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Le samedi de tous les dangers: Les manifestations des „gilets jaunes“ continuent

Le samedi de tous les dangers: Les manifestations des „gilets jaunes“ continuent

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La France retient son souffle ce samedi matin dans l’attente de cette nouvelle journée de manifestations, parisiennes mais pas seulement. Une journée présentée par le pouvoir, par la plupart des observateurs et par une fraction des «gilets jaunes», comme celle de tous les dangers. Le dispositif policier, déjà considérable samedi dernier, a été encore renforcé, des engins blindés vont être déployés dans les rues, et les appels au refus de la violence, venus de tous horizons, se sont multipliés.

De notre correspondant Bernard Brigouleix, Paris

Ce nouveau rendez-vous, même si une surprise reste toujours possible, est perçu généralement comme promis à la tragédie. Et cela d’autant plus que, selon certaines informations, les casseurs pourraient cette fois-ci disposer d’armes à feu – sans parler du fait que les «gilets jaunes» les plus ruraux possèdent eux aussi, bien souvent, de fusils de chasse … Il s’agira en tout cas du rendez-vous de quatre forces antagonistes majeures, regroupées, qu’elles le veuillent ou non, deux par deux.

De 64.000 à 89.000 policiers et gendarmes mobilisés

Il y a d’abord le côté du pouvoir. Un pouvoir incarné par un président tétanisé, réfugié en son palais et qui n’ose toujours pas s’exprimer publiquement – il devrait tout de même finir par le faire au début de la semaine prochaine – quitte à laisser fuiter des rumeurs de désaveu à l’égard de son premier ministre. Lequel se débat dans la très difficile gestion de l’effacement de l’homme de l’Elysée.

En s’attendant à servir de fusible, c’est-à-dire à payer de son poste les errements psycho-politiques d’un Emmanuel Macron déboussolé – rançon de sa virginité politique, laquelle avait son charme en début de mandat, mais plombe aujourd’hui sa présidence – par une adversité dont il n’a aucune expérience.

Dans le camp du pouvoir, bien sûr, on trouve aussi, statutairement, les forces de l’ordre. Le nombre des policiers et gendarmes mobilisés d’un samedi à l’autre est passé de 64.000 à 89.000 hommes, ce qui tendrait d’ailleurs à montrer que le chiffre du week-end dernier, alors présenté comme un absolu maximum technique, pouvait bel et bien, en réalité, être renforcé.

Cela a sa logique: la menace pour l’ordre public s’est encore aggravée au fil de la semaine. Géographiquement, puisque si l’on attend moins de manifestants à Paris, le risque de violence en province s’est clairement accru, avec notamment l’irruption de manifestations (en principe) lycéennes, en tout cas plus jeunes, très brutales, comportant beaucoup de feux de poubelles et d’incendies de voitures, et des agressions contre les gendarmes qui vont bien au-delà de banals affrontements bilatéraux.

De jeunes désœuvrés ultra-violents

Mais aussi, et surtout, à Paris même. Car la capitale concentre plus que jamais les craintes des responsables du maintien de l’ordre. Mais aussi de ces innombrables Français qui, tout en se sentant solidaires de la protestation des «gilets jaunes» contre l’appauvrissement des classes moyennes basses et des retraités, fortement accentué depuis l’élection d’Emmanuel Macron, n’ont cependant aucune envie de voir leur ville à nouveau saccagée par des hordes de casseurs et de pillards.

Tout cela à moins de trois semaines de Noël … Sans parler, justement, des commerçants, qui comptaient sur cette période pour se refaire une santé financière après une année économique bien plus morose que ne l’avait annoncé l’exécutif. Dans le camp d’en face, il y a, bien sûr, ces fameux casseurs. Des «vrais casseurs» dont, selon la meilleure tradition policière et judiciaire, très peu ont été arrêtés et jugés, fût-ce en comparution immédiate.

Devant ces tribunaux bondés pour la circonstance, on aura vu au contraire beaucoup de «gilets jaunes» de base, parfois énervés, parfois même regrettablement virulents, mais enfin ébahis d’avoir été interceptés parmi les auteurs de véritables atteintes aux biens et aux personnes. «Que voulez-vous, expliquait ironiquement un des avocats de ces militants, eux ne sont pas des professionnels, ils ne courent pas assez vite devant les charges de CRS …» Explication qu’il serait trop facile de généraliser, certes, mais qui a son triste degré de vraisemblance.

L’extrême droite et l’extrême gauche

Ces casseurs, qu’il est convenu de qualifier de «professionnels» – terme évidemment un peu abusif: ce n’est pas encore, Dieu merci, une véritable profession! – sont en tout cas des gens qui se sont greffés sur le mouvement des «gilets jaunes». Et aussi, désormais, sur celui des lycéens, pour les plus jeunes d’entre eux, et qui ont pour objectif d’en découdre le plus violemment possible avec la police et la gendarmerie.

Il est convenu en France de dire qu’ils se partagent à peu près également entre l’extrême droite et l’extrême gauche; statistiquement, on peut tout de même penser que dans un tel milieu, présumé «révolutionnaire», la seconde famille recrute plutôt plus que la première. Mais c’est encore leur prêter une pensée politique structurée, fût-elle extrémiste: le plus vraisemblable est qu’il s’agit de jeunes désœuvrés ultra-violents, vivant des innombrables allocations publiques, et aussi – peut-être même surtout – de trafics privés; outre, bien sûr, les produits de leurs pillages; en tout cas, bien davantage, que d’un métier.
Des moutons transformés en loups

Reste – et c’est bien le cœur douloureux du drame politique et social que traverse actuellement la France – cette masse, numériquement difficile à évaluer, d’authentiques et sincères «gilets jaunes» que l’évolution du conflit a fini par rendre enragés.
Même s’il y a évidemment, dans ce que l’on entend dire sur les barrages et dans les cortèges des manifestants, des exagérations, ou du moins des silences destinés à accroître à l’usage des téléspectateurs le pathétique de certaines situations.

Telle mère de famille célibataire avec trois enfants à charge, qui «n’arrive plus à s’en sortir» avec 900 euros par mois – et comme on la comprend! – omettra ainsi de mentionner ce qu’elle touche (heureusement non négligeable) au titre de différentes allocations. Tel père «smicard» ne précise pas que sa famille survit aussi grâce à son jardin potager, lequel ne doit il est vrai sa fertilité qu’à son labeur personnel après ses horaires de travail qui peuvent parfois outrepasser très largement le maximum légal.

Tel retraité à la toute petite pension oublie de dire que, propriétaire de sa maison, il en loue une chambre. Soit. Mais dans un pays du niveau de richesse globale de la France, ces nuances restent misérables; et comme on est loin, désormais, de la surtaxation sur les carburants, étincelle qui mit le feu aux poudres, sa deuxième vague fût-elle désormais suspendue pour un an …

Cette masse de «gilets jaunes» n’a pas été convaincue, c’est vraiment un euphémisme de présenter les choses ainsi, par les reculades en zigzag d’un pouvoir complètement déboussolé. Et qui paraît découvrir, ébahi, ce que tout le monde sauf lui sait depuis longtemps: le fait qu’à côté de la France aisée des patrons et cadres supérieurs dont il est l’émanation, et même d’une France des petits fonctionnaires qui ne vit pas trop mal, il y a – en plein XXIe siècle, et au cœur de l’Union européenne – une vaste France pauvre.

Sans doute pas misérable au sens que le mot peut avoir dans le tiers monde, bien sûr; mais terriblement défavorisée par rapport à la classe dirigeante, et que la tristesse de son sort peut conduire à d’imprévisibles extrémités. Des gens qui, à l’origine, étaient tout sauf des casseurs, mais qu’un pouvoir aveugle et sourd a pris le risque de transformer de moutons en loups.