A l’été 1943, après avoir repoussé l’offensive allemande sur le saillant de Koursk, l’Armée rouge était à son tour passée à l’attaque. Elle avait d’abord repris Kharkov – aujourd’hui Kharkiv, en Ukraine – ainsi que le Donbass. Le 5 novembre, elle libérait Kiev – ou Kyïv –, la capitale ukrainienne. Sur le front italien, les Alliés occidentaux s’étaient pour leur part emparés du très stratégique port de Naples, au début du mois d’octobre, et faisaient désormais mouvement vers Rome.
Nous savons aujourd’hui que l’Allemagne avait perdu l’initiative et finirait par capituler sans conditions. Mais avant cela près d’un an et demi allait encore s’écouler et des millions d’individus devaient perdre la vie. En novembre 1943, la messe était donc encore loin d’être dite. Tous ceux qui dans les territoires occupés souhaitaient ardemment la défaite du Troisième Reich avaient néanmoins d’excellentes raisons d’espérer et hésitaient dorénavant de moins en moins à exprimer leurs sentiments.
L’„incorrigible attitude des Luxembourgeois envers tout ce qui est allemand“
„Die politischen und militärischen Ereignisse der letzten Zeit haben in den wiedereingegliederten Gebieten im Westen eine erhebliche Stimmungsverschlechterung zur Folge gehabt“, était-il ainsi noté dans un rapport de synthèse du Sicherheitsdienst, le service de renseignement de la SS, daté du 1er novembre 1943: „Besonders augenscheinlich trete diese Einstellung in Luxemburg zutage. Den darüber vorliegenden Berichten zufolge hat sich ‚die unverbesserliche Haltung der Luxemburger gegen alles Deutsche‘ zusehends gesteigert. Als Meinung der breiten Masse sei immer wieder zu hören, dass es jetzt ‚Deutschland an den Kragen gehe‘, denn an allen Ecken sei die Front ‚schwer angeschlagen und im Wanken‘. Seien diese Redensarten bei der bekannten Mentalität des Großteils der Luxemburger an sich nicht ungewöhnlich, so falle in der letzten Zeit auf, dass die deutschfeindlich eingestellten Kreise im Gegensatz zu früher verschiedentlich keinerlei Vorsicht mehr bei der Verbreitung ihrer Ansichten übten. Hin und wieder höre man die Meinung, dass selbst dann, wenn die ‚Preußen‘ gegen den einen oder den anderen vorgingen, man dies ruhig auf sich nehmen könne, denn in einigen Wochen sei man ja doch von den Tyrannen erlöst.“1)
Frapper, mais pas indistinctement
Dans ce climat délétère pour le régime d’occupation, le nombre de désertions de conscrits luxembourgeois avait explosé. Afin de lutter contre ce phénomène, le Gauleiter Gustav Simon avait décidé de punir les familles des déserteurs, en les expropriant et en les réinstallant de force en Silésie (dans la Pologne actuelle) et dans les Sudètes (dans la Tchéquie actuelle). Par une circulaire du 10 juillet 1943, il avait fait savoir aux cadres politiques les plus fiables du parti nazi et de la Volksdeutsche Bewegung (VdB) – en majorité des collaborateurs luxembourgeois – que c’était à eux que devait revenir la tâche de sélectionner les familles à transplanter.
Près de deux semaines plus tard, il avait précisé que les familles ayant au moins un autre fils de la classe d’âge 1925-26 prêt à remplir ses obligations militaires, ne seraient pas transplantées2). Le 27 novembre 1943, il insista de nouveau dans une troisième circulaire sur la nécessité de ne pas frapper indistinctement: „Wie ich schon des Öfteren betont habe, lege ich allergrößten Wert darauf, dass von der Möglichkeit der Umsiedlung in sparsamster Weise Gebrauch gemacht wird. In der Gegenwart sollen nur solche Familien umgesiedelt werden, aus denen ein Wehrpflichtiger desertiert ist. Sofern aber feststeht, dass die Eltern die Desertation weder veranlasst noch unterstützt haben, sondern im Gegenteil politisch zuverlässig sind, muss die Umsiedlung unterbleiben. […] In Zukunft sind alle Fälle, bevor sie meiner zuständigen Dienststelle in Luxemburg (Beauftragter für die Festigung deutschen Volkstums) zur Erledigung übertragen werden, mit dem Landesleiter der VdB Prof. Kratzenberg durchzusprechen. Solche Fälle, von denen Landesleiter Prof. Kratzenberg eine Umsiedlung nicht gutheißt, sind mir vom Kreisleiter zur Entscheidung vorzulegen.“3
Le rôle indispensable des collaborateurs luxembourgeois
Le Gauleiter se montrait prudent parce que les désertions touchaient également des familles considérées comme fidèles au régime nazi. Voilà pourquoi les cadres politiques luxembourgeois devenaient indispensables à la politique de transplantation. Eux seuls connaissaient suffisamment leurs concitoyens, le plus souvent leurs voisins ou collègues, pour être au courant de leur attitude politique.
C’était ainsi aux Ortsgruppenleiter et, dans les régions rurales, aux Ortsbauernführer que revenait ainsi la tâche de rédiger le cas échéant les „avis de transplantation“ („Umsiedlungsgutachten“). Ces cadres locaux du parti nazi et de la VdB jouaient grâce à ces évaluations politiques un rôle important dans les „commissions de transplantation“ („Umsiedlungsausschüsse“), dans lesquelles ils siégeaient au côté de représentants de l’administration et de la police allemandes.
L’importance des cadres politiques luxembourgeois à ce moment est encore soulignée par la spectaculaire promotion de Damien Kratzenberg. Tous les dossiers devaient préalablement passer par lui avant que Gustav Simon ne prenne une décision définitive. Cela conférait au chef nominal de la VdB un pouvoir nouveau et inédit puisque, depuis la mise en place de l’administration civile, il avait dû se contenter de vivoter politiquement dans l’ombre du Gauleiter.
Toujours les mêmes …
Les familles désignées pour la transplantation étaient également expropriées. Les biens mobiliers et immobiliers (fermes, maisons, appartements, etc.) dont ils étaient spoliés étaient par la suite revendus à bas prix à des collaborateurs luxembourgeois ou à des „Volksdeutsche“ originaires du Tyrol ou des Balkans. Ce transfert de propriété était chapeauté par la Deutsche Umsiedlungs-Treuhand GmbH (DUT), une entreprise allemande. Mais concrètement, les transactions étaient effectuées par les mêmes experts-comptables et notaires luxembourgeois qui s’étaient précédemment occupé de la vente et de la liquidation des „biens juifs“.
En octobre 1943, Wilhelm Brauckmann, l’un des chefs de service de l’Abteilung IV A („Verwaltung des jüdischen und sonstigen Vermögen“) de l’administration civile allemande, leur avait fait savoir qu’ils allaient reprendre du service4). Nous savons ainsi qu’à une date aussi tardive que le 1ᵉʳ juin 1944, le notaire Félix R. de Luxembourg, qui avait été très actif dans la liquidation de „commerces juifs“ dans la capitale, vendit les immeubles confisqués de Henri T. et de son épouse Elisabeth H., de Steinfort, à un couple germano-balte5).
Certains en profitaient au passage pour s’enrichir. Brauckmann, qui était marié à une Luxembourgeoise, accumula une véritable fortune pendant l’occupation6). A un niveau plus modeste, d’autres n’hésitèrent pas à s’approprier les biens de leurs compatriotes transplantés. L’agriculteur Leopold B. mit ainsi aux enchères le bétail et les machines agricoles de la famille L. Il signa aussi le contrat d’affermage de l’exploitation des L., non pas au nom de la DUT, mais en son nom propre7).
1) Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Fonds Microfilms divers (FMD) 065, pièces 0116-0119, Meldungen aus dem Reich, SD-Berichte zu Inlandsfragen, 1ᵉʳ novembre 1943.
2) ANLux, Fonds Affaires politiques (AP) SP 515, circulaire du 26 juillet 1943, Ergänzung meiner Anweisung vom 10. Juli.
3) Idem, circulaire du 27 novembre 1943.
4) ANLux, Fonds Epuration (EPU) W 450, Rapport de la Sûreté publique N° 3414, daté du 12 juillet 45.
5) ANLux AP R102 (Luxbg.)
6) La spoliation des biens juifs au Luxembourg. 1940-1945. Rapport final, Commission spéciale pour l’étude des spoliations des biens juifs au Luxembourg pendant les années de guerre 1940-1945. Luxembourg, 19 juin 2009, pp. 77-78.
7) ANLux, Fonds Justice (J) 208, Enquêtes sur des personnes soupçonnées de collaboration – rapports de l’Unio’n, dossier Leopold B.
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