Grève des femmesLes afro-descendantes brisent le silence

Grève des femmes / Les afro-descendantes brisent le silence
Préparation de banderoles par des afro-descendantes pour la grève des femmes Photo: PixEazy

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Placées en seconde place dans le défilé du 7 mars, derrière les agentes de nettoyage, des afro-descendantes dénonceront la souffrance particulière que leur vaut leur couleur de peau. Un événement.

La première grève des femmes cache aussi une grande première, hautement symbolique. Jamais avec une telle force et une telle visibilité, des afro-descendantes s’afficheront en tant que telles dans l’espace public. Elles entendent ainsi attirer la bienveillance du public sur la spécificité de leur situation de femme. A la charge mentale que toute femme doit supporter s’ajoute une charge raciale. Cette charge est d’ailleurs si forte qu’elle mobilise des femmes, au-delà de leurs conditions sociales, de leur pays d’origine, de leur langue. Le racisme forme un obstacle tel qu’en préparant le défilé de samedi, ces femmes ont jugé pertinent de requalifier en plafond de bambou le plafond de verre auquel elles se heurtent professionnellement. Les slogans qu’elles ont préparés à cette occasion ne manquent d’ailleurs pas de punch. 

Myriam ne cherche pas toujours à distinguer si elle doit sa situation à son statut de femme ou à ses origines. „Je les vis quotidiennement. Les deux sont mélangées. Ce sont des charges qui s’ajoutent.“ Mais c’est bien à ses origines, tunisiennes, qu’elle attribue le parcours scolaire chaotique qui fut le sien. Comme beaucoup d’autres enfants immigrés, elle a été scolarisée jusqu’en 7e au Luxembourg, avant d’échouer à entrer dans l’enseignement classique, sans que son niveau d’allemand ne puisse l’expliquer. Elle a dû quitter son pays natal pour échapper au technique et au destin social qu’on lui y préparait. Elle est partie étudier en France, où elle a dû aussi batailler pour échapper cette fois à l’enseignement professionnel et finalement réussir à faire à l’université ce qu’elle aurait aimé faire plus tôt: étudier la littérature.

Stop au „quatre fois plus“

Elle ne garde pas d’amertume de ces chemins de traverse. „C’est quelque chose qui m’a rendue forte. Mais il y a une douleur liée à cela, parce que mes compétences ont été remises en question. J’aurais aimé qu’on tienne compte de mes capacités plutôt que d’avoir à en faire la preuve quatre fois plus.“ Quatre fois plus, c’est le facteur d’efforts supplémentaires à fournir par rapport à ceux qu’on attend d’une personne en position dominante. C’est ce qu’elle doit encore fournir dans son quotidien professionnel de dominée. Et c’est à sa disparition que le panneau qu’elle brandira dans le défilé appellera.

„Il est temps que les femmes afro-descendantes, de couleur, se sentent aussi concernées par le féminisme. Pendant très longtemps, je ne me sentais pas féministe parce que je ne me sentais pas représentée, alors que je me suis toujours sentie concernée par des questions liées aux genres, à la parité, à l’égalité des salaires.“ Le féminisme inclusif mis en avant durant la grève des femmes lui tient particulièrement à cœur. „Il faut casser le cliché de la féministe blanche, issue de la classe bourgeoise, qui se concentre sur des causes dans lesquelles nous ne nous reconnaissons parfois. Il faut montrer qu’il y a des femmes issues de la diversité qui sont féministes aussi.“

Pas d’égalité face à la réussite scolaire

Myriam aimerait aussi qu’on forme les enseignants à l’interculturalité. Pour qu’ils deviennent des vecteurs d’égalité. „Face à la réussite scolaire, on n’est pas tous lotis de la même manière. Il y a des personnes privilégiées de par la langue, de par leur statut social. Quand on a grandi avec des parents qui ne parlent pas nécessairement luxembourgeois et qui n’ont pas fait de grandes études, on va chercher de l’aide où?“ Elle se souvient encore du mépris d’une institutrice envers elle petite fille qui venait de commettre une bêtise et à laquelle elle dit: „Chez vous c’est comme ça, c’est œil pour œil, dent pour dent.“

Les mots n’ont résonné dans sa tête que plus tard. „J’ai eu un flash et j’ai trouvé cela d’une perversité horrible.“ Il y eut ensuite le 11 septembre qui est venu se mêler à tout ça. „A partir de là, on a su mettre une origine à mon visage“, explique la jeune trentenaire. „Avant j’étais plutôt une personne bronzée qu’on associe à la culture cap-verdienne ou culture noire. Les insultes ont changé. On est passé de sale noire à ‚Schäiss Bin Laden’ par exemple.“

„Mir wëllen och bleiwen, wat mir sinn“

C’est au quotidien qu’Ana Correia Da Veiga voit les comportements se modifier et les regards s’obscurcir en sa présence. Dans les magasins, c’est la vendeuse qui s’adresse à vous en français. Dans le bus, un passager qui éloigne son sac de vous. Et à chaque fois, cette méfiance occupe l’esprit. „Je ne sais pas si je devrais réagir ou dire: ’N’ayez pas peur, je n’ai pas besoin de votre argent.’ Il faut choisir où dépenser son énergie et pour quel combat.“

Dans sa jeunesse, l’éducatrice spécialisée désormais âgée de 37 ans noyait dans la fête et derrière la rébellion le mal-être identitaire qu’elle ressentait la semaine. Au fait de ne pas être acceptée entièrement dans son pays s’ajoutait celui de ne pas savoir comment composer avec sa culture d’origine. Jusqu’au jour où elle ne s’est plus reconnue. „A un moment donné, on est fatigué, on se pose des questions, on se positionne et on décide d’y aller.“

Si on me rappelait pas tout le temps que je suis noire, je ne le saurais même pas

Ana Correia Da Veiga, éducatrice et future conseillère communale de la ville de Luxembourg

Sa présence dans le défilé avec des personnes sera une illustration puissante du racisme qui perdure et du déni qui l’accompagne. C’est une manière pour elle d’affirmer que oui, elle est victime de racisme, envers et contre les objections habituelles selon lesquelles elle serait „plus luxembourgeoise que les autres“. „C’est cela que je ressens, que je vis tous les jours, quand je rentre quelque part et qu’on me parle en français, même si je parle le luxembourgeois à la perfection, qu’on me rappelle que je suis noire. Si on ne me rappelait pas tout le temps que je suis noire, je ne le saurais même pas.“

Le slogan qu’elle a retenu est limpide: „Mir wëllen och bleiwen, wat mir sinn“ est une affirmation à double sens. „Le fait qu’il y a une deuxième génération de Luxembourgeois afro-descendants qui n’a plus besoin de s’intégrer n’est pas encore dans la tête des gens. Je ne vais pas nier ma couleur de peau. Je suis Luxembourgeoise, noire, afro-descendante, avec toute l’histoire derrière et celle qui vient.“

Maya Angelou

Ana Correia Da Veiga pourrait devenir pour la jeune génération actuelle la source d’identification qu’elle n’a pas eu à l’époque. C’est à l’école privée Fieldgen, à laquelle elle doit d’avoir réussi ses études classiques, qu’elle a d’abord trouvé du réconfort, dans l’autobiographie d’une autrice américaine Maya Angelou „I know why the caged bird sings“Cet ouvrage, qui montre que la force de caractère et l’amour de la littérature peuvent aider à vaincre le racisme, lui a fait se sentir moins seule. Elle se rappelle aussi les travaux réalisés sur Rosa Parks, qui n’avait pas supporté avant elle les regards dans les bus.

Elle s’étonne qu’il n’y ait toujours pas de place dans les livres scolaires pour l’histoire de Jacques Leurs. Le documentaire consacré à sa vie sorti en mars 2018 a joué pour elle comme un double révélateur. D’une histoire écrite par les vainqueurs. „Il n’est pas nommé. On ne trouve pas sa place. Comment ça se fait?“ On ne lui a pas donné de nom de rue et son parti le LSAP n’a rien fait pour lui.“ Et du large champ des possibles. „Son exemple m’a renforcée dans ce que je fais. J’ai compris qu’il y avait moyen, qu’il ne fallait pas avoir peur, car des fois on sombre dans le doute.“ D’ailleurs, le 1er janvier 2021, Ana Correia Da Veiga entrera au conseil communal auquel Jacques Leurs a appartenu il y a plus d’un demi-siècle. Sous les couleurs de „déi Lénk“. 

Comme un animal dans un zoo

Le temps où Jacques Leurs entendait des „Nigger“ sur son passage n’est pas si lointain. Louise (prénom fictif) se rappelle d’une voisine octogénaire qui récemment lui demandait si on pouvait dire „négresse“. „Non Madame, ce n’est pas possible. Si vous voulez être agréable à une personne vous ne devez pas le dire“, lui a-t-elle rétorqué. Si cette insulte semble en voie d’extinction, le passé colonial qui l’a engendrée continue à produire bien des comportements douteux. Notamment pour miner les tentatives d’affirmation de soi, comme cette volonté de porter ses cheveux naturels.

Louise et sa congénère Charlotte, toutes deux dans le monde des affaires, pour l’une privé, l’autre public, ont trouvé en cette matière un objet de révolte commun. Elles partagent l’expression de ces „micro-agressions“ liées à leur chevelure. Qu’on les touche sans demander: „On se sent déshumanisées parce que c’est quelque chose qu’on pourrait faire à un chien“, explique Louise. Ou qu’on en parle: „Durant ces six derniers mois, du jour où je suis arrivé au travail avec des tresses, jusqu’à ce que je les enlève quatre semaines plus tard, j’ai eu quotidiennement droit à des remarques du genre ‚comment tu as fait ça?’“, raconte la première. Louise souffle puis acquiesce: „C’est insupportable. Comme si on était un animal dans un zoo. Et surtout de nos jours avec les médias, on peut s’informer.“

Des objets de curiosité

Charlotte continue: „J’ai même reçu des e-mails avec des photos d’actrice de télé qui me ressemblaient pas du tout, qui devaient me ressembler parce que la femme est tressée, de couleur. On est des objets de curiosité.“ Comme si le colonialisme et les zoos humains de la première moitié du siècle dernier imprégnaient encore les regards. Charlotte aimerait que sa fille ne subisse pas le même sort, qu’elle vive dans un monde dans lequel chacun est accepté comme il est.

Certes, Louise n’a pas vécu depuis dix ans au Luxembourg, l’expérience aussi traumatisante que celle vécue étudiante dans la Belgique où elle a grandi, quand on lui a refusé un logement par peur qu’une supposée cuisine épicée accommode les voisins. Elle se rappelle toutefois ce jour où une femme s’est étonnée de sa présence dans un institut de beauté. Mais il y a surtout ces micro-agressions à répétion. „Ce sont des petites remarques, qui l’une sur l’autre forment une charge raciale“, renforcée par l’obligation de réfléchir à sa réaction. „Pour ne pas mettre mal à l’aise ou ne pas paraître agressive, alors que c’est nous qu’on agresse“, s’agace Louise. „Toutes ces choses dans nos têtes nous empêchent de nous concentrer sur notre travail. On est sur la défensive. C’est une énergie gaspillée.“

Don’t touch my crown

Après avoir entamé sa carrière professionnelle dans sa France natale et son racisme décomplexé, Charlotte a goûté sept années durant au calme à Londres, où toute référence aux origines est relevée par les ressources humaines. Elle est retombée dans le racisme ordinaire en arrivant au Luxembourg, il y a trois ans, que ce soit dans des établissements français ou étrangers de la place financière. 

En plus du „Don’t touch my crown“, lié aux cheveux, Charlotte a pensé au slogan „Nous sommes des femmes de pouvoir, n’ayez pas peur“. Mais elle n’oublie pas non plus les afro-descendantes de plus modeste condition, comme ces femmes de ménage qui commencent leur travail quand elle finit le sien. Elles lui donnent son frisson quotidien. „Il y a une connexion. On sait d’où on vient. On sait les galères que nos parents ont traversées, de par leur couleur de peau, de par leur accent.“ 

Pour Louise, le racisme structurel qui mène à cet ordre social ne pourra reculer que s’il arrête d’être un tabou. „C’est comme le patriarcat, beaucoup de personnes ont du mal à en parler. Parler de ce qui t’a amené à être un dominant, c’est te remettre en question et assumer les erreurs faites non pas par toi mais par tes ancêtres.“ „Pro-black is not anti-white“, rappellera d’ailleurs le défilé.

Antonia Ganeto
12. April 2020 - 17.21

Un excellent article qui met en lumière les Afro-descedante trop souvent invisible en donnant directement la parole aux concernées.

Jacques Zeyen
5. März 2020 - 10.04

Genau. Da sollen sich unsere Damen mal ein Beispiel nehmen und in der letzten Reihe marschieren. Was Frauen im Ausland und zwar in jedem Ausland, aushalten müssen entspricht in keinster Weise dem Stand in Luxemburg. Die luxemburger Frauen jammern auf sehr hohem Niveau wenn man die Lage in Afrika,Asien usw. vergleicht. Aber man kann nie genug jammern. Während wir in Europa die Frauenquote in allen Lebenslagen seit Jahren hochtreiben,wird im fernen Ausland weiter geschlagen,verstümmelt und vergewaltigt. Eine Schande.