ne veut pas retrouver ses racines. C’est aussi mon histoire. Quand je suis allé au Cambodge, j’étais très naïf. Les gens me demandaient si je voulais retrouver mes racines. En fait, j’avais surtout envie d’aller à l’étranger, c’était mon premier voyage. Rencontrer mes grands-parents était une expérience. Mais il n’était pas question pour moi de retourner aux sources. Quatorze ans plus tard, ma vie est complètement divisée entre Paris et le Cambodge où j’ai ouvert une société de production pour de nombreux réalisateurs comme le Cambodgien Kavich Neang („White Building“, 2021. Prix Orizzonti du meilleur acteur pour Piseth Chhun, ndlr).
Pouvez-vous nous parler de l’actrice Park Pi-min et du tournage?
Park Ji-min est une artiste plasticienne basée à Paris. Née en Corée du Sud, elle est arrivée à Paris très jeune. Elle n’est pas adoptée par une famille française. Elle n’avait jamais joué dans un film. Quand on s’est rencontrés, on a beaucoup parlé de nos propres vies. Il y avait aussi beaucoup de similitudes entre sa vie et celle de Freddie. En relisant le script, elle s’est interrogée sur le rapport du personnage à la féminité, au genre, aux hommes. Elle m’a poussé hors de ma zone de confort. Elle a décortiqué chaque scène du film. Nous avons pleuré lors de l’écriture de certaines scènes. Le propos est de montrer comment une asiatique européenne vit à Séoul, tout en tenant compte du racisme, de la colonisation, du jeune âge de Freddie et aussi du regard de la société coréenne, très fort. Ce qui m’intéressait, c’était l’évolution du personnage. Freddie vit une sorte de renaissance quand elle arrive en Corée du Sud. Finalement, nous avons réécrit le personnage à trois: Laure Badufle, Park Ji-min et moi-même.
Nous avons pleuré lors de l’écriture de certaines scènes. Le propos est de montrer comment une asiatique européenne vit à Séoul, tout en tenant compte du racisme, de la colonisation, du jeune âge de Freddie et aussi du regard de la société coréenne, très fort.
Freddie veut surtout rencontrer sa mère plutôt que son père, très désireux de la voir …
Cela dit beaucoup sur ce qu’on veut et ce qu’on n’obtient pas. Cela touche aussi à une certaine forme de patriarcat. Le documentaire „Une histoire à soi“ d’Amandine Gay montre que la plupart des enfants adoptés veulent rencontrer leur mère. „Retour à Séoul“ traite aussi de la distance: comment réduire l’écart entre le passé lointain et ce qu’on est devenu aujourd’hui? Le père ne respecte pas la distance du tout. Freddie ne supporte pas ce contact physique. Le temps pourra peut-être aider à trouver la bonne distance, le bon moment pour se rencontrer de façon équilibrée.
Vous parlez le coréen?
J’ai essayé de l’apprendre, mais je ne le parle pas. Nous avions une conseillère artistique franco-coréenne et un traducteur. Beaucoup d’amis coréens m’ont aussi aidé. C’était souvent le chaos mais je voulais être authentique.
„Retour à Séoul“, de Davy Chou. Avec Park Ji-min, Oh Kwang-rok, Guka Han, Louis-Do de Lencquesaing. En salles.
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