Martin Bache avait 18 ans lorsque l’ordre d’accomplir le Reichsarbeitsdienst (RAD) lui parvint par la poste. Cet adolescent n’avait rien d’un admirateur du régime nazi, bien au contraire. Comme il le raconta des décennies plus tard dans ses souvenirs de guerre1), il avait dû abandonner ses études deux ans plus tôt pour avoir multiplié les provocations anti-allemandes dans son lycée, puis refusé d’adhérer aux Jeunesses hitlériennes.
Sanctionné pour ces actes qui au final relevaient plus de la blague de potache que de la lutte frontale contre l’occupant – comme perturber le chant du Deutschlandlied ou porter un béret basque, symbole de la subversion culturelle française pour les nazis –, il s’était par la suite „radicalisé“. En septembre 1941, il avait adhéré à la Letzeburger Volléks-Legio’n (LVL). Au sein de ce mouvement de résistance, il était notamment chargé de passer des messages, mais participa aussi à des actions de contre-propagande et à la prise en charge des premiers réfractaires et déserteurs.
Sur les arrières du Front de l’Est
Au printemps 1943, il fut à son tour mobilisé, tout d’abord pour le RAD. Le 21 juin 1943, il partit pour la ville prussienne de Bromberg (auj. Bydgoszcz en Pologne), où il accomplit son service du travail jusqu’à la fin septembre. Il était de retour au Luxembourg depuis à peine deux semaines, lorsqu’il reçut son ordre de mobilisation dans la Wehrmacht.
Il réussit d’abord à repousser l’échéance grâce à l’aide de son médecin de famille, qui constata opportunément qu’il devait absolument être opéré de l’appendicite. Après ce bref répit, lui et son frère, qui venait également d’être mobilisé, songèrent à se soustraire à l’enrôlement. La LVL leur fit cependant comprendre qu’elle ne pouvait rien pour eux, ce que Bache narra avec une amertume à peine tempérée par le passage du temps. Le refus de le LVL d’aider les deux adolescents s’explique par le fait que le mouvement avait été sérieusement affaibli par une vague d’arrestations dans les mois précédents.
Le 17 décembre 1943, Martin dut rejoindre un camp d’instruction situé à Schwerin, dans le Mecklembourg, et en février 1944 il fut transféré, en compagnie d’une vingtaine de compatriotes, sur les arrières du Front de l’Est, dans un vaste secteur situé à mi-chemin entre la frontière lettone et Leningrad (l’actuelle Saint-Pétersbourg).
Oradour tous les jours
Comme beaucoup de jeunes conscrits luxembourgeois, Martin fut affecté à ce que les Allemands nommaient alors „Bandenkampf“ ou „Partisanenbekämpfung“, c’est-à-dire la chasse aux maquisards soviétiques, qui se cachaient dans les marais et les forêts des régions occupées, harcelant les unités allemandes isolées et sabotant leurs lignes de communication. Les unités de la SS, de la Wehrmacht et de la police, engagés dans la lutte contre les partisans, avaient les mains absolument libres.
Le décret Barbarossa, émis le 13 mai 1941, prescrivait l’élimination impitoyable des combattants irréguliers. Il permettait aussi aux combattants allemands d’éliminer tout civil suspecté d’avoir commis des actes hostiles, ainsi que les résidents des zones où de tels actes avaient eu lieu au nom de la „responsabilité collective“. Le décret exonérait enfin les combattants allemands de toute responsabilité pénale, y compris pour des actes punissables selon le droit allemand.
Dans ces conditions, la lutte contre les partisans prit des dimensions génocidaires. L’historien belge Christian Ingrao résuma ainsi son déroulement en Biélorussie par une formule lapidaire: „C’était Oradour tous les jours.“ Il n’en allait pas différemment sur le secteur du front où Martin Bache avait été muté.
Abattez-les tous
Le premier „Bandenkampf“ auquel Martin prit part eut lieu début avril 1944. Lui et ses camarades quadrillèrent pendant près de dix jours, dans des marches harassantes, un vaste espace forestier sombre et boueux. Ils finirent par atteindre le village qui leur avait été fixé comme objectif, mais n’y trouvèrent pas ce qu’ils cherchaient:
„Gegen Ende des ganzen Unternehmens, sollte es uns dann doch gelingen die ‚so gehassten Partisanen’ zu stellen. In einer Lichtung stiessen wir auf eine Gruppe zerlumpter Menschen. Es waren alte Frauen, Männer und Kinder, die bestimmt nicht zu den Partisanen gehörten, die aber vor den vorrückenden Deutschen immer tiefer in den Wald geflüchtet waren. Völlig erschöpft wussten sie dann nicht mehr weiter und wurden gestellt. Unser Bataillonschef gab sofort den Befehl, alle zu erschiessen. Der Chef unserer Kompanie hatte jedoch den Mut zu erklären, dass er einen solchen Befehl nicht ausführen würde. Was dann mit diesen Leuten geschah, habe ich nicht mehr gesehen, es wurde aber nachher erzählt, sie seien alle erschossen worden. Ein anderer Vorfall hat sich mir tief eingeprägt. Wir hatten ein Dorf besetzt und die Einwohner wurden aufgefordert, ihre armseligen Hütten zu verlassen. In dem Haus, das uns zugeteilt worden war, hing eine primitive Wiege, ein Korb, die mit einem Seil an der Decke befestigt war. In dieser Wiege lag ein Baby und daneben sass seine Mutter. Unser Feldwebel, ein überzeugter Nazi, schnitt das Seil durch und schmiss die Wiege samt Inhalt gegen die Wand. Die entsetzte Mutter riss das schreiende Kind an sich und verschwand.“
Solidarité de fait avec les Allemands
Quel qu’ait été le niveau de participation des conscrits luxembourgeois à ce genre d’exactions, l’effroyable brutalité avec laquelle était menée la lutte contre les partisans eut pour effet de les souder à leurs camarades allemands. Martin et quelques autres Luxembourgeois songèrent bien un moment à déserter, mais abandonnèrent vite cette idée :
„Wir waren aber einhellig der Meinung, dass es in dem Abschnitt der Front, in dem wir uns befanden, kaum angebracht wäre dieses zu tun, da die uns gegenüberliegenden Russen bestimmt keine Ahnung davon hätten, wer nicht Deutscher sei, zumal wir in der verhassten Uniform nicht von den Reichsdeutschen zu unterscheiden waren. Auch zirkulierten Gerüchte, dass die Russen kaum Gefangene machten, angesichts der Gräueltaten, die von Deutschen angerichtet worden waren.“
A la mi-juin, l’unité de Martin fut déplacée sur la ligne de front. Il s’y trouvait, lorsque l’Armée rouge lança sa contre-offensive sur le nord de la Baltique. Piégés dans une tranchée que leurs propres officiers croyaient perdue, ses camarades et lui furent bombardés par l’artillerie allemande. Il y eut de nombreux morts, dont l’un de ses copains luxembourgeois, un garçon de 20 ans originaire de Consdorf:
„Ich kroch zu ihm hin und merkte sogleich, dass ihm nicht mehr zu helfen war. So stand ich ihm in seiner letzten Stunde bei, er war nur halb bei Bewusstsein. Ich versuchte noch, ihn zu trösten so gut ich konnte, dann tat er einen Schrei: ‚Wou ass meng Mamm, wou ass …?’ und starb … Stundenlang lag ich neben ihm, und sein toter Leib schützte mich vor den umherfliegenden Splittern.“
Blessé à son tour, Martin eut la chance d’être dirigé vers un hôpital militaire en Allemagne. A la fin de sa convalescence, ne pouvant se rendre au Luxembourg libéré par les Alliés, Martin partit se cacher en Silésie, parmi les familles luxembourgeoises transplantées. Il rentra finalement chez lui le 8 mai 1945, le jour de la capitulation sans conditions du Reich allemand.
1) Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Fonds Documentation historique Deuxième Guerre mondiale (DHIIGM) 59, Documentation sur les activités de résistance dans la commune de Feulen. « Kriegserlebnisse zusammengestellt von Martin L. Bache, geboren am 21.08.1924 zu Niederfeulen ». Les souvenirs de Martin Bache ont également été publiés dans : Les Sacrifiés, septembre 2008 (N° 3), pp. 4-11, sous le titre « Ein Abenteuer ohnegleichen ».
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