Dans la deuxième moitié du 20e siècle, le Luxembourg disposait d’un droit de la nationalité restrictif et doublement exclusif. Il était exclusif à l’égard des immigrants. Comme d’autres nations à logique ethnoculturelle, par exemple l’Allemagne de l’Ouest, ce droit attribuait la nationalité principalement par le biais de la descendance (droit du sang) et la naturalisation était rendue difficile. Voilà pourquoi le Luxembourg présentait avant 2004 dans l’Union européenne des Quinze le taux le plus bas de naturalisation (0,5%). Voilà pourquoi une personne naturalisée mettait 15 ans avant d’être naturalisée Luxembourgeois (moyenne UE-15: 10 ans). Voilà pourquoi seulement 10% de la première génération d’immigrants (immigrants nés à l’étranger) devenaient des citoyens luxembourgeois (moyenne UE-15: un tiers).
Derniers de la classe jusqu’en 2008
La législation sur la nationalité était également exclusive à l’égard des émigrants, en abandonnant ici la logique ethnoculturelle, puisque la législation prévoyait de nombreux cas de perte de la nationalité pour les Luxembourgeois à l’étranger et leurs descendants. Jusque tout récemment, le Luxembourg ne disposait d’ailleurs plus de statistiques concernant le nombre de Luxembourgeois à l’étranger.
A partir de la loi du 23 octobre 2008 sur la nationalité luxembourgeoise, il y a eu un revirement complet de la politique de la nationalité avec le passage de ce „régime insulaire“ (Bauböck & Vink) vers un „régime expansif“, inclusif à l’égard des immigrants et des émigrants. Les raisons de ce revirement ont été relevées dans la première partie de cet article: forte immigration combinée à une culture mondiale des droits de l’homme, convergence européenne vers la tolérance de la double et multiple nationalité, introduction de la citoyenneté européenne, contribution décisive des étrangers à la prospérité luxembourgeoise, déficit démocratique.
Il convient d’ajouter à ces facteurs l’importance des acteurs politiques au sens large dans cette transformation (gouvernements, députés dans la Commission juridique de la Chambre, administrations ministérielles, représentants des organisations patronales et syndicales, représentants des chambres professionnelles, représentants des ONG, etc.). Les ambivalences de la loi de 2008 avaient été critiquées lors du débat de la loi au Parlement, le 15 octobre 2008, par l’opposition, à savoir le Parti démocrate et par le Parti des Verts. La députée Lydie Err demanda au nom du Parti socialiste une évaluation de la loi après trois ans.
Le nouveau ministre de la Justice à partir de 2009, François Biltgen (CSV), put se référer à cette demande pour lancer un ambitieux processus de réforme en 2012. Il fut suivi au poste de ministre de la Justice en 2013 par Félix Braz, du parti des Verts, lui-même né au Luxembourg de parents portugais ayant immigré au Luxembourg. Par leurs initiatives, ils répondirent aux besoins liés à l’évolution démographique et économique de la société luxembourgeoise ainsi qu’aux demandes de réforme des organisations patronales, syndicales et de défense des immigrants. Le Service de la nationalité du ministère de la Justice a également joué un rôle très important en soulevant plusieurs points à réformer dans son évaluation de a loi de 2008.
Lors du débat sur loi de 2008 à la Chambre des députés, Félix Braz avait déclaré le 15 octobre 2008: „Dëst Gesetz, Här Präsident, mécht wuel eng Partie Dieren op, mä dëst Gesetz mécht d’Äerm net op, fir d’Leit opzehuelen. Wéini maache mer dat?“ En finalisant une nouvelle loi sur la nationalité, Félix Braz s’est non seulement tenu à son engagement d’ouverture. Il a aussi réussi à convaincre même les partis d’opposition comme le CSV et „déi Lénk“ de libéraliser davantage la loi sur la nationalité luxembourgeoise. 57 députés ont voté pour la nouvelle loi sur la nationalité en février 2017 (contre trois votes négatifs du ADR).
Le jalon de la loi du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise
La nouvelle loi sur la nationalité luxembourgeoise du 8 mars 2017 (NLNL) a permis plusieurs avancées décisives. Elle a introduit un droit du sol simple et conditionnel. Les personnes nées au Luxembourg de parents étrangers obtiennent la nationalité luxembourgeoise à l’âge de 18 ans (art. 6). La période de résidence obligatoire avant la naturalisation a été ramenée de 7 à 5 ans (article 14). Une nouvelle flexibilité a été introduite puisque seule la dernière année de résidence avant la demande de naturalisation doit être ininterrompue.
Tenant compte des critiques adressées à la loi de 2008, la NLNL a réintroduit et ajouté des droits d’option importants pour le conjoint, pour les enfants nés au Luxembourg et pour les résidents de longue date: les enfants nés au Luxembourg de parents non-luxembourgeois peuvent demander la nationalité dès l’âge de 12 ans (art. 86). Les étrangers qui vivent au Luxembourg depuis au moins vingt ans et qui ont suivi un cours de langue luxembourgeoise bénéficient également de cette possibilité (art. 28). Les étrangers majeurs qui ont accompli sept années de scolarité au Luxembourg (programme de l’enseignement public) peuvent également opter pour la citoyenneté (art. 27). Toutes ces catégories n’ont donc pas besoin de passer des épreuves de langue. Le NLNL introduit également la possibilité d’option pour les apatrides et les réfugiés, mais avec une épreuve de langue obligatoire (art. 31).
Un autre point important modifié par la NLNL est l’épreuve d’évaluation orale en langue luxembourgeoise. Les propositions faites par les associations de défense des immigrants, les syndicats et les acteurs économiques de remplacer l’épreuve de langue par un certificat attestant la présence aux cours de langue luxembourgeoise ou d’abaisser les niveaux de compétence exigés dans l’épreuve d’évaluation en langue luxembourgeoise et d’introduire des clauses dérogatoires n’ont été que partiellement intégrées dans la NLNL. Les candidats doivent toujours réussir une épreuve de langue luxembourgeoise de niveau A2 en expression orale et B1 en compréhension. Le niveau de compétence n’a donc pas été abaissé malgré les promesses du programme gouvernemental. Cependant, il suffit de réussir la partie expression orale (A2) pour réussir l’ensemble du test de langue. De plus, un score insuffisant en expression orale (A2) peut être compensé par un score plus élevé en compréhension (B1).
Enfin, la NLNL a mis fin au problème du „deux poids, deux mesures“ soulevé par la ré-ethnicisation de l’article 29 de la loi de 2008, cet article ayant expiré pour la demande en 2018 et expirant pour la déclaration en 2025. Tant le Conseil d’Etat que la Chambre de commerce avaient critiqué en 2008 que la loi appliquait pour les immigrants et les émigrants deux poids, deux mesures: les étrangers au Luxembourg doivent passer une épreuve de langue et avoir un certain nombre d’années de résidence comme signe d’intégration, tandis que les descendants de Luxembourgeois à l’étranger n’ont besoin ni de l’un ni de l’autre. L’article 29 est par ailleurs problématique par rapport aux standards internationaux depuis l’affaire Nottebohm de 19552), puisqu’il rompt avec l’esprit qui dicte depuis cette époque le droit de la nationalité: depuis cet arrêt de la Cour internationale de Justice, l’octroi de la nationalité ne devrait entraîner la reconnaissance par d’autres Etats que s’il coïncide avec l’existence de „liens authentiques“ entre l’individu et l’Etat qui lui accorde sa nationalité. Or, on peut légitimement poser la question où est le lien authentique de descendants de résidents du Grand-Duché de Luxembourg émigrés au Brésil en 1828.
L’œuf de coucou de l’art. 29 de la loi de 2008
Par l’article 29 (devenu dans la NLNL l’article 89), des personnes vivant en Amérique du Nord ou du Sud ou dans les pays voisins du Luxembourg et ayant des liens de sang lointains, liés aux émigrations du 19e siècle, ont donc pu, contrairement aux résidents étrangers au Luxembourg, „recouvrer“ – le terme lui-même est douteux puisque la très grande majorité des bénéficiaires de cette mesure n’a jamais possédé la nationalité luxembourgeoise – sans passer d’épreuve de langue et, comme la plupart d’entre eux vivent à l’étranger, sans clause de résidence. En octobre 2023, ils pourront voter par correspondance aux élections législatives luxembourgeoises.
En tant qu’historien conscient des émigrations des Luxembourgeois du 19e siècle vers la France, la Belgique, les Etats-Unis, le Brésil et bien d’autres pays encore, je fus un des premiers à signaler qu’un des groupes qui bénéficierait le plus de la loi de 2008 étaient ceux et celles qui pouvaient remonter à un ancêtre lointain, qui était Luxembourgeois en 1900. La suite me donna raison. Il faut connaître le passé pour comprendre le présent et préparer l’avenir … Nos responsables politiques citent souvent cet adage en oubliant toutefois à quel point il est vrai et en acceptant que l’histoire soit de moins en moins enseignée comme matière obligatoire dans les programmes des lycées luxembourgeois.
Depuis la loi de 2008, 36.256 personnes ont pu recouvrer la nationalité luxembourgeoise parce qu’elles avaient un ancêtre luxembourgeois en 1900. Cela représente un tiers de toutes les nouvelles acquisitions de la nationalité luxembourgeoise de 2009 à 2022 (108.806). Au final, cette mesure de ré-ethnicisation n’a pas avant tout bénéficié au „Monni aus Amerika“ et à ses descendants résidant aujourd’hui aux Etats-Unis (3.181 personnes) mais à deux autres catégories: d’une part, des étrangers géographiquement plus proches de nous, Français (11.872) et Belges (11.451), et d’autre part des Brésiliens (8.117).
La France et la Belgique étaient d’importants pays d’émigration pour les Luxembourgeois au 19e siècle. La majorité des Luxembourgeois qui ont quitté le pays à cette époque n’ont pas émigré aux Etats-Unis, mais en France: en Lorraine, en Champagne, à Paris et dans sa banlieue. En 1890, selon le recensement de la population, 40.000 Luxembourgeois vivaient en France (y compris l’Alsace-Lorraine, qui avait été annexée par l’Allemagne en 1871). Il y en avait moins de 20.000 aux Etats-Unis à la même époque. Il y avait moins d’émigrants luxembourgeois en Belgique qu’en France, mais la tentative de beaucoup de leurs descendants de recouvrer la nationalité luxembourgeoise est liée à la présence d’une communauté de langue luxembourgeoise dans la région d’Arlon. Pour expliquer les chiffres élevés de ré-acquisition pour la France et la Belgique, il faut ajouter des liens actuels.
Certains d’entre eux travaillent aujourd’hui comme frontaliers au Luxembourg. Les 511 ré-acquisitions par les Allemands reflètent une émigration plus faible vers les Etats allemands au 19e siècle.
Le nombre élevé de Brésiliens (8.117) qui ont jusqu’à présent profité de la procédure de ré-acquisition est directement lié à un ancien mouvement d’émigration vers le Brésil.3) En 1828, plus de 2.500 paysans luxembourgeois, appelés „Brasilienfahrer“, se joignent à un mouvement de migration du sud de l’Allemagne vers la province de Santa Catarina au Brésil, suite à la publicité faite par des agents de voyage allemands payés par Pedro I du Brésil pour encourager l’immigration par la promesse de terres. Elle fut suivie d’un second mouvement migratoire dans les années 1846 à 1852. Même si l’émigration de la plupart des familles a échoué et a provoqué une migration de retour dramatique, quelques centaines de familles ont réussi à émigrer principalement vers la province de Santa Catarina. Des milliers de leurs descendants demandent aujourd’hui à „recouvrer“ la nationalité luxembourgeoise.
Le délai de dépôt de la déclaration de recouvrement de la nationalité luxembourgeoise auprès de l’officier de l’état civil vient d’être prolongé jusqu’au 31 décembre 2025, principalement pour permettre, en plus des 8.117 ayant déjà fait leur déclaration, à environ 7.000 Brésiliens supplémentaires qui ont postulé avant le 31 décembre 2018 de faire leur déclaration avant l’échéance prévue. En 2025, les Brésilo-Luxembourgeois seront donc la majorité de plus de 40.000 Luxembourgeois par recouvrement sur la base de la loi de 2008. En raison de la transmission de la nationalité aux enfants mineurs, le nombre de Luxembourgeois au Brésil est déjà passé de 2.844 en 2018, année des dernières élections législatives au Luxembourg, à 19.939 en 2022.
Quelle ironie de l’histoire: cette mesure à arrière-pensée romantique, voire ethnique, non seulement au Luxembourg mais aussi dans d’autres pays européens, a ouvert la porte à une seconde nationalité opportuniste, dite stratégique, une „Premium Citizenship“, à l’heure de la mondialisation et des grandes inégalités entre les continents et donc d’inégalités de valeur d’un passeport, dans le cas par exemple des milliers de descendants de Luxembourgeois au Brésil appartenant d’ailleurs aux classes moyennes et supérieures. Cette nationalité ne conduit dans la plupart des cas pas à la migration vers le Luxembourg, mais elle permet plus de liberté de voyager grâce à un passeport de l’Union européenne, une assurance pour l’avenir, pour les enfants. La nationalité comme un bien de luxe privé qui peut être converti, le cas échéant, en avantages dans le monde globalisé.4)
L’impact des possibilités d’option
La réintroduction des possibilités d’option et leur diversification par la loi de 2017 a eu un fort impact et nous permet d’avoir une vision plus nuancée et détaillée des groupes d’immigrants et descendants d’immigrants ayant acquis la nationalité luxembourgeoise, et donc de comprendre quels groupes ont le plus bénéficié de la réforme de 2017.
L’acquisition est toujours faite par naturalisation (art. 14 de la loi de 2008, art. 39 de la loi de 2017), mais deux procédures par option sont beaucoup plus utilisées depuis 2017: ceux qui vivent au Luxembourg depuis 20 ans (art. 28) et ne doivent pas passer d’épreuve de langue, mais seulement suivre un cours de 24 heures (30% des naturalisations et options); ceux nés au Grand-Duché qui peuvent opter à l’âge de douze ans (art. 86) vu qu’ils ont été socialisés au Luxembourg (24,7%). Les procédures de naturalisation sont moins utilisées (art. 14/39; 14,80%) tout comme la procédure d’option des adultes ayant accompli au moins sept années de scolarité au Luxembourg (art. 27; 12,90%) et la déclaration des majeurs dont un parent possède ou a possédé la nationalité luxembourgeoise et qui n’ont pas obtenu la nationalité (art. 23; 11,40%).
Le taux relativement faible des procédures de naturalisation par rapport aux procédures de déclaration depuis la loi de 2017 confirme que l’épreuve de langue luxembourgeoise obligatoire reste un obstacle important dans le contexte multilingue du Luxembourg, en particulier pour les résidents étrangers ayant un niveau d’éducation plus bas. Très peu de Portugais (73 personnes) – pourtant de loin la première nationalité parmi les résidents étrangers avec plus de 90.000 personnes en 2022 – et de Capverdiens (33), peu d’Italiens (175) et de ressortissants d’ex-Yougoslavie (163) utilisent cette procédure, alors que 5.951 Portugais, 3.591 ex-Yougoslaves, 1.412 Italiens et 796 Capverdiens sont devenus luxembourgeois par option depuis 2018.
Pour les résidents étrangers ayant un niveau d’études plus élevé, les chiffres des naturalisations et des options sont plus équilibrés, même si l’utilisation des droits d’option prédomine ici aussi: les Français – deuxième nationalité parmi les résidents étrangers en 2022 avec environ 50.000 personnes – (606 naturalisations, 4.319 options), les Belges (244 naturalisations, 1.797 options), les Allemands (429 naturalisations, 973 options) et les Britanniques, dont les chiffres ont fortement augmenté depuis 2016 en raison du Brexit (266 naturalisations, 1.223 options).
Dans une étude de 2019, les chercheurs du Réseau européen des migrations – point de contact Luxembourg (EMN) ont souligné l’importance de la réforme de 2017, en facilitant principalement par le biais des options l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise pour de nombreux ressortissants de pays tiers, à savoir des Monténégrins, des Bosniaques/Herzégoviniens, des Serbes, des Kosovars et des Cap-Verdiens. Aussi de ce point de vue, la NLNL représente une loi inclusive.5)
Conclusions
Quelles conclusions peut-on tirer de ce bilan? En rendant possible l’acquisition de la nationalité luxembourgeoise pour plus de 100.000 personnes, soit une augmentation de plus d’un tiers des citoyens luxembourgeois au Luxembourg et à l’étranger en moins de quinze ans, les réformes de 2008 et surtout de 2017 ont fait du droit de la nationalité un outil légal inclusif à l’égard des étrangers au Luxembourg et des Luxembourgeois à l’étranger. Elles ont permis à la législation sur la nationalité et aux procédures d’acquisition de la nationalité de mieux refléter les réalités migratoires mais aussi les processus d’intégration des migrants et de leurs descendants au Luxembourg. La double nationalité et le double droit du sol (2008), puis le droit du sol simple et conditionnel (2017) ainsi que les nouveaux droits optionnels introduits en 2017 ont permis une meilleure prise en compte et le succès de ces derniers le souligne. La législation luxembourgeoise sur la nationalité de ces réalités est citée comme un exemple positif à suivre en Europe par plusieurs études concernant le droit du sol et les mesures législatives sur la base de la résidence et de l’éducation.6)
Elle apparaît dans le contexte national luxembourgeois comme une avancée majeure et nécessaire pour la société luxembourgeoise pour laquelle l’immigration et l’intégration représentent des défis cruciaux. En même temps, cette réforme représente une réponse nécessairement insuffisante aux défis d’intégration et aux questions de légitimité démocratique auxquels est confronté ce pays européen. Aujourd’hui, plus de 47% de la population du Grand-Duché n’a pas la nationalité luxembourgeoise (plus de 70% de la population de la capitale), une population qui compte plus de 170 nationalités. Sur le marché du travail, 74% de la population active sont des étrangers, dont 27% sont des résidents étrangers et 47% sont des frontaliers. La moitié des électeurs et électrices luxembourgeois pour les élections législatives d’octobre 2023 sont des personnes non-actives sur le marché de l’emploi (étudiants, retraités …).
L’acquisition par des milliers de descendants d’émigrants partis du Luxembourg au 19e siècle, donc bien au-delà des deux générations étant considérées dans le droit international de la nationalité comme „lien authentique“ entre un individu et l’Etat, a en outre relancé le débat sur le „deux poids, deux mesures“ pratiqué à l’égard de ces descendants lointains d’émigrants par opposition aux étrangers résidant au Luxembourg et contribuant à l’économie ainsi qu’à la vie sociale et culturelle du pays. Le buzz récent autour des néo-Luxembourgeois du Brésil a relancé le débat autour de l’épreuve de langue luxembourgeoise. Les revendications vont d’une suppression pure et simple de l’épreuve à son remplacement par des cours obligatoires de langue luxembourgeoise et à des dispenses sur la base du niveau de formation.
Dès 1985, le Conseil d’Etat avait mis en garde contre l’introduction de connaissances de langue qui ne tiennent pas compte des réalités et des compétences très inégales en matière dans ce domaine: „Il sera très difficile pour le travailleur immigré, notamment pour le travailleur manuel, de faire un apprentissage systématique du luxembourgeois en vue de l’obtention d’un certificat. Sa vie se partage pour la partie essentielle entre son lieu de travail et sa famille. S’il est naturel que dans sa famille la conversation se fasse dans la langue maternelle, donc dans la langue du pays d’origine, il est bien connu que sur les lieux de travail, notamment sur les chantiers de la construction, le français est utilisé dans les dialogues entre ouvriers de nationalités différentes et dans ceux entre les ouvriers et leurs chefs.“7)
Les lois de 2008 et de 2017 n’ont pas tenu compte non plus des recommandations de la première grande étude comparative européenne des modes d’acquisition et de perte de la nationalité de 2006: „Les exigences en matière de compétences linguistiques doivent toutefois être gérées avec souplesse, de sorte qu’elles aient un effet incitatif plutôt que dissuasif et qu’elles n’excluent pas complètement certains groupes. La capacité mentale à apprendre une nouvelle langue dépend de l’éducation préalable en langues étrangères et diminue avec l’âge. Les personnes âgées dont l’emploi ou la situation familiale leur a donné peu d’occasions d’apprendre la langue locale, ou les membres âgés de la famille qui rejoignent leurs enfants, sont souvent incapables d’apprendre une nouvelle langue.“8)
Ces analyses du Conseil d’Etat et de cette étude européenne sont d’ailleurs confirmées par les statistiques sur les naturalisations (par exemple seulement 73 naturalisations de Portugais depuis 2018) et par les taux d’échec élevés pour certains groupes de personnes dans les épreuves de langue.
Un exemple actuel pour illustrer la problématique: à l’initiative de la Fédération luxembourgeoise de football (FLF), les fédérations sportives veulent s’adresser au gouvernement pour discuter d’une modification éventuelle de la loi sur la nationalité. Quel est leur souci? Une des réalités du Luxembourg comme pays d’immigration est l’arrivée en bas âge, avec leurs parents, de jeunes talents sportifs des pays les plus divers d’Europe, d’Afrique et d’Asie. Comme ils ne sont pas nés au Luxembourg, ils ne peuvent pas opter à l’âge de douze ans pour la nationalité luxembourgeoise, alors qu’ils font leur scolarité au Luxembourg et parlent luxembourgeois à l’école ou dans leur club de sport. Comme leurs parents viennent souvent de pays et de régions où ils n’ont pas eu la chance d’avoir accès à une éducation poussée, notamment en langues, ces derniers n’ont pas les compétences langagières nécessaires pour passer l’épreuve de langue et ainsi acquérir la nationalité luxembourgeoise et la transmettre à leurs enfants mineurs. Voilà pourquoi ces jeunes, détectés comme grands talents sportifs, n’accèdent pas avant 18 ans à la nationalité luxembourgeoise et n’ont pas le droit de jouer dans les catégories de jeunes en équipe nationale. Il faudrait donc soit étendre le droit d’option à l’âge de douze ans à ces enfants étrangers scolarisés au Luxembourg, soit changer les exigences linguistiques en les adaptant notamment aux niveaux de formation des personnes. Or, ces jeunes construisent chaque jour des liens authentiques avec le pays, contrairement aux descendants lointains de Luxembourgeois émigrés il y a presque 200 ans et résidant à des milliers de kilomètres.
La comparaison de l’acquisition de la nationalité par des immigrants et leurs descendants résidant au Luxembourg avec les Luxembourgeois de l’étranger par ré-ethnicisation s’impose dans un autre domaine: celui de la promotion de la nationalité. Au Luxembourg et dans d’autres pays, la double nationalité basée sur l’ascendance, à l’image de l’article 29 (89) de la loi de 2008, représente un fait une „citizenship industry“.9) En consultant le site Luxcitizenship.com, le Brésilien et l’Américain à ancêtre luxembourgeois est accueilli par ce message: „Simplifying your journey to dual citizenship. About our mission: We help create bridges between America and Europe. Connect to your ancestors, and likewise open the door to new opportunities tomorrow.“ Si les gens étaient prêts à débourser 85 euros par ancêtre, les responsables du site, qui se présentent comme „mission-driven business focused on building connections between Europe and America“, leur ont fourni un rapport professionnel sur leurs ancêtres qui leur a permis, le cas échéant, de postuler pour la nationalité luxembourgeoise. Des milliers de personnes ont fait appel depuis novembre 2016 au site et aux services de l’„international affairs expert“ qui en a fait son business.
Le succès de l’article 29 (89) est dû en grande partie à cette promotion à but commercial. Quel décalage avec les pratiques concernant les résidents étrangers au Luxembourg! Alors que les autorités luxembourgeoises aident certes les demandeurs résidant au Luxembourg à remplir les conditions légales pour l’acquisition de la nationalité, notamment à travers le site web du ministère de la Justice (www.mj.public.lu) et un lien vers le „Dossier Nationalité“ sur la page d’accueil (www.mj.public.lu/nationalite), avec l’explication des formalités et des documents, il n’existe ni campagnes promotionnelles d’acquisition de la nationalité gérées ou financées par l’Etat ni cérémonies d’accueil dans la nationalité luxembourgeoise.
Le 1er juillet 2023, la Constitution révisée du Grand-Duché de Luxembourg entrera en vigueur. Ne serait-ce pas l’occasion idéale d’approfondir encore davantage notre réflexion sur le droit de la nationalité comme une des principales politiques d’intégration du pays? Ne devrions-nous pas, alors que le Luxembourg avance lentement mais sûrement vers le million d’habitants, nous poser cette question: Comment inclure, notamment par la nationalité luxembourgeoise, le plus de résidents permanents possibles dans un projet politique et sociétal d’avenir commun pour notre pays?
1) Weil, Patrick & Hansen, Randall, Citoyenneté, immigration et nationalité: vers la convergence européenne?, in: Id. (dir.), Nationalité et citoyenneté en Europe, Paris, 1999, p. 9
2) https://www.icj-cij.org/fr/affaire/18
3) A ce sujet, voir les travaux de l’historien Claude Wey et le roman de Guy Helminger: Wey, Claude, L’histoire des migrations entre le Luxembourg et les Amériques, in: Reuter, Antoinette/Ruiz, Jean Philippe (dir.), Retour de Babel. Itinéraires, Mémoires et Citoyenneté, Livre II: Arriver, Luxembourg, 2007, p. 262-271; Helminger, Guy, Neubrasilien, Roman (überarbeitete Ausgabe), Mersch, capybarabooks, 2020
4) Pour des détails sur la notion de nationalité stratégique: Harpaz, Yossi, Citizenship 2.0. Dual Nationality as Global Asset, Princeton & Oxford, Princeton University Press, 2019
5) Sommaribas, Adolfo/Petry, Ralph (EMN National Contact Point Luxembourg), Pathways to citizenship for third-country nationals in Luxembourg, University of Luxembourg, 2019, https://emnluxembourg.uni.lu/wp-content/uploads/sites/225/2019/12/Pathways-to-citizenship-for-third-country-nationals-in-Luxembourg_2019.pdf
6) Erdilmen, Merve/Honohan, Iseult, Trends in birthright Citizenship in EU28 2013-2022. Comparative report, RSCAS/Globalcit, 2020/02, March 2020; Vam der Baaren, Luuk, Dual Citizenship in the European Union: trends and analysis (2010-2020). Comparative report, RSCAS/GLOBALCIT, 2020/04, July 2020
7) Avis complémentaire séparé du Conseil d’Etat du 7 mai 1985 sur le projet de loi 2898/02 portant modification de la loi du 22 février 1968 sur la nationalité luxembourgeoise telle qu’elle a été modifiée dans la suite
8) Bauböck, Rainer & Perchining, Bernhard, Evaluation and recommendations, in: Acquisition and Loss of Nationality. Volume 1: Comparative Analyses, edited by Rainer Bauböck, Eva Ersboll, Kees Groenendijk, Harald Waldrauch, Amsterdam, IMISCOE Research, 2006, p. 451-452
9) https://www.luxcitizenship.com
Sur l’auteur
L’historien et vice-directeur du C2DH Denis Scuto est depuis 2008 expert national pour le Luxembourg au European Union Democracy Observatory (EUDO), renommé en 2017 Global Citizenship Observatory (Globalcit). Du 1er mars au 30 juin 2023, Denis Scuto est Visiting Fellow au Robert Schuman Centre for Advanced Studies de l’European University Institute à Florence/Fiesole, où se trouve également le siège de Globalcit. Ses rapports sont consultables et téléchargeables sous le „country profile“ du Luxembourg à l’adresse web suivante: https://globalcit.eu/country-profiles/.
@ Gui M.
Pas de doute, c'est ridicule que des Brésiliens sans liens actuels avec le Luxembourg ont accès facile à la nationalité.
A quoi bon, à part de gonfler artificiellement le nombre de personnes à nationalité luxembourgeoise?
Que des frontaliers puissent ré-acquérir la nationalité, c'est une bonne idée, mais quel est l'utilité de donner la nationalité à des personnes qui habitent aux autres bouts du monde?
@Denis Scuto:
C'est clair ce que le passeport apporte à ces personnes, mais avez-vous une idée de ce que ça apporte au Luxembourg?
Je suis marié avec une Brésilienne qui est venue emménager avec moi au Luxembourg. Elle a participé aux cours d'intégrations dans la société luxembourgeoise. Elle a suivi avec moi les traditions luxembourgeoises comme la Kavalkade, Brëtzelsonndeg, Péckvillecher...
Elle apprend le français mais connaît bien sûr quelques mots les plus courants en luxembourgeois et votera bientôt aux élections communales.
Et après plus d'un an de vie au Luxembourg, mon épouse brésilienne connait bien la réalité du pays comme le multilinguisme quotidien, les logements chers, l'administration, certe efficace mais inévitable, la discipline citoyenne etc.
Malgré l'absence d'ancêtre luxembourgeois, je trouve le décalage saisissant entre elle, sans prétention, et ses compatriotes brésiliens, s'affirmant fièrement Luxembourgeois en raison d'un ancêtre retrouvé, qui sont juste passés une fois au Biergercenter pour récupérer leur nationalité "recouvrée", alors même qu'ils n'ont aucune notion des éléments que je viens de citer précédemment. Ça me laisse toujours dubitatif...
Merci pour toutes ces informations. Et complètement d'accord.
Et bien que je devie du sujet: il est mille fois plus juste de faciliter l'accès à la nationalité luxembourgeoise (double ou simple) aux personnes qui font leur vie au Luxembourg, n'importe la langue officielle du Luxembourg parlée, que de donner un droit de vote aux étrangers.