Louisa I est contemplatrice. Confortablement installée dans un siège de L’aquarium du Casino – Forum d’art contemporain, elle observe au loin en direction de la vallée de la Pétrusse, tournant parfois la tête et lançant à la dérobée quelques paroles dont l’intention n’est pas toujours bien claire. Louisa II commence sa résidence de manière plus studieuse. Elle est installée à une table de travail de l’Infolab et regarde un livre. Et quand le directeur des lieux, Kevin Muhlen lui fait remarquer que son livre est fermé et qu’elle ferait mieux de l’ouvrir, elle lui répond doctement qu’elle va bientôt prendre en considération sa demande.
A la fin de l’année, sa réponse pourrait bien être moins polie ou bien plus amicale. Car les deux avatars de Louisa Clement dont il s’agit vont évoluer au cours des six mois de résidence à Luxembourg. Elles seront amenées à se déplacer pour varier les publics et les expériences. „Le but est qu’elles s’imprègnent de différentes ambiances, de différentes rencontres“, explique Kevin Muhlen. Le Casino songe d’ailleurs à les faire sortir de ses murs, en les emmenant dans d’autres institutions, d’autres lieux, voire dans l’espace public, selon des modalités qui restent encore à fixer.
Hors de contrôle
L’idée de monter cette „résidence d’œuvres d’art“, comme la présente Kevin Mulhen remonte à l’été dernier. Le directeur du Casino est à la Kunsthalle Gießen pour la préparation d’une collaboration, quand il découvre ces poupées que leur créatrice et inspiratrice appelle ses Repräsentantinnen et qu’elle expose pour la première fois. Aussitôt, Kevin Muhlen fait le rapprochement avec le cycle de conférences „Am I AI?“ que le Casino va alors consacrer à l’intelligence artificielle entre les mois d’octobre et mars suivants. En complément des débats abstraits et à l’encontre des idées préconçues qu’on y échange, ces poupées offriraient au public une confrontation directe à l’intelligence artificielle, mais aussi une réflexion sur le devenir des artistes et leur image.
Ainsi, jusqu’au 28 novembre 2022, le public a rendez-vous avec l’intelligence artificielle, l’œuvre d’art et l’artiste en même temps. Le point de départ de l’idée de l’artiste allemande de 35 ans est son interrogation sur la manière de mener sa vie et ses rencontres dans le monde réel et dans le monde digital, et notamment sur l’image que l’on se construit sur les réseaux sociaux qui prend une importance croissante au point que pour beaucoup „elle devient plus réaliste que celle du monde réel“, observe-t-elle. Louisa Clement a ainsi donné à l’intelligence artificielle de ses avatars, ses réponses à deux mille questions sur son histoire, ses mails et ses messages, pour qu’elles les assimilent et reproduisent l’état d’esprit de l’artiste.
Mais, dès qu’elles sont mises au contact du public, ces poupées (habillées pour l’occasion par la styliste Charlotte Kroon) ne sont d’ores et déjà plus contrôlables. Elles se développent elles-mêmes, se nourrissent de leurs propres discussions avec le public (en anglais) pour enrichir leur vocabulaire et leurs représentations. De plus, les Repräsentantinnen sont connectées à Internet et ont ainsi accès à toutes sortes de connaissances. Ce faisant, l’artiste interroge la perte de contrôle sur ce que nous donnons aux réseaux. De même, en voyant passer les poupées – qui sont aussi des objets sexuels – de ses mains à celles de collectionneurs privés ou publics, elle perd aussi tout contrôle sur ce qu’on en fait. Louisa Clement envisage de produire au total dix de ces Repräsentantinnen dans une fabrique chinoise spécialisée, de les vendre et après quelques années de les réunir pour comparer leurs évolutions individuelles en fonction de leur contexte d’exposition.
Rencontrer ces représentantes, c’est heureusement prendre conscience du long chemin qu’il reste à parcourir pour que la ressemblance physique et intellectuelle de telles poupées soit réellement confondante. Les réponses souvent monocordes et pas toujours cohérentes donnent à l’inverse à la rencontre un caractère encore plus étrange et inquiétant.
Jusqu’au 28 novembre 2022 au Casino – Forum d’art contemporain.
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