Just la fin du monde
Ça commence comme un film de Stéphane Brizé ou le début de „Leila’s Brothers“ de Saeed Roustayi qu’on aurait (re)filmé avec un iPhone – une émeute de syndicalistes tourne au vinaigre, qui s’en prennent au patron d’une entreprise jusqu’à ce que les CRS débarquent. Plus vénère que les autres, Michal (Guillaume Canet) tabasse un CRS et finit assigné à domicile, un bracelet électronique autour de sa cheville lui rappelant que sa liberté est fort conditionnelle.
Son ex, Élise (Laetitia Dotsch) en a marre de ses simagrées de syndicaliste, qui l’empêche de s’occuper comme il faut de leur fille Selma (Patience Munchenbach) là où lui n’arrête pas de s’en prendre aux friqués de ce monde, dont le frère d’Élise devient, par synecdoque, la cible incessante de sa mauvaise bile. Depuis que Selma se retrouve dans un internat bobo, les choses empirent pour la jeune fille timide – devenue la risée des autres internées parce que circulent des vidéos de son père le montrant métamorphosé par la colère en brute sanguine, elle se défend par la violence.
C’est alors qu’elle est chez son père, qui ne s’intéresse guère à l’actualité quand elle n’est pas syndicaliste, que la nouvelle de pluies acides à l’autre bout du monde la mettent en alerte – ces pluies auraient fait des ravages parmi les animaux, inaptes à trouver refuge. Là où Selma est concernée – par le sort de la planète en général, mais aussi par un danger peut-être plus proche qu’on ne veut le croire, Michal n’éprouve qu’agacement face au ton catastrophiste des médias.
Evidemment, un peu comme pour la Covid, dont il était clair, une fois qu’on voyait les images de ce qui se passait en Chine, que ce serait une question de semaines jusqu’à ce que le virus débarque en Europe, ces pluies acides s’abattront bientôt sur la France, forçant la famille clivée à se recomposer et permettant à Just Philippot de délaisser ce qui s’annonçait comme un énième film français syndicaliste pour raconter une fable écologique sur fond de film catastrophe.
Un cinéma hybride
Cette année, le cinéma français des sélections périphériques est hybride: là où Thomas Cailley mêlait, dans son „Règne animal“ qui avait ouvert la sélection „Un certain regard“ mercredi dernier, un coming of age au récit fantastique dans une approche qui n’était pas sans rappeler „Wolfkin“ de Jacques Molitor, Just Philippot transforme, dans „Acide“, un drame familial divisée par le politique à du survival horror où il ne s’agit pas de fuir des zombies ou une épidémie, mais la nature elle-même, qui s’est retournée contre l’homme (même si un tel tour de phrase est quelque peu biaisé: c’est l’homme qui est lui-même responsable de l’acidité de la pluie qui s’abat sur lui).
C’est alors un pays en fuite qui est filmé, où toute organisation sociétale non seulement s’effrite mais est annulée d’un moment à l’autre, comme si quelqu’un avait activé un levier dans les têtes des gens, annulant tout conditionnement social en faveur de la pure survie – et Philippot de filmer un monde en déroute, des ponts qui s’effondrent, des gens qui se dissolvent horriblement sous l’effet de l’acide, des patelins abandonnés, la fuite amenant Michal et Selma à rencontrer une mère, interprétée par Marie Jung, coincée dans son village belge parce que son fils, gravement malade, ne peut être déplacé, les deux restant dans leur maison comme dans un bateau lentement pris par les flots.
Alors que les films sur des catastrophes naturelles produites dans les années 1990 à l’époque – on peut penser à „Twister“ ou „Dante’s Peak“ – nous permettaient de nous immerger dans l’effroi du film tout en nous rassurant sur notre sort à nous, qui étions installés douillet dans nos salles de cinéma, loin de tout volcan potentiellement éruptif, loin de toute zone où les tremblements de terre ou autres ouragans sont des dangers réels, le monde a bien changé depuis: en ces temps de dérèglement climatique accompagné de déluges et de sécheresse, l’idée même d’une catastrophe naturelle à même de menacer, en un temps très court, la survie de notre espère (et de toute vie sur Terre) s’est assez rapidement fait une place proéminente dans notre imaginaire collectif, de sorte que l’histoire racontée par Philippot, au-delà de sa (non-)pertinence scientifique, nous paraît bien plus flippante que les classiques susmentionnés.
La façon dont le film entretient une peur certes fictive et la connecte à une actualité anxiogène, le jeu d’un Canet aussi convaincant ici qu’il ne l’était pas dans son Astérix, la réalisation efficace, avec une apocalypse assez belle, esthétiquement, nous font passer quelque peu l’éponge sur certains écueils du film – ainsi, d’un point de vue scénaristique, la plupart des péripéties sont archi-prévisibles et la relation entre Michal et son amoureuse, qu’il veut rejoindre à tout prix, est plus un prétexte narratif qu’autre chose, le film ne leur donnant pas l’occasion de faire ressentir cet amour, Canet étant plus efficace en homme remonté qu’en amant inquiété.
Le plan final, surtout, est bien trop réconciliateur – si le monde prend fin, il faudra aussi envisager que les structures narratives connues le fassent aussi, et que les options happy end, fin ouverte ou fin mi-figue mi-raisin ne sont plus disponibles: si nous avons foutu en l’air notre planète, il n’y a pas, comme cette fin un brin consensuelle le suggère, d’espoir ni de deuxième chance. Ici, la radicalité d’un Greg Araki et de son „Kaboom“ aurait été plus appropriée.
Conflit idéologique intergénérationnel
Le deuxième long-métrage de Perišić rejoint le précédent, „Ordinary People“, dans sa prédominance du message de paix. Son opposition à l’armée et à la guerre est la force motrice de ses œuvres. En situant l’histoire en 1996 et en la racontant à travers la perspective du fils adolescent de la porte-parole du parti socialiste en république fédérale socialiste de Yougoslavie, le cinéaste exploite la tension du peuple, prête à prendre feu telles des cendres chaudes sur une herbe sèche.
Jovan Ginic, qui interprète un personnage principal paraissant d’abord dépourvu de toute individualité, livre un jeu juste et précis, qui permet de faire ressentir le conflit interne d’une personne partagée entre deux visions du monde, celle de sa famille et celle de ses amis, sans jamais vraiment réussir à exprimer son opinion personnelle. En effet, Perišić présente son sujet sous plusieurs différents points de vue. Cela permet de découvrir, de manière plus ou moins élaborée, les deux côtés de la médaille, sans que l’un ou l’autre soit décrédibilisé, mais en incitant au contraire le spectateur à se faire une opinion pondérée.
D’une part, il y a la porte-parole du parti au pouvoir et les personnes qui la soutiennent, principalement des quarantenaires – et d’autre part, il y a les manifestations d’étudiants, qui entrent en conflit avec le pouvoir. Ce sont des étudiants qui commencent à peine à émerger dans la vie et qui rêvent d’une démocratie occidentale qui leur offrirait d’autres possibilités. Les idéologies opposées et l’idéalisation de l’inconnu forment ensemble le moteur du film et constituent son sujet principal.
Malgré une forte répétition de scènes apportant peu de nouveaux aspects nourrissant le noyau thématique du film, le réalisateur parvient à captiver l’attention de son spectateur grâce notamment à une représentation accablante de l’autorité qui s’impose de façon insidieuse et à l’évolution du caractère du personnage qui tente en vain de s’affirmer: face à sa famille, particulièrement sa mère, qui, elle, représente la domination étouffante du gouvernement en répétant toujours les mêmes idées poussiéreuses de son parti, face à ses amis et son professeur assoiffés de changement.
Cette opposition est fondée sur une notion de „rêve européen“ dont personne ne sait encore vraiment comment il va se constituer et où il va mener. On en vient donc à se poser la question suivante: nos convictions politiques seraient-elles en réalité dictées par l’entourage – et la seule liberté qui resterait serait-elle celle de choisir d’adhérer ou de se révolter? Pour le personnage principal, la réponse ne peut être que le rejet absolu. Il se retrouve isolé, sans défense – et cela constitue une preuve que la radicalité d’un système ne peut qu’aboutir à des conséquences tout aussi radicales.
Bien que le film ait tendance à pencher d’un certain côté, il essaie avant tout d’exposer la problématique du fanatisme – peu importe de quel vent il vient – en mettant en scène la tragique destinée d’un personnage en pleine croissance qui se retrouve dans un dilemme, tiraillé entre l’amour des siens et la volonté de changement. „Lost Country“ montre avec justesse à quel point une doctrine peut pénétrer et infecter une vie à tous les niveaux: l’éducation, l’amitié, l’amour et la famille. (Pauline Cano)
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