Si le confinement a souvent été vécu comme un frein par les artistes en place, il a pu au contraire former un tremplin pour les artistes en devenir. C’est à la faveur d’un chômage partiel que Charlz Vinz a pu, sans contrainte de temps, se lancer corps et âmes dans l’approfondissement de la pratique du dessin. Le jeune homme qui n’a pas encore atteint la trentaine est passé par plusieurs missions dans le domaine culturel avant de se retrouver derrière le comptoir du „Gudde Wëllen“, dont il est devenu une figure, ce à quoi sa bonne humeur communicative n’est sans doute pas étrangère.
Il a en parallèle développé son goût du dessin, d’abord auprès des Urban Sketchers, ce groupe de dessinateurs amateurs qui se réunissent une fois par mois pour croquer des ambiances de la capitale, avant de voler de ses propres ailes. Le confinement venu, il a pu s’essayer à différentes techniques et affiner son style, dans un genre apprécié par la presse, le dessin descriptif, qui est une niche au Luxembourg. D’ailleurs, ses premières commandes furent l’année dernière pour l’hebdomadaire d’Lëtzebuerger Land, pour lequel il avait notamment livré son regard sur la présence du Rassemblement national au second tour. Puis c’est l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) qui lui a demandé d’illustrer une brochure sur les sans abris, présentée en décembre dernier. L’année 2022 a été aussi marquée par une résidence artistique, avec le collectif Papaya.
Foules sublimes et foules subies
L’année 2023 commence sur les chapeaux de roue, avec une commande qui l’accompagnera ces douze prochains mois. La Kulturfabrik, qui lui avait déjà offert d’illustrer des poèmes de jeunes du Lycée Bel-Val réalisées dans le cadre d’un atelier d’écriture, fait de nouveau appel à son talent, cette fois pour lui confier l’illustration de ses programmes mensuels. Dans ce contexte, elle a aussi proposé à l’artiste de 28 ans une exposition rien que pour lui, au „Ratelach“. Charlz Vinz, sur le thème de la foule qui recouvre plusieurs de ses centres d’intérêts et sujets de réflexion, y démontre une palette déjà bien diversifiée de ses techniques. Après avoir longtemps dessiné le paysage urbain, ayant opéré à Berlin dans le domaine de l’urbanisme, le voilà qu’il opère une transition bienvenue vers l’humain. A la foule des bâtiments répond la foule des êtres humains.
On sent Charl Vinz pour l’heure d’abord occupé au développement de son style, de son trait, plus que par le discours autour de son œuvre. L’observation vient avant la réflexion. Ainsi, s’il est venu au thème de la foule, c’est après une discussion avec une dame au sujet de la première œuvre de la série, sur laquelle on voit des colonnes de voitures de frontaliers attaquer la grande côte qui signifie la frontière française d’avec le Grand-Duché. La série „La foule“ est autant un exercice de style, lui permettant d’améliorer sa technique pour dessiner les personnages, qu’un hommage à l’énergie pouvant se dégager des foules. Il définit la foule comme „la majorité des humains dans ce qu’ils ont de commun“, et l’oppose à l’élite. Il y a quelque chose de la culture des „We are the 99%“ d’Occupy Wall Street, bien de son temps, mais qui n’oublie pas non plus le passé.
Charl Vinz est un militant. On l’avait découvert comme féministe engagé, animateur d’un groupe d’hommes convaincus voulant œuvrer par l’autocritique à l’égalité entre les genres. Même si le groupe de discussion ne se réunit plus, l’intérêt est toujours là. On ne s’étonnera donc pas de voir le dessinateur prêter son crayon pour illustrer une manifestation de femmes en faveur de l’avortement en France dans les années 70 ou encore reproduire une image de Lily Becker qui apostrophe en août 1919 les ouvriers qui réclament une allocation de vie chère.
Ce dernier dessin peut aussi être rapproché de celui par lequel le jeune homme, qui se décrit comme un „élève médiocre, mais gentil, ascendant paternel bourgeois et maternel post-ouvrier“, rend hommage à l’engagement antifasciste et ouvrier du Front populaire en 1936. Au rayon politique, il célèbre également le mouvement corinthien du joueur Socrates qui allie droits sociaux, politique et football dans les années 70 au Brésil. Sur ce dernier dessin, il tend vers un dessin plus abstrait, moins soucieux de signifier la singularité dans le nombre. Charl Vinz fait feu de toute foule, dont il admire „la possibilité de contagion et d’inversement des normes, pour l’établissement d’un nouvel ordre des choses“. Il s’intéresse ainsi au pèlerinage de Fatima à Wiltz, aux foules des pistes de danse, à celle moins enjouée des transports en commun ou celle plus subie qui se rue sur les marchandises lors du Black Friday.
Ce dernier dessin fait écho à son intérêt pour le consumérisme auquel il avait consacré une série de linogravures intitulée „On ne sait plus quoi“ exposée au „Am Gronn“. D’ailleurs, en 2023, il animera aussi un atelier de linogravure au Luxembourg City Museum. Sans pour autant quitter le comptoir du „Gudde Wëllen“. Entre introspection du dessin et convivialité de la restauration, Charl Vinz a trouvé son équilibre.
Infos
L’exposition „La foule“ par Charl Vinz se tient jusqu’au 4 mars 2023 au „Ratelach“ (Kulturfabrik). L’accès est gratuit pendant les heures d’ouverture du bar (du mardi au samedi de 17 à 1h). Site internet: www.charlvinz.com.
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