Après un an d’atermoiements et faute d’obtenir des avancées suffisantes en matière d’environnement, le ministre français de la Transition écologique Nicolas Hulot a annoncé hier qu’il avait pris la décision de quitter le gouvernement. «Je prends la décision de quitter le gouvernement», a déclaré Nicolas Hulot sur France Inter, après avoir confié qu’il se sentait «tout seul à la manœuvre» sur les enjeux environnementaux au sein du gouvernement. Nicolas Hulot a précisé qu’il n’avait prévenu ni le président ni le premier ministre de cette décision, par crainte qu’ils ne le convainquent de rester au gouvernement. «C’est une décision d’honnêteté et de responsabilité», a-t-il déclaré. Une décision pourtant qui laisse des questions.
De notre correspondant Bernard Brigouleix, Paris
Hier matin sur France Inter, Nicolas Hulot a justifié en ces termes sa démission: «Est-ce que nous avons commencé à réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’utilisation des pesticides, l’érosion de la biodiversité, l’artificialisation des sols? La réponse est non (…). Est-ce que les petits pas suffisent à endiguer ces périls, à inverser la tendance et même à s’adapter, car nous avons déjà basculé dans la tragédie climatique? La réponse est non.» Et de cette série de «non», le désormais ancien ministre rend manifestement responsable, sans le dire de manière totalement explicite, Emmanuel Macron et le gouvernement, mais aussi l’opinion publique, qui ne lui semble pas prête à faire les choix qu’il estime indispensables. En fait, M. Hulot espérait un changement radical du mode de production et d’échanges, et une nouvelle organisation de la société, pour préserver les ressources naturelles, la faune, la flore, le climat … C’est peu dire qu’il ne l’a pas obtenu.
Concrètement, le bilan ministériel de Nicolas Hulot n’est pas inexistant, mais il est maigre. L’arrêt du projet de nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, a certes rendu (en principe) à l’agriculture environ mille hectares, contre l’avis de la population locale. Les mots «environnement, climat, biodiversité» figureront bien à l’article 1 de la Constitution. D’autres petits succès ont été obtenus à la marge. Mais que de couleuvres avalées par ailleurs!
La part du nucléaire dans le «mix» énergétique français ne sera pas significativement réduite avant longtemps, le glyphosate reste autorisé en France pour trois ans encore, il n’a jamais pu promouvoir le «nouveau modèle agro-alimentaire» qu’il réclamait, et s’est même trouvé exclu des «Etats généraux de l’alimentation» l’automne dernier. Et, d’une manière générale, presque tous les arbitrages budgétaires ont été rendus au détriment de son ministère.
Ultime humiliation, lundi, pour ce défenseur de la cause animale: une réunion des organisations de chasseurs à l’Elysée, en présence d’un lobbyiste bien connu des milieux cynégétiques qu’il a vainement tenté de faire sortir de la salle, et qui a abouti à diviser par deux le prix du permis de chasse. C’était la goutte d’eau de trop dans ce calice déjà débordant d’amertume, et qu’il a finalement décidé de ne pas boire jusqu’à la lie.
Macron et son gouvernement devront faire face à plusieurs problèmes
Dans les rangs de l’exécutif, l’annonce de la démission de Nicolas Hulot a pris tout le monde de court. La surprise n’en était pourtant qu’à moitié une: plusieurs fois déjà, devant les déceptions répétées qui lui étaient infligées, il avait semblé sur le point de quitter ses fonctions, et s’en était ouvert au président de la République comme au premier ministre. Mais justement: ces derniers pouvaient être tentés de ne plus y croire, et de se dire que M. Hulot avait déjà accepté trop d’accommodements pour démissionner maintenant. L’intéressé lui-même a d’ailleurs avoué ingénument que s’il ne leur avait rien dit de ses intentions cette fois-ci, c’était par crainte d’être à nouveau rassuré par de bonnes paroles auxquelles il ne voulait plus croire …
Les problèmes posés par ce départ du ministre le plus populaire du gouvernement sont, pour l’Elysée et Matignon, de trois ordres. Il y a d’abord, à très court terme, la question de son remplacement. Les raisons avancées par Nicolas Hulot pour expliquer sa décision, et qui ne sont guère contestées dans les milieux écologistes, font que les personnalités crédibles pour ce poste risquent de ne pas se bousculer. Or, l’ouverture de la nouvelle session parlementaire, qui va être dominée par la discussion budgétaire, exige que le gouvernement soit complété au plus vite.
Il y a, ensuite, la question de savoir si l’on profite, ou non, de ce changement de titulaire pour procéder à un remaniement plus vaste du gouvernement, dont, à l’évidence, certains membres ont déçu, ou sont confrontés à des dossiers qu’ils ne maîtrisent pas.
Il y a, enfin et surtout, le coup porté à l’image même du pouvoir macronien. La défection de Hulot est, en négatif, ce qu’avait été en positif l’annonce de cette superbe «prise de guerre» lors de la constitution du gouvernement. Si la rentrée s’annonçait tranquille, l’affaire serait sans doute un peu moins gênante. Mais entre les sondages en berne, les baisses de pouvoir d’achat, la morosité de la reprise économique et la persistance du chômage de masse, le pouvoir se serait bien passé de cet épisode qui confirme avec éclat la fin de son état de grâce.
Ce que les Verts français vont faire
En quittant avec éclat le gouvernement, Nicolas Hulot a offert aux écologistes une occasion de triompher, au-delà des déclarations amicales ou compatissantes; mais il leur a aussi posé un double problème.
Le triomphe, c’est celui de tous ceux qui, dans la famille des Verts français – laquelle, par ses déchirements incessants, ses haines personnelles et ses rivalités infinies, évoque plus, il est vrai, celle des Atrides de la mythologie grecque qu’un foyer chaleureux et uni – n’avaient cessé de critiquer le ralliement de Hulot au macronisme et assuraient qu’il ne manquerait pas de se casser les dents sur la priorité très clairement donnée par le nouveau président à l’économie sur l’écologie. En égrenant lui-même à la radio, hier matin, les raisons pour lesquelles il partait, et donc d’une certaine façon la liste de ses échecs, le démissionnaire a semblé donner raison point par point à ses «amis» vrais ou faux, qui en ont tiré l’occasion de quelques «On vous l’avait bien dit» difficiles à réfuter.
Mais la fraction de l’opinion qui, même en ayant apprécié depuis longtemps le travail de Nicolas Hulot, ne croit guère à la nécessité, ou au moins la possibilité, d’un changement total de système économique et social, voire mental, susceptible de sauver l’environnement planétaire, va aussi se trouver confortée par ses propos pleins d’une amère lucidité. Il risque d’y avoir pour beaucoup de gens, dans ce constat d’échec, quelque chose qui ne les incitera pas à voter «écolo». En particulier dans la perspective des élections européennes du printemps prochain; la tête de liste des Verts, Dominique Jadot, a aussitôt tenté de convaincre les électeurs du contraire, mais il n’est pas assuré, pour le moins, d’y parvenir.
Autre problème pour les Verts: que va faire Hulot, rendu à sa liberté d’action et de parole? Sa démission ne devrait pas nuire à son image, au contraire; et par rapport aux personnalités assez pâles qui se piquent d’incarner aujourd’hui et de conduire la mouvance écologiste, il pourrait bien se révéler un concurrent redoutable. Du moins s’il ne se retire pas, écœuré, sur son Aventin.
Journaliste, producteur de télévision, écrivain, homme d’affaires, militant écologiste …
En entrant au gouvernement l’an dernier, à 62 ans, au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron, Nicolas Hulot pouvait déjà se flatter d’avoir eu une carrière bien remplie, comme journaliste et producteur de télévision, écrivain, homme d’affaires et militant écologiste plutôt indépendant mais passionné.
Et souvent passionnant: son émission Ushuaïa, lancée en 1998, avait vite conquis un public important. Et valu à son concepteur une renommée flatteuse … et d’importants royalties – 30.000 euros par mois – car le nom allait rapidement devenir une marque déposée, appliquée à une soixantaine de produits, dont une célèbre marque de shampoing et gel-douche. Ce qui fera d’ailleurs, lorsque Hulot est tenté par l’engagement politique pour défendre ses idées, renâcler ses «amis» verts. Lesquels lui reprocheront par ailleurs de ne pas vouloir s’afficher plus particulièrement à gauche, dont eux se réclament. C’est dans cet esprit œcuménique que Hulot fait adopter par presque tous les candidats à la présidentielle de 2007 un «pacte écologique», tout en multipliant les initiatives de popularisation des thèses environnementales en direction du grand public, comme avec sa fondation, ou son film, «Le syndrome du Titanic».
Pour la présidentielle de 2012, il est tout de même tenté de franchir le pas et sollicite l’investiture des Verts. En vain: au cours d’un de ces psychodrames dont ils ont le secret, ils lui préfèrent Eva Joly, qui fera un score particulièrement faible (2,3% des voix).
Elu, Hollande lui propose le ministère de l’Environnement, que Hulot décline comme il l’avait fait pour Chirac puis Sarkozy: c’est peu dire que les présidents français successifs ont cherché à s’attacher cette figure populaire de l’écologie, auréolée de surcroît de sa notoriété télévisuelle.
Mais l’envie de s’impliquer plus personnellement finit par être la plus forte avec Macron, qui lui propose, non seulement le portefeuille de l’Environnement et de la transition écologique et solidaire, titre qui peut laisser espérer de vrais pouvoirs, mais aussi, pour que le symbole soit plus fort … et la tentation plus grande, le rang de ministre d’Etat, qui en fait – bien théoriquement, comme la suite le montrera – le numéro trois du gouvernement, dont il deviendra aussitôt, et restera jusqu’au bout, le membre de loin le plus populaire.
Macron peut-il poursuivre son combat écologique contre Trump?
La démission de Nicolas Hulot aura-t-elle aussi des répercussions internationales, en décrédibilisant la démarche du président Macron en direction de son homologue américain? Et aussi d’ailleurs, dans une certaine mesure, sur le scène européenne, où la France a manifesté à plusieurs reprises, parfois victorieusement comme à propos de l’interdiction future du glyphosate dans l’agriculture, l’intention de durcir les normes de l’UE en matière environnementale?
Il est encore trop tôt pour le dire. Mais la façon détaillée dont le ministre a justifié sa démission, en égrenant des manquements et des promesses non tenues, tend à relativiser la réalité des ardeurs écologistes du chef de l’État et de son gouvernement; d’autant plus qu’on n’imagine guère le successeur de Hulot au portefeuille de l’Environnement obtenir davantage que le démissionnaire. Du moins Macron, s’il ne veut pas que sa capacité d’action sur ce terrain s’en trouve réellement amoindrie, sera-t-il sans doute enclin à ne pas réduire sa politique environnementale.
En outre, les positions prises par Donald Trump en la matière ne relèvent pas d’une simple paresse à promouvoir les réformes qui s’imposent: elles marquent carrément un retour en arrière, au détriment d’acquis écologiques. Pour n’en citer que deux exemples criants, il a retiré les Etats-Unis de l’accord (presque) mondial scellé à Paris lors de la COP 21, et fortement relancé l’exploitation du charbon, dont on sait combien son usage, dans les centrales thermiques en particulier, est polluant pour l’atmosphère. Deux domaines où les positions françaises sont claires, et inchangées.
Reste que les objurgations ou les préconisations de la France dans le domaine environnemental, qui faisaient jusqu’alors plus ou moins partie de sa posture internationale, même si sa position était sensiblement moins avant-gardiste en actes qu’en paroles, risquent de se heurter désormais à un certain scepticisme – voire susciter quelques sourires ironiques. Sans parler des fameux tweets du locataire de la Maison Blanche …
Nicolas Hulot est, en matière écologique, en avance de plusieurs longueurs à la politique de la France et à la politique européenne. Il est un homme du terrain qui voit les choses en face et qui a réalisé que nous irons tout droit dans la catastrophe si nous ne sommes pas prêts à changer fondamentalement notre train de vie et notre mentalité. Or, il semble que la société n'est pas encore mûre pour ce revirement . L'industrie et l'économie sont plus puissantes que la politique. Les finances dominent le monde. Le changement climatique avec ses effets désastreux pour l'environnement est d'ordre secondaire. Hulot a tiré les conséquences de son impuissance face aux responsables inconscients et indéterminés en quittant un gouvernement qui faisait la sourde oreille à ses exigences. Nicolas Hulot a bien payé de sa personne. Il est honnête contrairement à son Président opportuniste!