Après plusieurs éditions consacrées aux livres augmentés, les Rotondes ont encore davantage affiné le curseur de leur exposition pour se concentrer sur l’objet hybride qu’est le flipbook. Cet ouvrage, en général de petite taille, de sorte qu’on a pu le qualifier de cinéma de poche, est composé de dessins qui s’animent à la vitesse avec laquelle on feuillette l’opuscule. Cet objet était très populaire aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle, qui a enfanté beaucoup de machines animant des images, comme on peut le découvrir ludiquement dans un „cabinet de curiosités précinéma“ disposé au fond de l’espace d’exposition de „Flip off“.
À l’entrée, une bibliothèque de livres suspendus propose de découvrir des dizaines d’exemples de flipbooks, édités par quelques maisons d’édition de référence. Dans un premier îlot central, on peut actionner, en appuyant sur un bouton, des flipbooks développés dans un format nouveau, feuilletés qu’ils sont au moyen de boîtes mécaniques en bois. Ce sont toutes des créations exclusives que les Rotondes ont commandées à une vingtaine de dessinateurs luxembourgeois et étrangers. Des artistes confirmés côtoient des moins expérimentés, la plupart s’essayant pour la première fois à un tel exercice. La création du Français Tom Haugomat, prisé dans la presse de magazine du monde entier, côtoie celle de l’artiste luxembourgeois en devenir Charl Vinz, qui expose actuellement au Ratelach de la Kulturfabrik à Esch.
Parmi eux, la Luxembourgeoise Marie Lavis a obtenu l’honneur de réaliser un flipbook officiel, mis en vente (9 euros) durant le festival. Dénommé „Tandem Running“, il déroule une histoire autour du cercle, „symbole d’universalité, de lumière, de rassemblement, d’aboutissement et des Rotondes“. La graphiste et illustratrice pratique l’animation, au moyen de peintures sur papier, pour la réalisation de clips musicaux. Elle connaissait donc cette forme de spontanéité qu’offre l’animation dès lors qu’à défaut de se concentrer sur un dessin fixe, chaque dessin n’a pas besoin d’être parfait. Par contre, il lui a fallu faire des recherches pour bien saisir les contraintes du défi à relever. „Pour moi, ce qui est difficile, c’est de pouvoir délivrer un message en si peu de temps et de réfléchir que ce sera un objet pris de manière différente par chaque personne“, explique-t-elle. L’exposition permet d’ailleurs aux visiteurs de s’essayer aux subtilités de l’exercice.
Livres flippés, pas flippants
Le flipbook n’a pas non plus fini d’engendrer de nouveaux concepts. Quand Marie Paccou tourne les pages d’un livre, il y a de grandes chances qu’elle soit en fait en train d’y tourner un film. Lors d’un atelier dédié au flipbook dans une médiathèque, elle a eu l’idée de faire dessiner ses apprentis sur les livres dont l’établissement se débarrassait au cours d’une action dite de désherbage. L’artiste française était sûre de ravir ses apprentis, tout contents de braver un interdit. Elle avait surtout posé les bases du „livre flippé“ qui lui a permis de se tailler une solide réputation dans le cercle des artisans poètes.
Son travail est une forme de recyclage, de sauvetage de livres condamnés à la destruction, pour les emmener ailleurs. Elle dessine chaque page du livre, puis prend en photo chaque double-page et en monte une vidéo, au rythme de douze images par seconde, qui offre une seconde vie au livre. „On ouvre le livre et dedans, il y a un film, j’adore l’idée.“ Ces „livres flippés“ sont porteurs d’une symbolique forte. „J’ai trois enfants, et le livre n’est plus pour eux le support culturel de prédilection qu’il avait été pour moi“, explique-t-elle. „Ça permet de faire le lien entre une génération qui n’a plus le livre comme média culturel et la mienne qui l’a eu et qui ne sait pas quoi en faire.“
Marie Paccou „flippe“ des livres dont elle veut se séparer, pourvu qu’elle les ait lues depuis suffisamment longtemps pour en avoir une vision distanciée. Elle choisit alors quel type de portrait très personnel elle va consacrer au livre sélectionné. „Des fois, le portrait essaie d’être fidèle, d’autres fois, il est flatteur, ce peut aussi être une caricature, ou alors un portrait un peu malicieux qui dénature volontairement le modèle.“ Ce dernier cas s’applique notamment aux livres conceptuels qu’elle évite. „Je ne peux qu’en prendre le contre-pied. J’ai fait La critique de la raison pure, avec des gommettes, en faisant une danse, l’inverse de Kant qui est extrêmement sérieux et lourd.“
Quand les Rotondes ont eu l’excellente idée de demander à Marie Paccou de „flipper“ „De Renert“, ils l’ont mis devant un défi à deux égards. Les nombreuses gravures qui y figurent l’ont poussé à abandonner les habituels marqueurs à alcool, crayons de couleur et collages, pour passer à la peinture acrylique pour représenter les deux personnages principaux que sont le renard et le loup, et à l’aquarelle pour le fond, tandis que les autres animaux dont se défait le renard sont fait avec un plus habituel „pilot pen“.
Un autre obstacle résidait dans le fait que Marie Paccou, native du Massif central, ne lit pas le luxembourgeois. Elle s’est fait une idée de ce que pouvait bien raconter le Renert, en se plongeant dans la traduction française du „Reineke Fuchs“ de Goethe. Cette commande des Rotondes lui a ainsi permis d’introduire un genre nouveau dans sa galerie de portraits: le portrait à tâtons, „comme une aveugle“, dit-elle. Le résultat est une fresque animée dont une corde forme le fil rouge et durant laquelle le renard est traîné au château du roi, mais est assez malicieux pour s’en sortir et emprisonner tous les animaux qui le chicanent.
L’exposition présente la vidéo et l’original du Renert flippé ainsi que ceux de huit autres œuvres de Marie Paccou, toutes uniques, parmi lesquelles „Zazie dans le métro“, „On the road“, „À rebours“. Des supports d’exposition ont été construits sur mesure pour qu’on puisse voir le livre sans le toucher. Pour cause, les livres flippés de Marie Paccou ne sont adaptés à l’édition. Ils posent trop de contraintes. Ainsi, chaque livre est un original, un objet d’art, dont la possession permet d’ailleurs de vivre le plaisir particulier de l’amateur de flipbook. „Il laisse la liberté au spectateur de s’arrêter sur une image. Ça veut dire que j’accepte qu’on regarde mon dessin immobile et ça n’est pas évident. Ça m’arrange de bouger“, explique Marie Paccou. „J’ai collectionné quelques dessins d’animation. C’est très beau, car souvent l’animateur oublie son dessin quand il dessine. Par rapport à ceux qui font de l’image fixe, il y a quelque chose de plus direct, de moins chipoteur. Il y a peut-être un peu plus d’énergie.“ La très belle exposition conçue par les Rotondes est l’endroit idéal pour le vérifier.
Infos
L’exposition „Flip off“ est visible jusqu’au 12 février, les jeudi et vendredi de 15 à 19 h ainsi que les samedi et dimanche de 11 à 18 h. Le festival Fabula Rasa, ce sont aussi des spectacles („Hamlet et nous“, aujourd’hui et demain à 19 h, „Un océan d’amour“, du 1er au 5 février, et „Hostile“, les 3 et 4 février), et des labos pour enfants (tous complets).
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