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Arte PoveraConstruire des images: l’expo „Renverser ses yeux“

Arte Povera / Construire des images: l’expo „Renverser ses yeux“
Giuseppe Penone, Rovesciare i propri occhi - progetto [Renverser ses yeux - projet], 1970, Photo-collage, tirage au gélatino-bromure d’argent virés au sélénium sur papier baryté 40 × 30 cm © Archivio Penone / Adagp, Paris, 2022

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L’exposition du Jeu de Paume évoque les figures emblématiques de l’Arte Povera, mouvement majeur des années 1960-1975, en Italie. Films, photos, vidéos nous permettent d’explorer, selon les mots de Germano Celant (1940-2020), à l’origine de ce mouvement „une expression libre liée à la contingence, à l’événement, au présent“, rapprochant ainsi l’art de la vie.

Interroger les images, leur statut, questionner leur prolifération, les déconstruire, revenir à des gestes pauvres, dont elles gardent trace, tels sont, entre autres, les objectifs de ce mouvement. Ces images ont également servi de socle et d’émulation à l’art conceptuel, la performance et le Land Art.

Outre le fait d’interroger le statut de la photo depuis son origine, oscillant entre art et documentaire, l’Arte Povera en fait un instrument de réflexion et d’émancipation, l’œuvre faisant partie d’une démarche globale, minimaliste et forte de sens. Les matériaux utilisés sont souvent détournés, transposés dans le domaine de l’art. Et le geste évite toute forme d’académisme. L’Arte Povera revendique les échanges entre artistes au lieu d’un individualisme forcené, un art à partir de matériaux pauvres.

»Gino
»Gino
, 1969, Tirage photographique noir et blanc d’exposition, 48 × 67 cm
Courtesy Lia Rumma» credit=»© Gino De Dominicis / Adagp, Paris, 2022″]

Transformer la vie en métaphore

L’une des figures majeures, Giovanni Anselmo (né en 1934), réalise des performances et, à partir d’elles, élabore des images. Pour „Entrer dans l’œuvre“ (1971), il se déplace dans un environnement naturel. Après avoir préparé son appareil-photo, le cadrage, Giovanni Anselmo se précipite dans un champ.

Cette photo témoigne d’un élan, d’un enthousiasme à s’immerger dans un espace réel. L’absence de ligne d’horizon donne une impression d’immensité, le champ envahit l’espace, l’effet de profondeur est accentué par la manière dont Anselmo plonge dans cette photo. Imprimée sur toile, elle est également une référence à la peinture, une manière de la renouveler en utilisant un autre médium. C’est aussi une façon de transformer la vie en métaphore et faire d’un geste simple la force même de la création.

Dans cette exposition, qui a le mérite de nous faire aborder la photo et la vidéo comme des étapes d’un processus, de reconsidérer le cadre à l’aune de la photographie et non plus de la peinture, Giulio Paolini (né en 1940) propose avec „Antologia“ (1974) un châssis de toile retourné, suspendu dans les airs par deux fils.

Il y insère des photos, des cartons d’invitations. Là où l’œuvre trônait, dans sa splendeur, l’envers du décor, pour ainsi dire, témoigne d’événements du quotidien insérés dans une réminiscence de la peinture.
Ugo Mulas (1928-1973), quant à lui, utilise des panneaux d’affichage pour une série de réflexions sur la spécificité du médium photographique.

À la manière d’un Magritte qui utilisait la phrase, est écrit sur un panneau d’affichage: „ça, c’est mon dernier tableau“, déclenchant l’appareil au moment où Man Ray, qui figure sur la photo, prononce ces mots. Procédé d’illusion qui donne le vertige d’un moment consacré de manière conceptuelle.

Acteur et spectateur

Un autre vertige, créé par Giuseppe Penone (né en 1947) dont l’exposition porte le titre, „Renverser ses yeux“ (1970), est une photo sur laquelle on voit, prise lors d’une performance, le portrait de Giuseppe Penone. Ses yeux, sur lesquels il a placé des lentilles/miroirs, reflètent le paysage, manière de transformer la profondeur en surface, de questionner la représentation et la place de l’artiste.

De ce miroir comme outil de transformation et de projection, Michelangelo Pistoletto (né en 1933) écrit: „Le miroir nous pousse en avant, dans le futur des images à venir, et en même temps il nous repousse dans la direction où l’image photographique arrive, c’est-à-dire dans le passé.“ Ces allers et retours sont patents dans ses œuvres, où le spectateur prend place dans un miroir où figurent des personnages, l’obligeant à la fois à être acteur et spectateur.

L’Arte Povera intervient dans la rue. La photographie devient le procédé d’enregistrement d’une action et non un objet de contemplation, comme le souligne le photographe Franco Vaccari (né en 1936), à la Biennale de Venise en 1972. L’Italie connaît un climat politique et social mouvementé à la fin des années 60 et dans les années 70, marqué par les mouvements étudiants et les grèves. Les artistes investissent la ville.

Michelangelo Pistoletto crée une énorme boule de papier faite de journaux, qu’il pousse sous les arcades de Turin. Il est filmé par Ugo Nespolo (né en 1941). D’autres actions, comme un portrait collectif de l’Italie à travers une série de photos issues de photomatons mis à disposition des citoyens, sur une idée de Franco Vaccari (né en 1936), donnent une idée du tumulte, tout en liant l’art à la vie.

Mais les références à la peinture ne manquent pas, comme les images troublantes et fortes, réalisées lors d’une performance de Giulio Paolini (né en 1940) „Diaframma“ (1965). Sur la première photo, on voit un homme traverser une rue en portant une toile vierge. Deux ans après, sur la deuxième photo, l’homme porte toujours une toile dans la rue, mais elle n’est plus vierge, on y voit la première photo tendue sur le châssis.

Et pour conclure de manière poétique, les photos de Luigi Ontani (né en 1943), véritable ode à la peinture, à travers des portraits. „J’ai choisi de faire de ma vie peinture, et de ma performance peinture, non pas pour vivre l’oubli, mais pour ressusciter l’histoire de l’art, la fable, la mythologie, l’allégorie, le folklore, l’iconologie. (…) ce qui m’intéresse, c’est l’espace construit par la pensée“ écrit-il.

Cette exposition est effectivement une mise en acte de la pensée, une façon de reconsidérer l’art, son contexte sociologique, le médium qu’est l’image, photographique, filmique.

Info

„Renverser ses yeux, Autour de l’Arte Povera 1960-1975“
Jusqu’au 29 janvier 2023
Jeu de Paume
1, Place de la Concorde
75008 Paris
jeudepaume.org