Pour rendre à son tour hommage à l’artiste luxembourgeois dans le cadre du projet allemand „Michel Majerus 2022“, le Mudam s’est ni plus ni moins qu’offert – avec le soutien précieux de son „Cercle des collectionneurs“, dont Norbert Becker et Patrick Majerus – „Sinnmaschine“. Cette œuvre constitue la pièce principale de l’exposition-hommage à laquelle elle donne son nom. C’est une œuvre en trois dimensions, défiant les espaces d’expositions, comme les affectionnait particulièrement Michel Majerus. Nommée en référence à l’album The Man-Machine (1978) de Kraftwerk, l’installation est composée d’un plancher industriel métallique, qui rappelle une piste de danse, et d’une paroi anguleuse sur laquelle Michel Majerus recourt au sampling, transposé de la scène techno de Berlin, pour associer diverses images de la vie quotidienne des années 90. Ces dernières sont issues de l’informatique, de la bande dessinée ou de la publicité et entrent en dialogue avec l’histoire de l’art.
A l’arrière de cette pièce monumentale, c’est à une sorte d’atelier de Michel Majerus auquel on accède. On peut y découvrir des fac-similés de quelques-uns de ses 50 carnets de croquis qu’il a laissés derrière lui après le fatal accident d’avion de novembre 2002. On peut aussi comprendre, à travers sa bibliothèque, ses influences et ses centres d’intérêt, d’où émergent des noms comme Andy Warhol, Jean-Michel Basquiat, Jeff Koons ou Frank Stella, pour ne citer qu’eux. On peut aussi, sur plusieurs écrans, découvrir le contenu de ses cassettes vidéos compilant des clips de musiques et documentaires, d’où il tirait une partie de son inspiration. A l’arrière-plan, sur un échafaudage semblable à ceux que Michel Majerus employait pour ses expositions, on peut observer une vingtaine de ses œuvres. C’est donc à un vaste tour d’horizon des coulisses de l’art de Michel Majerus qu’invite le Mudam. Un livre, tiré d’un symposium organisé en novembre, dans lequel de jeunes curateurs et artistes avaient été invités à débattre de l’héritage de Michel Majerus, complètera le panorama.
„Mon travail porte sur le numérique 1.0., celui de Michel Majerus sur le 2.0. Je me suis penché sur l’infrastructure, lui sur le flux d’information“, faisait remarquer Peter Halley en personne, au cours de la visite inaugurale de l’exposition que le Mudam consacre, dans les deux ailes de son premier étage, aux travaux qu’il a réalisés dans les années 80. A l’époque, Michel Majerus était encore lycéen puis étudiant, et la société de l’information en était à une étape ultérieure, non pas celle de l’arrivée d’internet et de l’omniprésence des logos dont il deviendrait l’incubateur, mais celle de la généralisation de la télévision et l’arrivée des écrans d’ordinateurs dans les foyers.
Le carré, symbole de confinement
L’exposition „Peter Halley. Conduits: Paintings from the 1980s“ se veut savante et didactique. Le parcours est chronologique et montre une évolution de sa peinture qui est fonction de l’évolution de la société avec lequel son art converse et de l’avancement de sa réflexion. Pour apprécier le travail de Peter Halley, il est préférable de ne pas se contenter de l’impression visuelle de ses œuvres, mais aussi d’accéder à ce que l’artiste, connu aussi pour ses ouvrages théoriques, veut signifier. Peter Halley appartient au courant minimaliste, se revendique volontiers de Samuel Beckett et de cette aspiration à dire beaucoup avec peu. Les descriptions murales sont d’autant plus nécessaires et éclairantes.
Le natif de 1948 revisite le questionnement déjà ancien sur l’urbanisation et l’industrialisation, mais dans la société post-industrielle et en son épicentre qu’est New York, ville de son enfance, dans laquelle il se réinstalle au début des années 80, après un long séjour à La Nouvelle-Orléans. L’arrivée dans Big Apple lui donne des envies d’en découdre, de renoncer au figuratif et de donner un nouveau sens à l’art abstrait. Il veut „traduire l’aliénation, l’isolement, mais aussi la stimulation provoquée par cet environnement urbain immense“. La peinture de Peter Halley se distingue d’abord par ses formes géométriques qui reflètent les dispositions physiques, par la géométrisation croissante, et psychologiques, par son influence sur ses usagers, de l’espace urbain moderne. Il redonne un sens nouveau au carré, figure de proue des modernistes, en en faisant l’emblème d’une existence modulaire, à travers la maison, la voiture et le bureau. Le carré signifie l’isolement, et Peter Halley par, l’ajout de barreaux et de stuc, en fait une prison. Mais il voit aussi dans le carré une dimension de genre, ses cellules et prisons étant aussi „une critique d’une conception réductrice de la masculinité“, comme l’exposition nous le donne à comprendre.
Peter Halley a théorisé cette réflexion dans un essai publié en 1990, „Geometry and the social“, dans lequel il décrivait cet environnement dans lequel il vivait comme caractérisé „par l’efficacité, par le contrôle des mouvements, par les bureaucraties“ et dans lequel il voyait poindre la „marchandisation et quantification de tous les aspects de l’activité humaine“.
Mais Peter Halley a ensuite saisi un paradoxe, à savoir que les années 80 signifiaient non seulement l’isolement, mais aussi l’interconnexion à l’intérieur de cet isolement, par les fils électriques, qui alimentent télés, ordinateurs, lumières et téléphones. Il ajoute donc un conduit pour symboliser la connexion, puis plusieurs conduits quand il se rend compte que ses flux d’informations se densifient. Dans „Ideal city“, il propose une vue du dessus et non plus une vue en coupe de cet univers modulaire, et cela évoque le cadran numérique des nouveaux téléphones fixes d’alors, à moins que ce soit l’organigramme d’une entreprise qui décrit les hiérarchies bureaucratiques.
On assiste par la suite à un tournant plus pop de Peter Halley quand les conduits commencent à traverser de part en part les cellules, qu’il considère désormais comme des transformateurs de processus culturels. Puis, il enlève ces cellules, défendant l’idée d’espace vide avec un conduit courant sous terre. Puis son travail devient cinématique, avec notamment l’œuvre „Yesterday, Today, Tomorrow“, datée de 1987 et entrée dans la collection du Mudam en 1998. Il s’agit d’un triptyque inspiré par les films des années 60, composé de trois panneaux comme les trois images d’une pellicule de film. Dans la partie inférieure, ce qui aurait été un conduit au début de sa carrière, est désormais une bande sonore qui court en dessous. C’est par une approche finalement baroque de ses motifs qu’il clôt ses années 80 et avec elles cette exposition, avec des conduits de différentes couleurs qui vont dans tous les sens (voir ci-dessous). Comme une anticipation des multiples et multidirectionnels flux d’information dont s’inspirera Michel Majerus.
L’exposition „Sinnmaschine“ de Michel Majerus est visible jusqu’au 1er octobre 2023 et l’exposition „Peter Halley. Conduits: Paintings from the 1980s“ jusqu’au 15 octobre 2023. L’exposition consacrée à la stimulante Tourmaline court, elle aussi, jusqu’au 15 octobre 2023. Horaires et programmes sur www.mudam.com.
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