On se souvient de sa voix, grave, sépulcrale, si profonde que quand il se mettait à chanter, on en sentait les vibrations dans tout le corps, c’était une superbe voix de baryton, tantôt rauque, tantôt souple et flexible, qui vous transperçait inlassablement.
Mark Lanegan est mort, mardi dernier, et la scène rock du monde entier le pleure. Il n’avait que 57 ans.
Lanegan était connu pour être un intranquille, et un écorché vif. On sait sa dépendance à l’alcool – „I drink so much sour whiskey I can’t hardly see“, chante-t-il dans un de ses plus beaux titres jamais écrits, „One Way Street“ –, aux drogues dures, on sait son amour de l’excès et de l’ivresse. Dans ses mémoires, „Sing Backwards and Weep“, il avoue que ce qu’il a cherché, dès son jeune âge, où il trainait notamment avec Kurt Cobain, c’était l’excitation, l’aventure, la décadence, la dépravation, l’abîme en quelque sorte, dont on ne connaît que trop bien l’attraction.
Mais Mark Lanegan était également très prolifique dans son agitation. Il composait énormément. Il a multiplié les collaborations, même incongrues, il reprenait avec grand plaisir les titres de ses artistes favoris. Il a également fait partie de plusieurs formations, d’abord en tant que chanteur du groupe Screaming Trees, de 1984 à 2000, qui, avec Alice In Chains, Pearl Jam, Soundgarden et Nirvana, a marqué la scène grunge de Seattle de cette époque. Il est ensuite devenu un membre de Queens Of The Stone Age, de 2000 à 2014, où il a chanté la voix principale de certains titres emblématiques, comme „In The Fade“, de l’album „Rated R“, ou la très envoûtante chanson „This Lullaby“, qui ouvre l’album „Lullabies to Paralyze“. De 2003 à 2009, il a aussi fait partie de The Gutter Twins, avec le chanteur des Afghan Whigs, Greg Dulli.
Pendant toutes ces années, Mark Lanegan n’a jamais arrêté d’écrire sa propre musique. Il a sorti douze albums studio solo, dont un album de reprises, le formidable „Imitations“ (2013), avec notamment sa version de „Brompton Oratory“ de Nick Cave, dont ce dernier dit que c’est une des reprises les plus réussies qu’il ait jamais entendues. On ne citera ici que les trois albums „Field Songs“ (2001), album cru et mélancolique, „Blues Funeral“ (2012), dont rien que le titre exprime toute la poésie et la portée de la musique de ce prince des ténèbres, ou encore „Phantom Radio“ (2014), qui marque, dans la carrière du musicien, un moment crucial de maturité et de maîtrise dans son écriture et son chant.
Lanegan a également sorti deux albums avec Duke Garwood, ainsi que trois albums en collaboration avec Isobel Campbell, chanteuse, violoncelliste et compositrice écossaise, membre de Belle and Sebastian, un duo décapant, s’il en est, dont l’attrait réside dans merveilleux contraste entre la voix lumineuse, pas plus qu’un souffle parfois, de Campbell, et le blues profond de Lanegan, contraste qui dégage quelque chose de puissamment sensuel, lascif, érotique, quelque chose de doux et de torride à la fois.
Mais Lanegan a également collaboré avec des artistes très divers le temps d’une chanson, notamment sur le titre insolite, „Looking for the Rain“, d’Unkle, groupe britannique dirigé par James Lavelle, où la voix sombre de Lanegan se mêle à des beats électroniques, ou encore sur „Inside of a Dream“, du dernier EP „The Raging River“, du groupe de black metal d’avant-garde suédois Cult Of Luna, où la voix de Lanegan surtout prend des aiguës peu entendues jusque-là.
Titres à ne pas rater
« One Way Street », Field Songs
« Burning Jacobs Ladder », bonus track sur l’édition japonaise de Bubblegum
« I am the Wolf », Phantom Radio
« Reaching for the Moon », Live on KEXP, reprise de Ted Wallace & His Campus Boys
Avec Isobel Campbell, « Come on Over (Turn me on) », Sundays at Devil Dirt
Avec Queens of the Stone Age, « In The Fade », Rated R
Avec UNKLE, Looking for the Rain, The Road: Part 1
La mort de Mark Lanegan est une grande perte pour la scène rock, comme en témoignent les nombreux hommages qui lui ont été faits, ces derniers jours, par des musiciens de renom. Mes souvenirs de ses concerts, à Werchter, à la Rockhal, au Trianon, à Paris, sont ceux de moments jouissifs, poignants, où cet homme imposant, qui parlait peu pendant le show – et d’ailleurs, quand il parlait, sa voix était cassée, ce n’était que quand il chantait qu’elle se mettait tout à coup en place, comme si c’était la chose la plus facile au monde –, hypnotisait le public.
Deux vers de la chanson „One Way Street“ m’interpellent depuis des années: „And everywhere I’ve been/ There’s a well that howls my name.“ Aujourd’hui je mesure le caractère prémonitoire de ces mots. C’est l’abîme qui réclame son enfant prodige.
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