Klangwelten Autoportraits fragmentés

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Yann Tiersen – Portrait 

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Avec Portrait, Yann Tiersen continue à ne rien faire comme les autres: plutôt que de se fendre d’un Best of qui se contenterait de compiler les tubes, le musicien breton réenregistre une sélection fort intime de ses titres préférés – et y adjoint trois nouveautés qui valent le détour.

„Le fabuleux destin d’Amélie Poulain“ fut à la fois une aubaine et un fléau pour le compositeur d’une bande-son qui allait être mondialement connue. Récemment, alors que je résidais dans un hôtel en Belgique, différents clients se relayaient sur le piano à queue posé à cet effet dans le hall de la réception. Tous, invariablement, nous gratifiaient de leur version de la fameuse „Comptine d’un autre été“ et je me mis à m’imaginer que Yann Tiersen lui-même fût parmi les clients du restaurant où je dînais et par la porte duquel les interprétations bancales et maladroites s’immisçaient. Ce Tiersen imaginaire, je le voyais grincer des dents et maudire la fluidité de la circulation digitale de toute musique.

Comme nombre de titres de Tiersen, la „Comptine“ est minimaliste, raison pour laquelle chacun qui joue un peu du piano s’y lance, la répétition incessante de la composition posant alors la question de l’usure de la beauté sous le coup de la saturation (la musique se rapprochant alors de ce qui fait et défait une relation amoureuse).

Sous ses dehors parfois naïfs, la musique de Tiersen est plus complexe qu’il n’y paraît, son minimalisme dénude, exige une certaine précision, une exactitude qui n’est pas à la portée du premier venu. Pour remettre les pendules à l’heure et prouver que son œuvre ne saurait être réduite aux compositions du film de Jeunet, Yann Tiersen publie, à peine un an après son dernier album „All“, ce „Portrait“ en forme de rétrospective – parmi les 25 titres (qui représentent aussi 25 années de carrière), figurent des titres de la plupart de ses albums antérieurs: de „La Valse des monstres“ (1995) à „All“ (2019) en passant par „Rue des cascades“ (1996), la bande-son d’Amélie Poulain ou encore le disque de piano solo „EUSA“ (2016), le fan de Tiersen se retrouvera, la plupart du temps, en terrain connu.

Pour les réenregistrer, Tiersen s’est enfermé dans son studio sur l’île d’Ouessant, où il vit depuis plusieurs années, et s’est entouré de différents musiciens, le choix de ceux-ci indiquant l’éclecticisme du musicien tout comme la finesse de son goût: sur „Monochrome“, Dominique A est remplacé par Gruff Rhys (des Super Furry Animals), certains titres comme „Introductory Movement“, une ouverture tout en suspensions et silences, bénéficient de la collaboration de Stephen O’Malley, du groupe de métal ambient Sunn O))) (à la Kufa fin janvier), qui apporte son lot de guitares saturées et menaçantes.

En général, le choix des titres est somptueux (l’on y retrouve le sublime „Rue des cascades“, le très beau „Porz Goret“) et les réinterprétations sont souvent meilleures que les versions originales: „The Wire“ est jouée frénétiquement sur un violon tordu et dans „La Dispute“, piano et accordéon se bataillent. Il est seulement dommage que les excursions postrock de Tiersen (sur les deux albums „Dust Lane“ (2010) et „Skyline“ (2011)) soient radiés du parcours, puisque cela aurait permis de montrer encore plus la variété de la palette sonore de Tiersen – en l’état, l’accent est mis sur l’héritage classique, l’influence du folk et de la chanson française, à quoi s’ajoutent les envolées récentes de l’album „All“, peut-être surreprésentées ici, qui rapprochent la musique de Tiersen d’un groupe comme Sigur Rós („Erc’h“) tout en l’ancrant sur le sol breton, et dont on peut parfois regretter une certaine grandiloquence. Signalons enfin les nouveaux titres, parmi lesquels une collaboration avec Blonde Redhead („Closer“, réussie mais un peu trop lisse), et la sublime „Thinking Like a Mountain“, écrite par Tiersen, O’Malley et John Grant, qui aurait pu figurer sur „Dust Lane“ et qui clôt cette rétrospective en beauté tout en ouvrant sur un futur (artistique et écologique) incertain.

8/10

Moments forts: Rue des cascades, The Wire, Monochrome, Thinking Like a Mountain