Fan de foot depuis sa plus tendre enfance, en 2019, Tessy Troes suit la Coupe du monde féminine en France en tant que journaliste free-lance. Elle livre des reportages à l’hebdomadaire Woxx, dans lequel elle documente aussi bien l’engouement pour le football féminin que les obstacles qui lui sont faits pour une reconnaissance encore plus grande. C’est dans ce contexte, en lisant une brochure de la FIFA qui recense les dates de création des fédérations de chaque pays, qu’elle découvre que le football féminin existe au Luxembourg depuis l’année 1972. Elle n’a jamais entendu parler d’équipes aussi anciennes. Elle pensait que tout avait commencé en 1997, ce qui lui permettait de comprendre la peine qu’elle avait eue, gamine, pour pouvoir pratiquer à son tour le sport qui occupait tous les dimanches les membre de sa famille. Alors qu’Esch2022 se profilait, elle a proposé et obtenu de tourner un documentaire qui retrace l’histoire du football féminin au Luxembourg.
1.500 spectateurs en 1971
Si les origines du foot masculin au Luxembourg sont fortement liées au bassin minier – et à Esch en particulier –, la naissance du foot féminin, et même son histoire, ont beaucoup plus à voir avec la campagne. C’est l’un des premiers enseignements du documentaire qui se déploie de manière chronologique. C’est en effet à Bissen que tout commence à l’automne 1970, quand une équipe est créée à l’instigation d’un entraîneur allemand. Des femmes qui s’étaient prises de passion pour le sport le plus pratiqué au village sont rejointes par d’autres, curieuses de cette nouvelle activité proposée aux femmes, qui ne pouvaient jusque-là qu’espérer jouer au basket dans la lointaine Mersch.
Au début des années 70, la chasse que le milieu catholique faisait au football masculin au début du siècle est achevée depuis longtemps. Mais les femmes sont toujours et encore censées rester au foyer bien sagement, à s’occuper de la cuisine et des enfants. Et ce sont ces commentaires que doivent affronter ces pionnières lors des premières parties qu’elles disputent contre des équipes allemandes. L’affluence est forte pour venir voir cette nouveauté. On semble se rendre aussi aux matchs de foot comme on se rendait 35 ans plus tôt aux zoos humains sur la „Schueberfouer“, pour rigoler de ceux qui sont de l’autre côté de la barrière. On vient voir des femmes qui ne sont prétendument pas faites pour jouer au foot comme on venait voir des Africains prétendûment inadaptés à la civilisation. Mais on y vient aussi pour voir des femmes en short, tout comme des femmes jouent au foot pour se faire regarder, bien que ces dernières soient souvent les premières à abandonner quand il faut s’entraîner dans le froid et la boue, loin des regards.
L’initiative de la vallée de l’Attert a eu des échos dans le Sud du pays, avec la création du club de Belvaux, les deux clubs pouvant organiser, en octobre 1971, un spectacle inédit, le premier match de foot féminin entre équipes luxembourgeoises qui attire 1.500 spectateurs. Le documentaire „Um Ball“ donne la parole à un grand nombre de ces pionnières, âgées de 70 ans et plus désormais. Elles s’appellent Georgette Kemp, Nicole Klein, Charlotte Weber … Leurs témoignages sont empreints d’émotion quand elles évoquent le regard des autres et parcourus de rires quand elles racontent des anecdotes qui rendent nostalgiques les amoureux d’un football populaire.
Témoignages bruts
Tessy Troes a agencé les témoignages rares et inédits des 68 personnes qu’elle a interviewées pour construire une narration, mais a renoncé à poser une voix off pour ne pas courir le risque de leur donner un sens qu’ils n’ont pas. La jeune femme qui appartient au collectif d’artistes foncièrement féministe, Richtung 22 (pour lequel elle s’est retrouvée déjà deux fois derrière les caméras), pensait à l’origine partir en reportage sur une face cachée du féminisme. Il faut dire que le foot féminin et le Mouvement de libération des femmes sont nées à la même époque. La coïncidence était troublante. Elle s’imaginait que les premières joueuses s’inscrivaient dans ce mouvement. Elle s’est laissé surprendre. „J’ai demandé à chaque personne, mais aucune ne pouvait s’affilier à la lutte féministe. C’était un autre profil de femmes.“ C’est pourquoi à aucun moment le mot féminisme ne tombe, l’une d’elles préférant évoquer son idéalisme. Pourtant, ces femmes ordinaires qui avaient entre 20 et 30 ans au début des années 70 ont dû non seulement, pour poursuivre leur passion, endurer toutes les plus viles résistances du monde masculin, mais ont aussi fourni une contribution non négligeable à l’égalité et à faire accepter que les femmes peuvent choisir de mener leur vie comme bon leur semble. Elles l’ont fait, loin de la capitale, où le match en faveur des femmes se jouait plutôt dans l’arène politique et dans la rue, loin des terrains de foot.
De mon point de vue, chacune de ces joueuses est féministe, même si elle ne s’identifie pas comme telle. Chacune a fait un espace dans sa vie pour pouvoir pratiquer le football. Chacune a rencontré des obstacles et a trouvé une voie pour jouer.
„De mon point de vue, chacune de ces joueuses est féministe, même si elle ne s’identifie pas comme telle“, poursuit la réalisatrice. „Chacune a fait un espace dans sa vie pour pouvoir pratiquer le football. Chacune a rencontré des obstacles et a trouvé une voie pour jouer.“ La pratique du football, un match et un, voire deux entraînements hebdomadaires, impliquait de forcer les autres à s’adapter à la nouvelle donne, y compris aux maris tenus de garder les enfants pendant que maman est au foot. Le documentaire est d’ailleurs aussi émaillé de passages savoureux sur la conciliation de la famille et du travail.
Mépris durable
Même si elle est née dans les années 90, Tessy Troes a elle-même connu dans sa chair les mêmes désillusions quand, à neuf ans, au début du nouveau millénaire, elle a voulu jouer au football dans son club d’Etzella Ettelbruck. On lui a d’abord interdit de jouer, avant, deux ans plus tard, de l’autoriser à le faire avec les garçons. Et cela durera encore trois ans avant qu’elle puisse intégrer une équipe féminine. Son documentaire „Um Ball“ montre comment cela fut possible. Depuis les années 70, le football féminin n’a pas été pris au sérieux, à commencer par la fédération de football, toujours contente de voir le nombre de clubs s’écrouler et le championnat disparaître, faute de relèves quand des femmes abandonnaient. Institué en 1972, le championnat disparaît une première fois en 1978 pour six années, pour ne réapparaître définitivement qu’en 1997, après des passages par les ligues allemandes et belges.
La reconnaissance passe aussi par le soutien d’une équipe nationale. Et il aura fallu attendre 2019 pour que la Fédération permette à l’équipe féminine de participer aux éliminatoires de compétitions internationales comme les hommes. Mais l’équipe doit encore composer avec les effets du mépris d’autrefois quand elle peine à remplir le stade de Luxembourg ne serait-ce qu’au dixième de sa capacité.
Sans doute, en dévoilant ces enjeux, le documentaire „Um Ball“ aidera aussi à remplir les stades. Tessy Troes aimerait que l’affluence soit aussi bonne pour les filles que pour les hommes. Mais on ne sait pas si c’est conciliable avec son souhait que le football féminin ne reproduise pas les mêmes erreurs que le football masculin, perverti par l’argent et l’individualisme à outrance qui jure avec l’histoire populaire et la dimension collective de ce sport d’équipe.
Le modèle américain, qui attire les meilleures joueuses, comporte aussi une menace. „Les joueuses sont contentes de pouvoir jouer à l’étranger, mais c’est un rêve très individuel.“ L’argent introduit des inégalités énormes entre les clubs. On sent dans le film que la documentariste a un faible pour le modèle développé par le SC Ell, une sorte de „village gaulois“ qui investit dans la formation, mais est aussi soucieux de l’intégration de ses joueuses dans la communauté par l’entremise du bénévolat. À l’inverse, le Racing Union Luxembourg sert de contre-modèle. Il met beaucoup d’argent dans le foot féminin dans l’espoir de participer à la Ligue des Champions, au risque de déstabiliser les équilibres du championnat national. Les joueuses de football ont aujourd’hui la chance de pouvoir choisir entre différents clubs et „Um Ball“ peut aussi être vu comme une manière de les aider à faire le bon.
Infos
Après deux avant-premières qui ont eu lieu en octobre, le documentaire „Um Ball“ sera diffusé à Mertzig le 8 décembre, à l’Utopia à Luxembourg le 21 décembre et à Ell le 27 janvier 2022. Des dates sont aussi prévues à Steinfort et Bettembourg autour du 8 mars 2023.
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