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„On rape“ de Laia Abril à NeimënsterMisogynie, chapitre II

„On rape“ de Laia Abril à Neimënster / Misogynie, chapitre II
Il n’y a aucune violence dans les images de Laia Abril, faites pour capter le regard et le diriger vers des textes qui déclinent le thème du viol sous toutes ses coutures Photos: Neimënster/Rui Henriques

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Laia Abril s’est lancée dans une histoire de la misogynie, dont le deuxième chapitre fait le tour du problème du viol, en se concentrant sur les institutions coupables d’en encourager la culture.

Pour qui a pour base de travail les faits, la réalité, l’art contemporain peut offrir un espace de refuge, constituer le lieu d’où s’exprimer librement, selon ses envies, et débarrassé du souci d’exhaustivité. Laia Abril se sentait souvent à l’étroit dans son rôle de journaliste – photographe dans la première décennie du XXIe siècle. Quand elle proposait des sujets qui la touchaient intimement – parmi lesquels la sexualité, le genre et les désordres alimentaires – on l’en dissuadait. „Chaque fois que je présentais ce genre d’histoires, on me renvoyait à des magazines comme Marie-Claire, ou on m’opposait que ces choses appartenaient au passé.“ C’était certes en 2007-2008, bien avant le rappel à la réalité que fut #Metoo. „Peu à peu, j’ai compris que les gens ne voulaient pas écouter les histoires que je voulais raconter et qu’il y avait beaucoup de politique dans cette façon de réduire au silence.“ Laia Abril est devenue en quelque sorte sa propre rédactrice en chef en se lançant dans des travaux de recherche sur les troubles alimentaires entre 2010 et 2015, puis dans une histoire de la misogynie qui l’a menée cet été à Neimënster. 

Institutions complices

Initialement, le projet devait comprendre sept chapitres, comme autant de champs d’investigation dans lequel labourer ce vaste et éternel thème du mépris pour les femmes. Elle a commencé par se concentrer sur l’avortement, pour démontrer comment de tous temps, la société a contrôlé les femmes à travers les droits reproductifs. Elle questionnait les conséquences de l’absence d’accès à l’avortement, dans une approche globale, transversale. Elle s’est lancée dans ce travail en 2015 après la victoire de Trump, alors que les législations en la matière étaient en danger dans de nombreux Etats conservateurs.

Plusieurs éléments de la première exposition se retrouvent dans le deuxième chapitre consacré au viol, à découvrir actuellement à l’abbaye Neimënster. Pour cause, l’avortement n’est pas rarement la conséquence d’un viol et ne pouvoir y accéder en pareil cas est une double peine pour la femme violée. Lorsque Laia Abril s’est lancée dans ce deuxième chapitre, en 2017, c’était en plein #Metoo. Cela aurait pu noyer ce témoignage dans la masse. Mais, l’affaire de Pampelune, quand cinq hommes ayant violé en groupe une jeune femme furent condamnés pour abus sexuel plutôt que pour viol, lui a rappelé le trouble jeu des institutions, que sont la justice, la police, les médias. Elle a décidé de porter son attention sur ces institutions dont elle dit qu’elles entretiennent la culture du viol plutôt qu’ils ne la combattent.

C’est pourquoi, à l’entrée de l’exposition, on est accueilli par huit témoignages écrits de viol subi dans autant d’institutions différentes que l’église, l’armée, la prison, l’école, le sport ou encore le mariage. Laia Abril ne les interroge pas sur les faits, mais sur la manière dont les institutions les ont traitées. Avec le plus complet silence. Les textes bruts sont illustrés par les vêtements que portaient les victimes dans le contexte de leur viol, des uniformes souvent. 

Chaque cas est différent, mais néanmoins, il appartient à un système, que Laia Abril compare au système racial tel que le meurtre de George Floyd l’a révélé. Comme le système racial, „le système misogyne n’est pas cassé. Il fonctionne au contraire parfaitement“. Les institutions profitent de ce qui les sépare de la sensibilité de la société, pour faire perdurer son empire. Les institutions n’ont pas à s’adapter à la société, mais doivent être défaites pour mieux être refaites, sur des bases plus saines que le passé, dont elles sont le prolongement, la perpétuation, pense l’artiste.

La recherche historique est essentielle dans le travail de Laia Abril. Il était évident pour l’avortement, qui connaît un mouvement „pendulaire“ fait d’avancées et de recul, car „les politiques sont pendulaires comme l’application des droits de l’homme“. C’est une matière de contrôle économique et démographique pour l’avortement, qui se dévoile alors. Quant au viol, on peut le voir sous la perspective de bénéfices pour „ceux qui se servent du sexe comme d’une arme très puissante“. L’exposition ressemble aussi à une exposition historique, à la différence que les objets qui illustrent son archéologie de la misogynie, à de rares exceptions, ne sont pas palpables, mais représentés. Laia Abril a retrouvé le „victim blaming“ originel dans les textes bibliques. Si les femmes étaient violées dans la cité, c’était qu’elles en auraient été responsables, sinon elles auraient crié à l’aide et en auraient été secourues. Elle prend un malin plaisir à rappeler à la modestie l’Occident qui pense pouvoir donner des leçons à des pays vus comme barbares, que le viol dans le cadre du mariage n’est pas réprimé depuis si longtemps que cela. D’ailleurs, la pandémie, au début de laquelle ce chapitre II a commencé son voyage à travers Pays-Bas, France, Suisse et aujourd’hui Luxembourg, aura ironiquement rendu encore plus pertinent ce sujet. 

„Evolution organique“

Laia Abril appelle son parcours une „évolution organique“ vers l’art. La liberté de l’artiste est dans le choix, dans le caractère non exhaustif de la présentation, dans l’agencement, mais aussi dans la recherche de représentations visuelles par le biais de dispositifs photographiques, capables d’aller braconner sur les surfaces de la culture visuelle dominante. Laia Abril le fait sans recourir à des images violentes ou trash, mais par des images figées en noir et blanc, dont les qualités esthétiques et le sens pas toujours évident attirent l’œil du visiteur vers le texte. Ainsi, la photo d’une ceinture de chasteté renvoie à un texte qui rappelle sa fonction presque légendaire. Le fait qu’on songe ci et là à la réactiver est la meilleure preuve, écrit-elle, qu’on préfère éviter aux femmes d’être violées que d’éduquer les hommes. L’image d’une vidéo surveillance sur laquelle deux jeunes Italiens se congratulent à la sortie d’une discothèque londonienne où ils viennent de violer une jeune femme s’entrechoque avec les propos de la victime qui confie la peur constante dans laquelle elle vit depuis ce viol.

Alors que le deuxième chapitre de son histoire de la misogynie est visible à Luxembourg, le troisième chapitre de Laia Abril vient d’être présenté en Suisse. Il s’attarde sur les hystéries de masse. Alors qu’elle recherchait sur les mythes de la menstruation au Népal, elle a découvert le cas d’une classe dans laquelle soudainement toutes les filles se sont évanouies. Et elle s’est rendu compte qu’il y avait des centaines de cas au Népal dans les dernières années. Elle en a découvert d’autres à travers le monde: au Mexique, où 600 filles soudainement ne purent plus marcher droit; au Cambodge, qui a connu des évanouissements de masse, et aux Etats-Unis, où des filles ont eu en même temps le syndrome de la Tourette. Pour les anthropologues, il s’agit de „protestations protolinguistes“. Par son „essai visuel“, Laia Abril les inscrit dans une histoire de la protestation des femmes. Car ces manifestations surviennent dans des contextes d’oppression des femmes. 

Info

Jusqu’au 24 septembre. Neimënster, salle Lily Unden. Tous les jours de 10 à 18 h. Entrée libre.

Laia Abril
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