La visite se décline par thèmes, en faisant se côtoyer les œuvres de Claude Monet et de Joan Mitchell, dans des accords vertigineux. Il y a là l’essence même de la peinture. Une informulable perception, un éblouissement, un rythme qui n’appartiennent qu’à eux. Par les scansions des espaces ouverts, nous assistons, médusés, à une danse où l’âme est mise à nu, dans la couleur et l’audace de la perception. Prenant appui sur les déclarations de Joan Mitchell, qui disait aimer le Monet de la fin, l’exposition nous offre ce rendez-vous de l’„impression“ selon Monet, et des „feelings“ selon Mitchell, la nature devenant la source de l’œuvre. Et même si Mitchell fait partie des expressionnistes américains, les intitulés de ses œuvres se réfèrent à des anthologies de la nature, qu’il s’agisse de champs ou de jardins.
Deux ensembles exceptionnels sont présentés ici: le triptyque de L’Agapanthe de Claude Monet et La Grande Vallée de Joan Mitchell. L’Agapanthe (1915-1926) est une œuvre de près de treize mètres, conservée dans trois musées américains, exposée ici dans son intégralité, à Paris, pour la première fois depuis 1956. Cette œuvre a été décisive dans la reconnaissance de Claude Monet aux Etats-Unis. La Grande Vallée (1983-1984) est l’occasion d’exposer dix toiles de ce cycle, rassemblées quelques décennies après une exposition dédiée à Joan Mitchell, à Paris, par son galeriste Jean Fournier.
Partitions de l’insistance
L’eau, la nature, mais aussi une consonance dans les couleurs, créent des affinités dans leurs univers respectifs. Si tout semble fluide et couler chez Monet, comme sous l’effet d’une lumière insaisissable qu’il s’agit de capter dans ses reflets, celle-ci coule à l’infini chez Joan Mitchell. Le geste, chez cette dernière, l’emporte par une orchestration du rythme, parfois intense, partitions de l’insistance, avec des ouvertures, des espaces comme des soupirs. De ces rythmes à la fois différents et pourtant si évidemment reliables à la musique, cet art se déploie dans un vocabulaire commun et particulier à la fois, qui ne cesse de nous éblouir et de nous mener dans des champs immenses, ceux d’une perception subtile et d’une exigence de virtuose.
Claude Monet peint son jardin, qu’il agrémente sans cesse et qui change au fil des heures, dans une contemplation éperdue. Ainsi du bassin aux nymphéas et des agapanthes, et pour Joan Mitchell, la Seine lui rappelle le Lac Michigan de son enfance.
Les œuvres de Monet et de Mitchell ont une trame. Et si elle est plus douce chez Monet, elle n’en perd pas moins son audace. Surtout pour son époque, quand l’impressionnisme naît et que les structures, l’ossature de ce qui sous-tend l’œuvre disparaît au profit de la sensation. Forte de cette avancée, Mitchell ose une scansion plus violente, une écriture forte et bien dessinée, pour un mouvement et des couleurs qui ont également la puissance de Van Gogh, peintre qu’elle admire par-dessus tout et à qui elle rend hommage dans son travail. Ses formats sont plus grands et l’on perçoit combien la peinture de Mitchell l’engageait physiquement. Les textures, les coulures sont autant d’expérimentations, comme les effets de fluidité et d’opacité. Une forêt de signes, dans un affranchissement spatial, celui-ci aussi bien pour Monet que pour Mitchell.
Des œuvres dépourvues de ligne d’horizon, même si, répétons-le, chez Mitchell, il s’agit de peinture abstraite, ce sont pour elle aussi des paysages. Les deux artistes sont familiers de poésie. Monet fréquente des écrivains comme Zola, Maupassant, Mallarmé. Joan Mitchell, quant à elle, est proche d’écrivains américains, comme James Schuyler, Franck O’Hara, John Ashberry, et en France de Samuel Beckett. Ajoutons-y des affinités électives avec la musique. Et nous comprenons combien, à travers ce rendez-vous avec ces deux maîtres, dans cette plongée dans la couleur et l’audace, nous avons maintes correspondances qui s’établissent, des rhizomes qui jouent avec la trame des couleurs. Magistral!
Infos
Claude Monet, Joan Mitchell
Jusqu’au 27 février 2023
Fondation Vuitton
8, avenue Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne
Paris
fondationlouisvuitton.fr
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