Les deux amies sont prêtes à tout pour défendre leur cause. Elles prennent leur revanche sur une époque qui fait si peu cas d’elles. Mensonges, abus de confiance, misogynie, séduction sont les ingrédients de cette comédie policière follement rythmée. Un régal pour les yeux et les oreilles. Autour des deux jeunes actrices montantes, François Ozon a réuni des monstres sacrés du cinéma français: Fabrice Luchini, André Dussollier, Bernard Fau, Daniel Prévost, Dany Boon, et fait revenir Régis Laspalès … Il fait même jouer à Isabelle Huppert une ancienne gloire sur le retour. Tous les acteurs s’amusent beaucoup à jouer très vite. La belle humeur est contagieuse. Après des drames plus ou moins réussis, François Ozon revient à la comédie chorale, légère et grave à la fois. Tout s’enchaîne dans la belle mécanique de précision conçue par le réalisateur de „8 femmes“ (2006), d’après une pièce policière de Georges Berr et Louis Verneuil (1934). Rencontre avec François Ozon.
Comment est né le projet d’adapter une pièce de l’entre-deux-guerres?
François Ozon : Je l’ai découverte un peu par hasard pendant le confinement, grâce à un ami. Je voulais faire un film sur une fausse coupable. J’ai trouvé cette histoire très amusante, très ancrée dans les années 30 françaises. La pièce portait sur les grands scandales judiciaires de l’époque. C’était un bon matériau pour faire un portrait de jeunes femmes dans les années 30 qui essaient de survivre à une époque où la condition des femmes est très compliquée. Le patriarcat est très fort, les femmes n’ont pas vraiment le droit de travailler, encore moins d’avoir un compte en banque, les rares femmes avocates ont du mal à trouver du travail. J’avais envie de voir comment deux jeunes filles modernes, intelligentes, arrivent à s’en sortir alors que tout est contre elles. Et quel chemin de traverse elles sont obligées de prendre pour arriver à leurs fins.
Vous revendiquez un film volontairement théâtral, tourné en huis clos. Quelles étaient vos astuces de réalisateur?
„8 femmes“ était un film de huis clos total, tourné dans une grande maison. Là, j’avais envie qu’il y ait des décors différents. Le début, un peu enfermé, montre une petite chambre de bonne où habitaient Madeleine et Pauline. Il fallait que les décors racontent les personnages et comment ils allaient réussir, finalement, à trouver leur place en passant par la salle du procès, le cinéma et leur grand appartement à Boulogne. Les décors révèlent la situation économique des personnages et ce qu’ils sont en train de vivre. Nous avons filmé dans la magnifique Villa Empain, à Bruxelles. Ce bijou architectural art déco est une villa hollywoodienne parfaite. La piscine, géniale, m’a permis d’inventer des scènes grandioses et d’asseoir la production dans le luxe et dans une forme de beauté. Beaucoup de bâtiments art déco ont été détruits à Paris.
Vous donnez des accents féministes à une pièce des années 30 …
Je me suis renseigné. Les femmes n’avaient pas le droit de vote, elles dépendaient de leur mari, il fallait une dot pour se marier. Des petits mouvements féministes existaient. J’ai repris une phrase d’une grande avocate de l’époque, Yvonne Netter, que cite Pauline dans le film: „Les femmes sont considérées mineures pour leurs droits, mais majeures pour leurs fautes.“ La pièce de théâtre ne se passait pas du tout dans le milieu du cinéma et du théâtre, donc je savais qu’on allait me parler de #MeToo. L’affaire Weinstein a été un vrai cataclysme dans le milieu du cinéma parce que les gens ont réalisé à quel point il y avait des abus, de la hiérarchie, de la domination. Même dans le cinéma français, cette affaire a eu un écho très fort.
Madeleine apparaît partiellement nue dans le film. Cette représentation de la femme était rare à l’époque. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?
On s’est posé la question. Le personnage de Madeleine a tellement intégré les lois du patriarcat où elle pense qu’une femme, pour réussir, doit coucher et s’offrir complètement. Et comme elle est un peu naïve, un peu actrice, elle va jusqu’au bout.
Les personnages masculins sont furieusement misogynes. On n’oserait plus les montrer à l’écran, aujourd’hui. Sauf dans une comédie?
La manière dont on parlait aux femmes était hallucinante. Cette attitude est pourtant toujours là, aujourd’hui. Je pense raconter cette histoire avec humour parce que cela se passe dans les années 30, parce qu’on a une distance. Raconter cette histoire aujourd’hui, cela ne fait rire personne. „Mon crime“ porte le regard d’aujourd’hui sur cette période. Chez nous, l’égalité hommes femmes, dans les salaires, dans les statuts, n’est pas là. Regardez ce qui se passe en Orient, pour les femmes. On est encore très loin de l’égalité totale. Dans le cinéma, beaucoup de choses bougent dans le bon sens. Ceci dit, aux derniers Césars, aucune réalisatrice n’a été nommée. C’est un scandale alors qu’il y a des femmes cinéastes de talent. Comme toute révolution, cela prend du temps.
Je ne fonctionne pas par thème. Je crois beaucoup au pouvoir de l’inconscient. Si vous pensez tout le temps à quelque chose, si vous en rêvez, là, il y a matière à creuser. Je suis ouvert sur la vie. Je n’ai pas de panne d’inspiration parce que les histoires sont partout.
Est-ce une des raisons pour lesquelles vous aimez filmer des personnages féminins?
Les personnages féminins doivent se battre. Les hommes, à la naissance, ils ont tout. Une femme doit batailler, trouver une solution, faire plusieurs choses en même temps. Ce sont des personnages plus intéressants du point de vue de la fiction et j’aime beaucoup travailler avec les actrices, en général.
Comment avez-vous convaincu Rebecca Marder et Nadia Tereszkiewicz de jouer les personnages principaux?
Je ne les connaissais pas. „Simone, le voyage du siècle“ et „Les Amandiers“ n’étaient pas encore sortis en salles. J’ai fait plein de castings. J’avais en tête Marilyn Monroe et Katharine Hepburn pour son côté un peu androgyne. Je pense avoir déniché les meilleures actrices de leur génération. Tout de suite, une alchimie s’est installée entre elles. Comme le film parle de la complicité féminine et de la sororité, il fallait que cela se voie à l’image.
Isabelle Huppert incarne une ancienne actrice du muet, déchaînée. Un rôle comique, inhabituel …
J’ai inventé le personnage féminin, car dans la pièce, Chaumette était un homme. J’avais tourné avec Isabelle dans „8 femmes“ où elle incarnait une vieille fille aigrie. Je lui avais demandé de jouer comme Louis de Funès. Isabelle est une actrice qui est beaucoup dans l’intériorité, on n’a pas l’habitude de la voir extravertie. Elle est géniale dans la comédie, elle a un rythme, elle est drôle, elle a de l’humour sur elle-même. Je pense que cela fait plaisir au public de la voir autrement.
Vous les entourez d’une belle brochette d’acteurs masculins, dans des rôles inattendus …
Daniel Prévost joue à contre-emploi, Dany Boon fait un rôle de composition. J’ai fait revenir Régis Laspalès en enquêteur vicieux. Je me suis fait plaisir. J’ai pris des acteurs de comédie que j’aime. J’ai eu envie de mélanger plein de familles d’acteurs. En France, il y a un côté très cloisonné : les humoristes, les gens qui viennent du théâtre et du café-théâtre jouent rarement ensemble. J’avais envie de mélanger Isabelle Huppert avec Daniel Prévost, Michel Fau avec Fabrice Luchini, qui viennent d’horizons différents. Ils sont surtout de très bons acteurs qui savent dire un texte et qui ont le rythme. Dans la pièce originale, le personnage de Palmarède qu’incarne Dany Boon vient d’Avignon. J’ai accepté le personnage. Dany hésitait à prendre l’accent marseillais, préférant l’accent belge. C’est trop caricatural, les Français se moquent toujours des Belges. En fait, Dany s’est entraîné à prendre l’accent provençal. Et cela marchait très bien.
Vous vous êtes librement inspiré de la pièce. Quelles libertés avez-vous prises?
Dans la pièce, le personnage de l’avocate n’était pas tellement développé, le personnage de Chaumette était un homme et il n’y avait pas de procès. J’ai gardé les dialogues, savoureux. Alain Resnais a fait découvrir Henry Bernstein avec „Mélo“(1986), une opérette d’André Barde et Maurice Yvain („Pas sur la bouche“, 2003, ndlr). J’aime aussi beaucoup prendre un vieux matériau et essayer de le moderniser, de réentendre ces paroles de l’époque. J’avais comme références Sacha Guitry et les „screwball comedies“ d’Howard Hawks, de Frank Capra, ces films où les personnages parlent beaucoup et où le langage du corps est très important pour les acteurs.
Vous tournez très vite, à raison d’un film par an. D’où vous vient cette frénésie?
Woody Allen faisait un film par an. Je prends du plaisir, tout simplement. Le jour où on sentira le travail, vous verrez un film tous les trois ans. Je ne fonctionne pas par thème. Je crois beaucoup au pouvoir de l’inconscient. Si vous pensez tout le temps à quelque chose, si vous en rêvez, là, il y a matière à creuser. Je suis ouvert sur la vie. Je n’ai pas de panne d’inspiration parce que les histoires sont partout. Après, il faut trouver celle qui vous obsède, sur laquelle vous avez envie de travailler pendant un, deux ans. C’est cela qui est compliqué.
„Mon crime“ de François Ozon. Avec Rebecca Marder, Nadia Tereszkiewicz, Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Dany Boon.
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