Depuis son arrivée au Luxembourg 2012, Gaby Sonnabend est une habituée de la photothèque de la ville de Luxembourg. Quand on travaille comme curatrice au Lëtzebuerg City Musuem, l’institution de la Cloche d’or est „le point de départ des recherches visuelles“ indispensables pour les expositions. Lorsqu’en 2017, le musée a organisé une exposition sur la street photography, elle a participé à une revue en profondeur des collections et notamment des fonds de photographes comme Tony Krier, Edouard Kutter et Pol Aschmann, dont les clichés méritent le titre d’œuvres d’art. C’est là, à la recherche de photos montrant les habitants dans leur vie de tous les jours, pour l’exposition qui serait baptisée „Gens dans la ville“, qu’elle s’est rendu compte de l’omniprésence passée des animaux à Luxembourg et dans l’entourage des habitants. Elle a pensé que ce serait une suite logique de leur consacrer un jour une exposition. „Cela raconte l’histoire du pays et de la ville sous un nouvel angle de vue“, dit-elle. C’est donc en toute logique que la première édition de l’exposition annuelle de la Photothèque à l’espace d’exposition Ratskeller, depuis qu’elle en a pris les rênes, s’intitule „Not human – Les autres habitants du Luxembourg“.
L’exposition explore les rapports ambigus entre les hommes et les animaux, qui oscillent entre amour absolu et utilitarisme froid. L’exposition prend pour trame le cycle de la vie, de la naissance qui attendrit à la mort qui choque. On est en toute logique accueilli par un acte de reproduction de deux rhinocéros dans ce qui fut jusque dans les années 80 le zoo de Senningen. Puis, le parcours est toujours fonction de l’utilité de l’animal, qu’il soit de compagnie ou contraint à travailler, y compris dans des conditions qui ne seraient plus permises aujourd’hui. C’est ainsi que l’exposition rappelle la tenue en 1970 d’une corrida à Bissen, sans mise à mort de l’animal, malgré les apparences, et devant un public manifestement immigré qui fait tout l’intérêt de la photo tirée en grand format. On croise aussi les volailles sur le marché, un chien qui tire le charriot d’une laitière, une course d’équitation dans l’actuel parc de Merl, des otaries qui descendent les marches de la commune dans ce qui est une action publicitaire du cirque Hagenbeck. On croisera aussi une chèvre tenue en laisse par une dame âgée, des vaches passant devant le viaduc, ou le dernier tram tiré par les chevaux, dans la catégorie de l’habituelle opposition entre tradition et modernité ou de la capture de l’anachronisme en voie de gestation. Pour les besoins de l’exposition, le photographe animalier, David Wagener, a été mandaté pour capturer avec son appareil des animaux sauvages sur le territoire de la ville. Il en a ramené de rares et beaux clichés – une chouette effraie et un accouplement de faucons crécerelles notamment.
„Fascinant“
„Pour beaucoup de gens, c’est très intéressant et fascinant de découvrir les places qu’ils connaissent dans des situations totalement différentes“, observe Gaby Sonnabend. Ce même engouement se mesure aussi aux nombreuses interactions que suscitent les publications de la Photothèque sur les réseaux sociaux. Une exposition comme „Not human“ permet de mettre en valeur un fonds riche de près de 7 millions de photos. Il dope les commandes auprès du service de reproduction et d’encadrement, dont c’est la deuxième période la plus chargée après Noël. Il attire dans une moindre mesure de nouveaux usagers pour la Photothèque.
„En principe, nous sommes une archive. Nous avons de grands fonds, mais le public ne les voit pas. Il faut en montrer les trésors“, explique la directrice. Dédoubler cette expérience annuelle permettrait de dédoubler l’audience. Ce ne sont pas les idées d’expositions qui manqueraient, loin de là. Gaby Sonnabend y songe. „J’ai pris le temps de découvrir la photothèque, identifier les processus de travail, j’ai des idées. J’aimerais bien faire plus d’expositions, pour montrer davantage et communiquer davantage.“ Mais une exposition prend beaucoup de ressources. Il a fallu six mois à l’équipe – qui compte au total une vingtaine de personnes – pour préparer une telle exposition. De plus, la Photothèque étant excentrée et ne disposant pas de lieu d’exposition, elle devrait en pareil cas trouver de nouveaux espaces. L’activité de publication, dont le catalogue de l’exposition, est aussi une voie importante pour valoriser le fonds.
La mise en ligne de l’inventaire permettrait de se faire une meilleure idée des collections et en faciliterait l’accès. Mais ce n’est pas une mince affaire. „Nous avons des fonds énormes. Nous sommes en train de les digitaliser. Mais la digitalisation ne suffit pas“, détaille Gaby Sonnabend. „Il y a aussi l’indexation, qui est un travail long et difficile. Il faut avoir une ligne claire pour que les gens trouvent ce qu’ils cherchent.“ Il s’agit d’anticiper les demandes des chercheurs pour savoir quels mots-clés associer aux photos. L’intelligence artificielle pourrait à l’avenir constituer une aide précieuse en la matière pour réduire la durée de ce travail chronophage.
La collaboration du public, comme ont pu le faire par le passé les Archives nationales, pourrait être judicieuse. En tout cas, à l’heure où les institutions de conservation sont amenées à réfléchir à une plus grande participation du public et à se transformer en lieux de rencontres, la Photothèque ne coupe pas à la réflexion.
Histoires de narrations
Les possibilités de narration sont multiples avec ces histoires sans paroles que racontent les photographies – d’autant plus quand le photographe n’a pas laissé de légende. Et en matière de narration, Gaby Sonnabend est d’ailleurs une experte. Intéressée par les rapports entre France et Allemagne, partie faire ses études à Paris, cette Bavaroise d’origine a constaté, à la lumière de la perception du traité de Versailles en Allemagne et en France, combien les discours narratifs qui entourent l’histoire et les documents qui permettent de l’écrire peuvent être contraires. Elle a voulu comprendre la perception française et s’est intéressée pour cela à Pierre Viénot, Français soucieux d’un rapprochement avec l’Allemagne dans les années 20 et gendre d’Emile Mayrisch. Elle a d’ailleurs consacré une thèse publiée sous le titre „Pierre Viénot: Ein Intellektueller in der Politik“ à ce résistant de la première heure, qui – à la différence notable de Robert Schuman – n’a pas voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Et c’est en suivant ses pas qu’elle a fait une première fois connaissance avec le Luxembourg et son musée d’histoire de la ville.
Après plusieurs expériences à Francfort et Heidelberg, en 2011, elle fut nommée à la direction du Musée de la déportation à Besançon en répondant à une annonce parue dans Die Zeit. Les directeurs du projet voulaient pour le symbole nommer un historien ou une historienne allemande à ce poste. La décision a choqué certains anciens résistants. Mais les porteurs du projet ne sont pas allés au bout de leur idée et de leurs promesses. „Au début, tout le monde était très positif à l’idée de chercher un historien ou une historienne en Allemagne. Après, quand c’était un peu difficile, que des procédures françaises n’étaient pas très claires pour moi, le fait d’être allemande est devenue un problème. Tout peut changer très vite.“ A la fin de la première des trois années, elle a sauté sur la possibilité d’aller au Musée d’histoire de la ville comme curatrice.
Si au moment où elle rédigeait sa thèse sur le résistant Pierre Viénot, elle avait eu les connaissances qu’elle a accumulées en tant que curatrice du Lëtzebuerg City museum et désormais directrice de la photothèque, Gaby Sonnabend porterait un intérêt plus grand aux sources iconographiques. A la fin des années 90, les sources archivistiques classiques avaient le dessus. Aujourd’hui, on sait mieux faire parler les photographies. „Avec les photos on a une autre approche. Le visuel est direct. Une émotion va avec la photo. Ce n’est peut-être pas une information dure, mais une autre couche d’informations, qui livre l’esprit d’une époque, transmet une émotion qu’on ne tire pas des documents“, commente-t-elle. Le Ratskeller est actuellement la bonne adresse pour faire le plein d’émotions.
Info
L’exposition „Not human – Les autres habitants du Luxembourg“ se tient jusqu’au 24 septembre 2023. Elle est accessible gratuitement tous les jours de 11.00 h à 19.00 h. Le catalogue est en vente sur place au prix de 15 euros.
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