Il y a cent ans, et quelques jours, paraissait dans ces colonnes comme dans celles du Luxemburger Wort, une information du gouvernement au grand public selon laquelle les Luxembourgeois seraient désormais traités sur un même pied d’égalité que les Belges dans l’accès aux carrières coloniales dans les services administratifs et judiciaires au Congo. Le gouvernement souligne que la carrière médicale y présente des conditions particulièrement favorables de traitement et d’avenir, mais qu’il y a aussi de la place notamment pour des conducteurs de travaux, des ingénieurs, des architectes, des artisans-chefs et des surveillants.
Cette information fait suite à la réception, trois semaines plus tôt (le 7 juillet précisément), d’un courrier du ministre belge des Colonies Louis Franck. Adressé au ministre d’Etat et directeur des Affaires étrangères, Emile Reuter, l’envoi est composé de deux notes relatives aux conditions d’engagements de médecins et de techniciens et d’un courrier plus personnalisé dans lequel le ministre Louis Franck précise à Emile Reuter: „Nous serions très heureux, comme je vous l’ai dit, de recevoir des demandes de bons éléments, ils seront en tous points assimilés aux Belges, dans nos services administratifs et judiciaires. Des instructions ont été données dans ce sens.“
Dans l’ouvrage de référence sur la question coloniale au Luxembourg, qu’est „Cette colonie qui nous appartient un peu : la communauté luxembourgeoise au Congo belge: 1883-1960“, l’historien et conservateur au Musée national d’histoire et d’art (MNHA), Régis Moes explique que cette décision est à inscrire dans la volonté expansionniste de la Belgique, qui ne désespérait pas un jour d’intégrer le Luxembourg. Il souligne également que les deux ministres s’étaient rencontrés la veille de l’envoi du courrier à Bruxelles, puis le soir à un banquet de l’association patriotique de „La fraternelle luxembourgeoise“ à Anvers. Dans leur échange de courriers, chacun se souvient des „heures agréables“ passées ensemble. La décision semble avoir été prise d’homme à homme.
C’est avec entrain qu’Emile Reuter a relayé au nom du gouvernement la décision belge dans les journaux. „Je m’empresse de vous remercier bien sincèrement de votre obligeante communication dont je n’ai pas manqué d’aviser le public par la voie de la presse“, écrit-il dans la réponse qu’il rédige à l’attention de Louis Franck.
Une égalité opposable
La manière dont le gouvernement accompagne cette promesse d’égalité faite aux fonctionnaires luxembourgeois, comme d’autres démarches faites en lien avec le Congo belge, peut donner une idée de sa réelle participation à l’effort colonial belge et donc au colonialisme, sans avoir eu ni colonie ni loi coloniale.
La décision du 7 juillet 1922 n’augure pas le début de la présence de Luxembourgeois au Congo belge ni même dans l’administration belge. Mais son caractère officiel décide un certain nombre de citoyens à se lancer dans une carrière coloniale. C’est ce que nous disent les documents conservés aux Archives nationales (côtes AE-03450, TRP-05457 et FCI-0457 dans les exemples suivants). Désormais, l’égalité est opposable à tout traitement défavorable. C’est avec cette conviction que l’avocat Jules Campill part à l’été 1923 au Congo, où il devient juge à Stanleyville. Il est ensuite juge au tribunal de première instance de Léopoldville. En 1928, il brigue le poste de président du tribunal de première instance de Mbandaka. Un concurrent belge qu’il considère derrière lui en rang, lui passe devant. Jules Campill se plaint auprès de son ancien camarade de classe, le ministre d’Etat Joseph Bech. Il revendique un avancement sur les mêmes bases que pour les Belges. „Excuse la démarche, mais je suppose que tu comprendras les intérêts qui me font agir et ces intérêts sont un peu ceux de tous les compatriotes et ils commencent à devenir nombreux qui sont dans les cadres de l’administration coloniale“, écrit-il avec familiarité. Il a entendu dire „qu’une simple manifestation de [sa] part adressée à M. Jasper, ministre des colonies à Bruxelles, et établissant [qu’il s’intéresse] à la carrière coloniale du soussigné, sera de nature à mettre les choses au point.“
Bech s’exécute en passant par le consul général du Luxembourg à Bruxelles, un certain Nicolas Cito, qui a connu une carrière considérée aujourd’hui comme sulfureuse au Congo, en tant qu’ingénieur en charge de la construction d’un chemin de fer entre Matadi et Kinshasa qui a occasionné 5.000 morts selon les estimations. Cito est un ami de Van Damme, directeur général du personnel au ministère des Colonies. Bech emprunte la même voie pour relayer la réclamation de Léopold Mousel, lequel a commencé sa carrière coloniale au même moment que Jules Campill. En septembre 1923, il est devenu administrateur territorial de première classe. Six ans plus tard, il est administrateur territorial principal, mais voudrait accéder à un poste de commissaire de district adjoint. Il n’y est pas parvenu et s’en plaint à Joseph Bech qui fait suivre à Nicolas Cito: „Si vous pensez qu’une démarche est opportune, vous pourriez peut-être vous en charger, grâce à vos excellentes relations avec les milieux compétents et en vous basant sur la circonstance que les autorités belges ont itérativement promis que les Luxembourgeois seraient traités au Congo sur un pied d’égalité avec les Belges.“ Van Damme, dans le présent cas, dira que c’est sa compétence plutôt que sa nationalité qui a empêché sa progression, mais la promotion survient tout de même l’année suivante.
Parfois, Joseph Bech s’adresse directement au dit Van Damme, notamment quand de jeunes gens lui demandent son entremise pour obtenir un poste au Congo. C’est le cas notamment pour le fils du bourgmestre d’Echternach Mathias Schaffner, qui est de son bord politique (Rietspartei), en faveur duquel le ministre Bech s’emploie à plusieurs reprises. Il s’implique personnellement en démarchant des entreprises ou demande aux représentants du Luxembourg à Paris et à Bruxelles de le faire. Nicolas Cito demande „de faire l’impossible“ au Cercle colonial luxembourgeois qui, dit-il, „a déjà réussi à envoyer beaucoup de nos compatriotes au Congo [et] parvient à avoir de temps à autre connaissance de places vacantes au Congo“.
La création d’un Cercle colonial luxembourgeois est sans doute une des conséquences de la décision de juillet 1922. L’ouverture des carrières coloniales a aussi, par ricochets, renforcé les carrières dans les entreprises privées qui existaient bien avant 1922. En mai 1928, une liste des Luxembourgeois au Congo belge établit leur nombre à 150, dont 38 sont employés au ministère des Colonies et 112 dans le secteur privé (dans des compagnies minières, ferroviaires, l’hôtellerie, les huileries, etc).
Mais l’intérêt dans les colonies se fait aussi pour des sociétés implantées au Luxembourg qui y trouvent un nouveau débouché. C’est en pensant au Traité économique belgo-luxembourgeois (signé en mai 1921) que le président de la chambre de commerce, en juin 1929, fait officieusement parvenir au ministre des Affaires étrangères à Bruxelles, une protestation de la firme Duchscher & Cie de Wecker contre le refus de l’administration coloniale d’assimiler le matériel de provenance luxembourgeoise au matériel belge au Congo. La légation de Belgique au Luxembourg souligne au ministre d’Etat Joseph Bech, que le traité économique ne fait pas mention de la Colonie. Le Département des colonies s’est malgré tout déclaré d’accord pour autoriser le matériel et les marchandises fabriquées au Grand-Duché dans l’exécution de clauses des conventions qui imposent à certains concessionnaires de terres domaniales ou de mines, l’obligation d’acheter en Belgique. „Les sociétés concessionnaires que la chose concerne ont été informées de cette décision prise pour associer, le plus intimement possible, le Grand-Duché du Luxembourg à l’effort colonial belge“, écrit l’ambassadeur au sujet d’une décision qui semble la déclinaison économique de la lettre de juillet 1922.
L’organisation d’un intérêt colonial
La promesse d’égalité faite en juillet 1922 doit être souvent rappelée pour qu’elle soit appliquée. La situation sera plus claire à partir de 1948, quand l’égalité de traitement sera fondue dans la loi. „On peut formuler l’hypothèse qu’à la suite de la promesse (qui est en même temps un résultat de l’UEBL), un intérêt colonial s’organise au Luxembourg“, observe Kevin Goergen, doctorant d’histoire à l’université du Luxembourg, où il est chargé de travailler sur la question du passé colonial du Luxembourg. „Le plus visible est la création des cercles coloniaux luxembourgeois, qui s’intéressent activement à la clarification et à la précision du statut juridique du Luxembourg au Congo belge. Un discours colonial et l’influence des acteurs coloniaux se renforcent dans les décennies qui suivent, ce qui est tout à fait possible grâce à la bienveillance du pouvoir au Luxembourg. Cependant, les acteurs coloniaux, en tant qu’acteurs étatiques, continuent à jouer un rôle déterminant dans le cas luxembourgeois. Leurs activités montrent le décalage entre le colonialisme sur le papier et dans la réalité. La lettre de 1922 et les discussions qui ont suivi l’illustrent à mon avis.“
Pour Kevin Goergen, c’est dans la réalité du terrain que se mesure la réalité du colonialisme. L’Etat impérialiste ne joue pas le même rôle que l’Etat colonial. „Les recherches récentes montrent que dans la domination coloniale, ce sont plutôt les acteurs locaux (fonctionnaires, missionnaires, industriels …) qui jouent un rôle important. Même si, par exemple, les lois sont édictées par la métropole, l’Etat colonial se réalise sur place, dans les colonies. C’est pourquoi l’idée de la métropole était souvent en relation ambivalente avec la réalité sur place dans la colonie – ce qui amène des historiens à conclure que l’État dans le contexte colonial était un État faible et que la violence structurelle et omniprésente en résulte.“
Pareillement, dans le cas du Luxembourg, „c’est le rôle des acteurs qui est important (aussi bien les Cercles coloniaux du Luxembourg, les ambassadeurs à Bruxelles, les industriels dans les entreprises coloniales …), et aussi la question concernant leur influence sur l’Etat luxembourgeois, le gouvernement, l’économie, la société et la culture. L’exemple du Luxembourg (ou d’autres Etats sans possession coloniale) montre qu’il est tout à fait possible de poursuivre un intérêt colonial sans pour autant avoir une législation coloniale ou une politique coloniale officielle. Mais il reste tout de même à clarifier la position officielle du gouvernement luxembourgeois au sein du colonialisme.“
L’exemple du Luxembourg (ou d’autres Etats sans possession coloniale) montre qu’il est tout à fait possible de poursuivre un intérêt colonial sans pour autant avoir une législation coloniale ou une politique coloniale officielle.
Obligation morale
Chercheur en droit public à l’université du Luxembourg, Michel Erpelding défend un droit international décolonisé et une approche de cette discipline qui s’éloigne des écrits doctrinaux pour se rapprocher des sources primaires – afin de rendre compte de la réalité de la mise en œuvre de normes juridiques par les acteurs. Auditionné le 4 juillet dernier par la Commission spéciale „Passé colonial“ de la Chambre des représentants de Belgique, il avait expliqué que „des pans entiers des politiques coloniales européennes, à savoir le massacre de populations locales, le travail forcé esclavagiste, voire l’imposition unilatérale de la domination européenne et l’effacement des entités politiques locales, peuvent être considérées comme illicites en application du principe du droit intertemporel“, et notamment au regard des engagements pris par les puissances coloniales lors de l’Acte général de la conférence de Berlin de 1885.
Mais cette observation ne vaut pas pour le Luxembourg. La responsabilité de l’Etat luxembourgeois peut difficilement être retenue pour la politique coloniale et les atrocités commises par la Belgique. Le droit international distingue assez clairement entre les États auteurs d’actes illicites et les États y contribuant d’une manière plus indirecte. „Les fonctionnaires coloniaux étaient sous le contrôle effectif des autorités coloniales belges. (…) On pourrait se poser la question d’une carence éventuelle des autorités luxembourgeoises à poursuivre des auteurs luxembourgeois d’atrocités commises au Congo“, avance néanmoins Michel Erpelding.
Par ailleurs, à la lecture des articles 6 et 16 du „Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite de 2001“ réalisé par la Commission du droit international de l’ONU, on peut déduire que même s’il s’avérait que l’Etat luxembourgeois avait détaché des fonctionnaires luxembourgeois pour servir dans l’administration coloniale belge, il ne serait aucunement responsable de leurs actes, tant que ceux-ci ne recevaient pas d’ordre du Luxembourg, poursuit le juriste internationaliste. Les efforts entrepris par l’État luxembourgeois pour encourager le départ de Luxembourgeois au Congo, y compris en insistant auprès de l’État belge sur leur assimilation aux Belges, pourraient toutefois tomber sur le coup de l’article 16 qui dit qu’un Etat qui aide ou assiste un autre Etat dans la commission du fait internationalement illicite par ce dernier est internationalement responsable pour avoir agi de la sorte. Et une contribution significative suffit. „Ce n’est pas exclu, mais il faudrait tout de même avoir des éléments de preuve“, par exemple des lettres soulignant l’importance des colons et agents coloniaux luxembourgeois pour le succès de l’œuvre coloniale belge au Congo“, observe Michel Erpelding
On pourrait se poser la question d’une carence éventuelle des autorités luxembourgeoises à poursuivre des auteurs luxembourgeois d’atrocités commises au Congo.
Même en l’absence de responsabilité directe de l’Etat luxembourgeois, Michel Erpelding pense qu’on peut voir dans l’encouragement des Luxembourgeois à s’engager dans la fonction publique coloniale belge ou à y investir „une forme d’assistance de l’État luxembourgeois à l’État belge dans son entreprise coloniale au Congo“. Cela n’impliquerait pas une obligation légale de réparation, mais sans aucun doute une obligation morale et politique de réparation, telle que le fait de renommer des rues ou de prendre des mesures pour lutter contre le racisme structurel hérité de l’époque coloniale. „Procéder à certaines de ces réparations (…) deviendra sans doute inéluctable à court terme (d’autant plus si les Belges prenaient des mesures conséquentes en ce sens)“, estime celui qui, devant les députés belges le 4 juillet avait émis le souhait que leurs homologues luxembourgeois s’inspirent de leur démarche.
Le mois de juillet 2022 a offert plusieurs dates symboliques pour commencer ce travail de réparation. Il restera dans les annales comme une occasion manquée.
Wat hun ech domat ze dinn?
Main Papp hat naischt domat ze din a main Bop och net deen 1922 gebuer ass....
Losst dat Thema dach sin,
entwchellegt Iech a faerdeg...
Do daerfen awer elo kenv Milliounen zwouschhinfleissen well dei kommen ne tsi un wou se gebrauch ginn.
Die rassistischen Verbrechen der kolonialen Medizin haben der "Rassenhygiene" der Nazis Vorschub geleistet. Aus rassischen Überlegenheitsvorstellungen bezogen die Kolonialmediziner die Legitimation des Missbrauchs von einheimischen Erkrankten für Humanexperimente in Internierungslagern.
MfG
Robert Hottua