En 2018, Claude Weber est l’architecte d’un projet musical qui va offrir une nouvelle notoriété à la musique de Helen Buchholtz. Il s’agit d’un disque „Und hab’ so große Sehnsucht doch …“ qui va faire découvrir bien au-delà des frontières du Grand-Duché la plus grande partie du répertoire pour chant et piano de la compositrice. Esch2022 est alors à l’horizon. Quand le pianiste se renseigne et apprend auprès des meilleurs connaisseurs de la musicienne qu’aucun d’entre eux n’envisage de ficeler un projet, il décide de s’y coller. L’année européenne de la culture se déroule dans la ville dans laquelle cette fille de cabaretier et propriétaire d’une quincaillerie est née (en 1877) et a longtemps vécu (jusqu’en 1914). Il serait hautement symbolique de faire revivre son œuvre à cette occasion.
Depuis que la compositrice a été redécouverte à la fin du siècle dernier, c’est surtout par les concerts que son œuvre a été mise au grand jour. Claude Weber décide d’explorer de nouvelles manières de mettre en valeur cette artiste avec laquelle il converse depuis plus de vingt ans. „Je ne voulais pas seulement me concentrer sur elle et sa musique, mais les replacer dans un contexte plus large, de considérer l’époque dans laquelle elle vivait, l’art et la ville d’Esch à cette époque, les manières d’y vivre. Il s’agissait aussi de regarder, au niveau de la musique, ce que d’autres compositeurs faisaient à cette époque dans d’autres pays, dans d’autres cultures“, explique le directeur artistique du „Salon de Helen Buchholtz“.
Le gros de la manifestation sera musical. Claude Weber s’est adressé d’abord à des interprètes luxembourgeois (il accompagnera quatre chanteurs et chanteuses, on entendra aussi Cathy Krier). Pour la musique vocale, il a voulu explorer différents coins d’Europe, différentes langues, différentes approches culturelles, avec une représentante du Bénélux qui n’est autre que Mady Bonert. Les interprètes invités ont eu pour consignes de jouer des pièces composées durant la période d’activité musicale de Helen Buchholtz, à savoir 1900-50. Certains joueront tout de même des pièces plus anciennes ou plus contemporaines, pour montrer les liens dans le temps. Ils ont eu pour obligation d’inclure au moins une œuvre de Helen Buchholtz, ce qui est à voir comme „une sorte de révérence“. Une autre manière de rendre hommage à cette pionnière est de consacrer un tiers de son répertoire à des musiques composées par des femmes. Ce fut un effort pour les uns, un réflexe pour les autres.
140 compositions
La redécouverte de Helen Buchholtz doit beaucoup à une autre musicienne contemporaine, Lou Koster. Le lien entre elles deux, c’est la musicologue et membre du Cid-Femmes (devenu Cid Fraen a Gender depuis), Danielle Roster. À la fin des années 90, elle entreprend un travail de fond sur Lou Koster et déplore lors d’une interview télévisée le peu d’informations disponibles sur l’œuvre d’une autre compositrice luxembourgeoise, de douze ans son aînée, Helen Buchholtz. Et c’est alors qu’apparaît François Ettinger, un des neveux de Buchholtz, âgé de 90 ans, qui au moment de la mort de sa tante en 1953 a sauvé les partitions rangées dans des sacs promis à la destruction. Il les a conservés précieusement et les remet au Cid Fraen a Gender où elles demeurent encore.
C’est depuis cette époque que Helen Buchholtz est entrée dans la vie et dans les oreilles de Claude Weber. Il fut un des premiers musiciens à regarder les 140 compositions sauvées des flammes, à les jouer, les analyser. C’est un exercice de style qu’il pratique encore. „C’est une approche différente de celle qu’on prend quand on joue un compositeur connu. Quand on ouvre ce fonds, on ne sait pas ce qu’il y a dedans. Et quand on joue, on ne connaît pas le style. Il n’y a aucune indication. On peut la comparer à d’autres, mais il faut trouver quel est son langage et comment faire avec“, confie Claude Weber. „Parfois, dans sa musique, il y a une très grande simplicité. Au début, on pense qu’il faut chercher à la rendre plus intéressante. Finalement, on constate que c’est dans la simplicité qu’il faut jouer.“
Si 140 compositions ont été sauvées, on ne dispose que de peu d’informations sur sa vie. Sa biographie présentée sur tablettes lors de l’exposition n’est pas très dense. On sait qu’elle est partie s’installer avant-guerre à Wiesbaden avec son mari docteur et qu’elle est revenue quelques années après, veuve, vivre au et à Luxembourg au milieu des années 1920. On ne sait pas à quel moment de sa vie elle a composé ses œuvres. On sait dater la première („Ave Maria“ en 1913) et la dernière (le Lied „Do’deg Dierfer“, une mise en musique d’un texte d’Albert Elsen en 1949). Mais, si de son vivant, Helen Buchholtz a publié quelques morceaux, les plus populaires, elle a gardé pour elle les plus belles pièces et les plus sérieuses, par crainte peut-être de ne pas trouver son public.
Les textes qu’elle reprenait d’autres, qu’ils soient de Theodor Storm ou de la poétesse allemande Anna Ritter, sont très souvent „du côté de la mélancolie, de la tristesse, de la solitude, avec quelques petites excursions vers des chansons très vives et très gaies“, explique Claude Weber. Quant à sa musique, elle est à l’image de beaucoup de compositeurs de son époque. „Les uns se tournaient vers l’avant-garde et commençaient à faire de la musique atonale, d’autres, comme les membres du néo-classicisme, essayaient de trouver une certaine distance vis-à-vis du néo-romantisme. Le troisième groupe, dont Helen Buchholtz fait partie, est resté fidèle au langage du romantisme tardif de la fin du XIXe siècle. Elle a cherché à trouver dans ce langage sa propre voix et d’affiner son style personnel.“
Un salon imaginaire
On ne sait pas si Helen Buchholtz a tenu ou fréquenté des salons. On peut imaginer qu’elle est souvent passée devant le Bridderhaus – à égale distance entre sa demeure du quartier de la gare et la brasserie que son père ouvre à Lallange en 1893 –, qui accueille le salon imaginaire créé pour accueillir les manifestations autour de sa musique. L’idée était de disposer d’un lieu qui ait un caractère privé où serait intégrée une exposition de toiles tirées de la collection de la ville d’Esch. C’est aussi dans ce salon que se tiendront les visites guidées et les activités pédagogiques autour de la musique.
C’est le photographe Christian Aschmann qui a été chargé de la scénographie. Il a choisi le bleu sur les murs – lequel rappelle d’ailleurs le salon bleu du Cercle municipal à Luxembourg dans lequel Claude Weber et la soprano Mady Bonert ont pour la première fois fait revivre le répertoire de Helen Buchholtz – et les cadres à y accrocher. On y découvre des œuvres d’Eugène Mousset, né d’ailleurs la même année que Helen Buchholtz, de Nico Klopp (1894-1930) ou encore de Marie-Thérèse Kolbach, ainsi qu’une série de vues de rues d’Esch qui dormaient dans les cartons. Les textiles du salon, des tissus anciens, ont été réalisés par la créatrice de mode Laurie Lamborelle.
Tout est ainsi conçu pour donner au Luxembourg la place que Helen Buchholtz a réussi à se forger à l’étranger depuis sa redécouverte. „L’intérêt qui vient de l’étranger est souvent plus spontané, avec moins de préjugés qu’on en a généralement au Luxembourg envers sa propre culture. Quand on s’occupe de notre propre culture, qui est une petite culture, il faut avoir un regard simple et objectif, sans préjugé“, pense Claude Weber. Il ne faut ni sous- ni surestimer Helen Buchholtz. Faire revivre sa musique, c’est le meilleur moyen de couper court aux débats.
Infos
Jusqu’au 22 décembre. C’est le jeudi que se tiendront les manifestations principales consistant en conférences, concerts de musique de chambre, récitals de Lieder, récitals de piano et soirée littéraire. Le riche programme est à consulter sur www.lesalondehelenbuchholtz.lu. Premier rendez-vous, jeudi 29 septembre à 20 h autour de la chanson anglaise avec le contreténor Tim Mead, accompagné de Claude Weber au piano. Des visites guidées sont également proposées, dont la première demain 24 septembre à 15 h au Bridderhaus.
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