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InterviewDans „Falcon Lake“, Charlotte le Bon chronique un été amoureux entre deux adolescents

Interview / Dans „Falcon Lake“, Charlotte le Bon chronique un été amoureux entre deux adolescents
Entre Bastien (Joseph Engel), 13 ans, et Chloé (Sarah Montpetit), 16 ans, une relation ambivalente va se tisser

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Bastien (Joseph Engel), 13 ans, se lie à Chloé (Sarah Montpetit) de trois ans son aînée. Elle le séduit avec la légende des fantômes de Falcon Lake. Chloé flirte avec les grands. Finalement, elle ne reste pas insensible au charme de son cadet. Charlotte Le Bon raconte l’éveil amoureux entre deux adolescents, dans un décor naturel, au Québec. Ex-mannequin, ancienne miss météo, artiste peintre et actrice, la Franco-Québécoise signe un premier long métrage audacieux, librement inspiré d’„Une Sœur“, BD de Bastien Vivès.

Tageblatt: Qu’est-ce qui vous passionne dans l’adolescence?

Charlotte Le Bon: J’ai axé le film sur ce moment charnière qu’est l’adolescence, différent de l’enfance. Bastien a 13 ans et Chloé, 16. Il a un pied dans l’adolescence et, elle, presque dans l’âge adulte. Ils se rencontrent dans cette petite jonction. On est en jachère à cet âge-là. Tout est possible, on est en construction, on ne sait pas exactement qui on est. Cela peut-être quelque chose de grisant, de très beau, mais parfois aussi terrifiant et assez violent. J’ai vraiment écrit avec mon cœur d’adolescente. J’étais une adolescente très solitaire. C’est une période assez particulière où on apprend à se définir par le regard des autres. Et quand on n’arrive pas à se trouver, on se sent très seul. Je papillonnais, j’allais d’un groupe à l’autre, je n’arrivais pas à socialement me trouver. Je me rappelle le moment où, à 16 ans, je tremblais et pleurais. Je suppliais ma mère de ne pas aller à l’école. Je n’étais plus capable de me confronter au regard, tout simplement. J’ai eu une adolescence douce-amère, pas rigolote.

Vous chroniquez l’éveil amoureux entre deux adolescents qui n’ont pas tout à fait le même âge …

C’était présent dans la BD. Il importait que Sébastien ait 13 ans et Chloé trois ans de plus. Je suis une éternelle romantique. C’est vrai que cet écart, à cet âge-là, fait qu’une relation amoureuse est impensable. C’est un gouffre inouï, trois ans d’écart. Et même si j’aime bien me raconter qu’en fait, c’est la rencontre de deux âmes sœurs, leur histoire est quand même bâtie sur une impossibilité. C’est un matériel cinématographique très beau, l’impossibilité.

Chloé est approchée par les garçons plus âgés et, pourtant, elle est attirée par Bastien …

Chloé est confrontée par un garçon trois ans plus vieux qu’elle. Il la provoque sur cette histoire de fantômes en lui faisant sentir que ses croyances sont enfantines. Il essaie de la ramener dans le monde adulte alors que Chloé est bien, en fait. Bastien la supporte entièrement dans cette légende de fantômes et il y croit autant qu’elle. En fait, Chloé se sent bien avec lui, tout simplement. Elle apprend à être vulnérable avec quelqu’un pour la première fois. Et lui aussi.

Chloé se caresse devant Sébastien. Pourquoi avez-vous filmé cette scène?

J’aimais l’idée de défi. Pour la première fois, un garçon de 13 ans voit une fille se caresser. Je trouvais aussi assez beau et rafraîchissant de voir ça au cinéma parce que je trouve que, souvent, les scènes de masturbation féminine, j’arrive très rarement à m’y projeter. Parce que, souvent, il s’agit juste de plans de femmes sur le dos, on sent qu’il y a une descente de la caméra et qu’elle arrive à se faire jouir en trente secondes. Et, en fait, cela ne marche pas du tout comme ça. C’est plus complexe. La masturbation masculine, on l’a vue et revue à toutes les sauces et on parle très peu de la masturbation féminine. En fait, Chloé permet de voir comment elle se donne du plaisir, tout simplement. Et qu’ensuite ce soit désamorcé par une situation qui soit un peu comique parce que je n’avais pas envie non plus que le sexe dans mon film soit dépeint comme quelque chose de sulfureux ou de mystérieux ou d’un peu glauque et dark comme cela peut l’être parfois dans les films qui traitent de l’éveil sexuel à l’adolescence. On y voit souvent des scènes d’humiliation, de honte. Je voulais vraiment échapper à tous ces pièges-là.

„Falcon Lake“ est-il un récit initiatique?

Complètement. Chloé donne un air comme si elle était expérimentée. Par contre, Sébastien dit avoir couché avec elle alors que ce n’est pas vrai. C’était juste pour écarter l’autre garçon. J’aime que les personnages ne soient pas lisses. Chloé est attirée vers lui pour sa pureté, son innocence, par le fait qu’il n’est pas comme les jeunes garçons qui sont peut-être plus biaisés, plus pervertis, à l’âge de 19 ans. En même temps, cela ne l’empêche pas de complètement bafouer sa confiance parce qu’il l’aime en fait. Il commet une erreur, tout simplement. Comme çà nous arrive tous de faire.

C’est un matériel cinématographique très beau, l’impossibilité

Charlotte Le Bon, réalisatrice

Chloé dit „j’ai ma place nulle part. J’ai peur de me sentir seule toute ma vie“. Bastien lui répond „tu n’es pas seule, tu auras toujours ton fantôme“. Les fantômes nous protègent?

Dans la BD, il n’y a pas l’idée du fantôme pour réconforter Chloé. J’ai été confrontée à la mort très tôt dans ma vie. Quand j’avais dix ans, j’ai perdu mon père. Donc c’était ma façon à moi de remplir cette absence brutale et de me raconter qu’il était là malgré tout, que le fantôme de mon père était là et qu’il me suivait. C’était ma façon à moi de „romantiser“ la mort et le deuil. Et d’en faire quelque chose d’un peu plus apaisant, je crois. Cela m’a aidée à écrire ce film, en tout cas.

Croire aux fantômes est relié à l’enfance?

On est tous remplis de fantômes, que ce soient des gens qu’on a aimés, qui nous ont quittés, d’anciennes relations qu’on a vécues. Ils font partie de la vie. Je trouve dommage de réduire les fantômes à seulement quelque chose de lié à l’enfance. Il y a des fantômes qui peuvent me faire peur. De toute façon, tout ce qui est de l’ordre du paranormal, toutes ces choses qu’on n’arrive pas à expliquer avec la science, pour moi, cela reste un puits d’inspiration sans fin. Parce que tout est possible. J’aime qu’on ne puisse pas expliquer certaines choses. Et c’est vrai que, parfois, on arrive dans des lieux où on ne se sent pas bien ou très bien, sans savoir pourquoi. Je pense vraiment que les gens qui y passent laissent des traces.

Les parents vivent dans leur bulle …

Ils servent de décorum. Au tournage, on avait plus de scènes avec eux. Pendant le montage, je me suis rendu compte que la chose qui faisait que le récit avance, c’étaient ces deux adolescents. Quand je m’attardais un peu trop aux parents, je perdais un peu le fil de mon histoire et cela ne me plaisait pas. Je voulais créer une espèce de bulle autour de cette histoire. Déjà, quand on est adolescents, la seule chose qui importe, c’est notre vie sociale et amoureuse. Tout le reste, on s’en fiche. On ne se soucie pas de nos études, on n’est pas assez vieux pour pouvoir se projeter dans le monde professionnel et nos parents sont une espèce de bruit de fond, surtout si on tombe amoureux pour la première fois. On sait qu’on a très peu de temps pour pouvoir vivre cette histoire parce que mon personnage est justement de passage au Québec et qu’il ne va pas y rester longtemps. Bastien doit vivre cette parenthèse hyper intense de la manière la plus présente possible. Les parents parlent de bouffe ou d’impôts … On les entend murmurer à travers les murs et ils se racontent leurs histoires. Et, en fait, on s’en fiche.

Vous réalisez un premier long métrage. Quel a été le déclic?

Cela s’est construit avec le temps. Ce n’était pas quelque chose que je voulais faire depuis le début de ma carrière. Dans ma vie professionnelle, tout est arrivé un peu par hasard. Par instinct, j’ai saisi ces choses-là, j’ai surfé et cela s’est transformé en autre chose. Là où il y a une vraie cohérence, c’est que j’ai toujours peint, j’ai fait des études en arts visuels, j’ai toujours voulu raconter des histoires à travers les images. Donc la réalisation, c’est un peu la continuité de tout çà. J’ai eu la chance d’avoir une carrière d’actrice assez productive. J’ai tourné vingt films en dix ans environ. Cela a été une école de réalisation inouïe parce que j’ai pu me permettre d’être dans un poste d’observation, d’être confrontée à différentes façons de travailler, d’être aussi dirigée avec vingt résultats finaux différents. D’être déçue parfois. Tout cela s’est bâti tranquillement. J’ai réalisé un court métrage en 2018 („Judith Hotel“, ndlr.) et, suite à ce tournage, c’était une évidence que je voulais prolonger l’expérience de faire un film. Je ne suis plus dans une optique de construction de carrière d’actrice. Là, je suis vraiment plus dans quelque chose où j’ai envie de juste faire des rôles qui m’animent avec des gens qui m’inspirent, qu’ils soient principaux ou secondaires, je m’en fiche. Pour moi, le métier d’acteur est un bonus, ce n’est pas une nécessité. La réalisation l’est devenue, définitivement.

Pourquoi avez-vous filmé en 16 mm?

Le fait que je viens des arts visuels fait aussi que je suis très sensible à beaucoup de détails. Et je trouve que le digital nous montre trop de choses. Il nous fait voir au cinéma ce que l’œil humain n’est pas capable de percevoir. Cela me soûle. Les pores de la peau, en digital, très souvent, on va les voir très concrètement dans les moindres détails alors que, dans la vie, ce n’est pas le cas. Quand on essaie de faire en digital, c’est surtout pour chercher à se rapprocher de l’effet pellicule. Tous les films qui m’ont touchée quand j’étais enfant et adolescente étaient encore tournés en pellicule. Je trouve aussi que les lumières, les contrastes, les couleurs, les textures sont inimitables. Et comme „Falcon Lake“ est un film sur l’éveil de la sexualité et qu’il y avait des choses que j’avais envie de créer pratiquement comme des tableaux, je savais que seule la pellicule pouvait me donner cette attitude.

Info

„Falcon Lake“ de Charlotte Le Bon. Avec Joseph Engel, Sarah Montpetit. Prix Louis-Delluc du meilleur premier film. En salles. Retrouvez la critique du film (et de bien d’autres) dans notre édition du vendredi.