Lorsqu’il s’est rendu la première fois aux archives d’Esch-sur-Alzette, Yannick Kieffer n’avait pas idée qu’il en deviendrait un jour le responsable. Ce petit-fils d’Eschois s’y était d’ailleurs plutôt rendu par acquit de conscience qu’avec la certitude de trouver une information sur les opérations de déminage à l’issue de la Deuxième guerre mondiale, sujet de son mémoire de master. Certes, il y avait bien eu quelques mines laissées ici et là sur le territoire eschois, mais les chances de trouver des documents sur ce problème mineur à Esch étaient maigres. Les sources aux Archives nationales n’étaient déjà pas légion, bien que l’ensemble du territoire, et notamment les Ardennes particulièrement concernées, soit couvert par l’institution du plateau du Saint-Esprit. Ce fut toutefois suffisant pour trouver ces quelques pages qui viennent tout à coup justifier les heures passées à fouiller dans les archives et établir que, pour faire la sale boulot du déminage, c’est des prisonniers politiques, des collaborateurs, que l’on a envoyés en plus grand nombre, avec une formation pour le moins sommaire, comme si leur destin importait peu.
La tentation du tiers lieu
„Aux archives, on ne sait jamais vraiment ce que l’on va trouver. Parfois, on tombe sur des petites phrases qui ont un grand impact sur son projet.“ Yannick Kieffer a encore le goût de l’archive, de son contenu, qu’il avait étudiant. Mais, lui qui ne se voyait pas chercheur a développé, depuis sa nomination comme archiviste de la ville d’Esch-surAlzette, le plaisir de la manipulation du document, de sa restauration et de sa conservation. Ça tombe bien, il y a du boulot en la matière.
À Esch-sur-Alzette, la tradition de conserver les archives est pourtant ancienne. Elle date au plus tard de la création de la nouvelle mairie en 1937, qui prévoyait un espace dédié aux archives. Mais l’occupant allemand les a, peu de temps après, dispersées en plusieurs lieux. Et ce n’est que 80 ans plus tard qu’elles ont quitté les greniers trop chauds et caves trop humides pour être réunies, inventoriées, restaurées si nécessaires, puis mises dans des boîtes d’archives, en attendant leur prochaine destination. D’ici quelque temps, les archives locales seront installées dans l’ancien bâtiment de direction d’Arbed Mines, occupé pour l’heure par Luxcontrol. Elles partageront les lieux avec le Conservatoire voisin.
En créant ce département „Patrimoine historique et industriel“, Esch-sur-Alzette fait mieux que de rattraper le temps perdu. Le bâtiment des archives disposera d’une salle de consultation confortable pensée aussi pour offrir un espace de travail à tous dans un quartier du sud de la ville qui en est dépourvu. Pour l’heure, il y a quarante demandes de consultation d’archives par an. Mais l’inventorisation, la mise en ligne de l’inventaire et un bâtiment dédié pourraient bien décupler les envies et les demandes, d’autant plus que les lieux accueilleront aussi le musée d’histoire de la ville.
Les archives d’Esch auront aussi des airs de tiers lieu, puisqu’il est prévu d’y accueillir des écoles pour parler de l’histoire de la ville, d’y organiser des ateliers et d’y tenir des conférences à direction du grand public. Le projet est aussi participatif, dans la production comme dans l’analyse des archives. Les Archives d’Esch ont lancé un appel à la population pour qu’elle lui lègue des documents, lequel a permis de faire entrer des documents précieux, en complément aux documents photographiques, de politique locale et d’état-civil – souvent les plus prisés dans ce type d’institution.
Le département du „Patrimoine historique et industriel” d’Esch est constitué de trois unités (les archives, la photothèque et le patrimoine industriel), lesquels attendent encore chacune leur responsable. Les photos sont numérisées en vue de leur mise à disposition au public, tandis qu’un photographe se chargera d’alimenter les archives en documentant le développement de la commune. Quant à la personne en charge du patrimoine industriel, elle s’occupera de la mise en valeur du patrimoine mobilier et immobilier, tel que le renouvellement des locomotives.
L’espoir d’un soutien étatique
Avec un projet si ouvert, Esch-sur-Alzette bouscule le petit monde routinier des archives, concentré sur la conservation. Les réactions dubitatives qui se sont exprimées lors de la journée des archives le 9 juin dans les salons de l’hôtel de ville, l’indiquent. Les archives de la ville de Luxembourg ne sont désormais plus seules. Diekirch, Differdange, Ettelbruck, Mersch, Sanem, Schifflange, Bascharage, Pétange et Hesperange ont engagé — ou sont sur le point de le faire — ces dernières années un archiviste. Les archives pourraient bien devenir la nouvelle institution culturelle en vogue dans les communes, un investissement de choix après la bibliothèque, la salle de spectacle, le musée régional.
Cet engouement est lié à la loi du 17 août 2018 qui invite les communes à conserver les archives et à les mettre à disposition du public. Les communes peuvent signer un contrat de coopération avec les Archives nationales, ou, à défaut, doivent informer par écrit le directeur des Archives nationales avant toute destruction de document après l’expiration de sa durée d’utilité administrative.
C’est dans le cadre de la conclusion d’un tel contrat de coopération que la ville de Hesperange s’est laissé tenter par l’engagement d’un.e archiviste. „Depuis des années, on n’était vraiment pas à la pointe de ce qu’il fallait faire. On déposait des documents, sans faire d’inventaire ni de suivi“, confie le secrétaire communal, Jérôme Britz. Au point qu’actuellement, c’est le président des „Geschichtsfrënn” locaux qui connait le mieux le fond et en est le principal usager. Au vu de cette affluence modique, la ville de Hesperange n’a pas prévu de créer un lieu de consultation spécifique et songe à léguer une grande partie de ses archives qui dormaient dans ses sous-sols aux Archives nationales.
La ville de Diekirch aura à l’inverse un espace dédié aux archives. C’est un développement naturel pour cette ville d’histoire qui abrite déjà deux musées (le musée de l’histoire militaire et le musée d’histoire locale). De plus, la commune peut se targuer d’avoir un grand nombre d’archives de l’époque médiévale et de l’époque moderne. Michel R. Pauly rêve déjà de publier un recueil des plus vieux documents, lesquels seraient reproduits, retranscrits et contextualisés. Mais, pour l’archiviste en place depuis un an, ce n’est pas la priorité. „J’ai des années, voire des décennies de travail pour mettre en ordre“, explique cet historien prometteur, qui n’a pas hésité à abandonner son doctorat pour prendre ce poste.
En installant en 2025 un service d’archives, dans la villa Conter rachetée en 2021, la ville de Diekirch en profitera pour disposer de nouveau d’une bibliothèque publique, éligible aux aides de l’Etat. Cofondateur, avec Yannick Kieffer et Phuong-Anh Mai, archiviste à Mersch, d’un réseau encore informel d’archives locales, Michel R. Pauly pense d’ailleurs qu’il faudrait mettre en place pour les bâtiments d’archives un dispositif similaire à celui sur les bibliothèques, de sorte qu’une commune qui investirait recevrait des subsides de l’Etat. Cela permettrait sans doute d’élargir les équipes des services existants, mais surtout d’en créer dans les communes qui n’ont pas les capacités financières de le faire. Michel R. Pauly suggère également le développement de services d’archives intercommunaux ou cantonaux, dans lesquels les documents de plusieurs communes pourraient, en commun, être traités, réunis et mis à disposition du public.
Cela mettrait sans doute un frein à une tendance fâcheuse que le jeune archiviste de la ville de Luxembourg Tom Birden déplorait, dans une rageuse „Lieserbréif“ à RTL publiée en avril. „Malheureusement, une grande majorité de nos 102 communes ne s’intéressent pas à cet important patrimoine. Beaucoup de communes ne savent même pas ce qu’elles ont comme archives. Aucun tri décent n’est réalisé. Des documents jugés sans importance finissent à la poubelle, quand on a besoin de place pour un bureau, et des documents considérés importants à conserver sont la plupart du temps mal conservés et croupissent dans quelque tiroir ou armoire.“ „Dans beaucoup de communes“, ajoutait-il, „les politiciens oublient que des archives bien conduites constituent le meilleur service qu’une commune peut offrir“.
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