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BourgogneLe bruissement des êtres: Visite-découverte du musée Pierre Merlier

Bourgogne / Le bruissement des êtres: Visite-découverte du musée Pierre Merlier
Prix Jeune sculpture 1956 – 220 cm – 1954   (c) Michèle Merlier

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Il est des rencontres qui tiennent du miracle. De la sidération. Un trésor, enseveli par le temps, surgit enfin à la lumière. Telle est l’œuvre de Pierre Merlier, auquel un musée désormais est dédié, en Bourgogne.

C’est par hasard que j’ai appris l’existence de ce musée, ouvert en 2019, juste avant la crise sanitaire, et qui aujourd’hui accueille nombre de visiteurs, tout aussi étonnés de découvrir cette œuvre prodigieuse jusque-là méconnue. Michèle Merlier, l’épouse de Pierre Merlier (né en 1931 en Bourgogne, disparu en 2017 à Auxerre, Bourgogne), nous accueille et nous fait visiter une forêt humaine creusée dans du bois. Des sculptures pour certaines monumentales, des personnages qui ne cessent de fixer les lieux ou d’en être les absents, regards lointains, parfois dans des hommages outrés, des attitudes grotesques, ou au contraire dans l’élégance de leurs lignes. Figures polychromes, visages délicats ou guignolesques. Il y a parfois de la politique dans l’air, conjuguée à beaucoup d’humour et de talent. Ainsi le Général de Gaulle nous accueille nu, les bras ouverts, Hitler est minuscule et puni, les mains dans le dos. Ubu roi et son bilboquet trône, en hommage à Alfred Jarry, dans sa démesure mélancolique et existentielle. Il y a là toute une parade, comme au carnaval, têtes à l’envers. Un bal des vanités, que Pierre Merlier dénonce avec splendeur et virtuosité. La sculpture l’a pétri, pourrait-on dire. Il l’a remise à l’honneur, avec le bois, son matériau de prédilection, si utilisé autrefois, lorsque les églises arboraient leurs statues.

Le geste primordial

Qu’il s’agisse de caricature à la Daumier, d’une influence d’Ossip Zadkine, dont il a suivi les cours à la Grande Chaumière à Paris, d’un hommage tendre à Klimt, Pierre Merlier s’en affranchit et donne à ses figures totémiques l’essentiel, une âme, une sensibilité, un geste, une attitude, un regard, il les fait vibrer. Ce sont des offrandes inlassables. Un travail constant, acharné, fait de main d’homme. Il lui fallait ce corps à corps avec la matière, travailler minutieusement, au lieu des installations et autres concepts, qu’il dénonçait et qui font oublier le geste primordial. Chêne, tilleul, essences exotiques, orme, les figures émergent, ironiques, comme „La famille des banquiers“, parmi lesquelles on note quelques femmes, mais aussi oniriques, chimériques, comme les orantes, des femmes drapées dans des voiles, à l’antique, une réminiscence des sculptures égyptiennes. Chaque fois, il s’agit de respecter ce que l’arbre offre, jouer avec la forme, l’inventer avec dérision et poésie. Les souches et leurs racines deviennent coiffes, elles s’élancent vers le ciel, tandis que le corps, pris dans le tronc de l’arbre, semble s’ancrer délicatement dans le sol, pieds longs, aussi longs que les mains sont fines, et les cous sont allongés, têtes posées là-dessus, visages dans un jeu de vérité.

Quelques contorsions comiques emplissent l’espace, celles d’un couple, sculpture appelée „L’Enlèvement“. Un homme, à l’embonpoint et à l’âge certains, se voûte pour prendre dans ses bras une femme qui, bouche ouverte, semble crier. Ce couple est assez ridicule, mais aussi vulnérable, à cause de l’âge de l’homme. Se pencher sur son dos arrondi, en sentir la matière, dans cette douceur se révèle la chair. La pulsion érotique, mais aussi la convoitise, les excès de l’homme, son désir spirituel, son errance, sont des thèmes de prédilection. „Les Grands masturbateurs“ sont cocasses et impudiques, ils rappellent des peintures d’Otto Dix – à qui Pierre Merlier rend hommage par toute une statuaire – ils sont irrévérencieux et grandioses. L’homme est mis à nu.

Se consacrer à son œuvre

Transgression et douceur sont déclinées dans un abécédaire subtil, par la grâce du bois, mais aussi de la terre cuite et du bronze. Abasourdie que cette œuvre prodigieuse soit restée méconnue, je fais plus ample connaissance avec Pierre Merlier. Évidemment, d’après les dires de son épouse – il y a dans cette maison/musée le cachet des ateliers d’artistes – Pierre Merlier est un ermite qui dénonce les hypocrisies humaines et politiques. Quelqu’un qui a reçu nombre d’honneurs, mais qui a préféré se consacrer à son œuvre, loin du monde.

Très jeune, vivant chez ses grands-parents en Côte-d’Or, Pierre Merlier dessine et fréquente les églises, en quête de peinture et de sculpture. Dès l’âge de 15 ans, il est l’élève de François Brochet, sculpteur auxerrois qui lui enseigne la taille directe. Le détour par Paris est nécessaire. Sa première exposition personnelle aura lieu en 1955. Il reçoit le Prix du Salon de la jeune sculpture en 1956. Il ne cessera sa vie durant de travailler, de manière prolifique. Dans le cadre de commandes publiques, il réalise des sculptures abstraites et monumentales. En 2012, âgé et fatigué, il se tourne vers la peinture. Il revendique être un sculpteur qui peint. Effectivement le volume est là, et son univers n’a pas perdu de son mordant, les peintures sont également celles d’un virtuose, d’un homme qui n’a jamais cessé de travailler. Il raillait ses contemporains. Pour des expositions, lors du vernissage, il ne craignait pas de représenter les élus locaux dans leur plus simple appareil, avec crudité, se réjouissant du face-à-face qu’il provoquerait. Les politiciens ont dû faire la fine bouche, se sentir vexés. Mais l’œuvre de Pierre Merlier est là, éternelle et truculente, un musée l’abrite, et c’est une chance inouïe de découvrir un tel géant!

Musée Pierre Merlier

Moulin du Saulce – Chemin du Saulce
89290 Escolives-Sainte-Camille
www.museepierremerlier.fr
tél.: +33 6 74 86 17 05