Vendredi soir, suite à un coup de grisou, une explosion s’est produite dans une mine à charbon à Bartın, non loin d’Amasra sur la mer Noire. 41 mineurs y ont perdu la vie. Enfant, il m’arrivait d’entendre à la radio, alors que mes parents écoutaient les informations, une référence ou l’autre à un coup de grisou secouant une mine à charbon dans nos régions. C’était rare, mais cela arrivait. Dans mon imagination enfantine, le grisou évoquait une créature assassine sévissant dans les galeries des mines à charbon.
Il est vrai que le mot „grisou“ n’était pas sans rappeler un autre mot effrayant: „grizzly“, l’ursus arctos horribilis, que j’avais appris à craindre en lisant des livres et des bédés sur le Far West. Plus tard, évidemment, j’allais bien finir par apprendre que le grisou n’était pas un monstre mythique réalisant de mauvais coups, mais bien un gaz invisible et inodore qui pouvait exploser accidentellement. Dans nos contrées, c’est en 1985 au Puits Simon à Forbach, qu’eut lieu un tel accident pour la dernière fois. Il coûta la vie à 22 gueules noires.

On a un peu tendance à l’oublier de nos jours, parce que le charbon a si mauvaise presse: Ce sont aussi les sacrifices des mineurs à charbons et de leurs familles qui ont permis de construire une Europe unie et prospère. A l’origine, la Communauté européenne était une communauté du charbon et de l’acier. La littérature reflète cette réalité. Qui n’a pas entendu parler du „Germinal“ d’Emile Zola ou du magnifique „Le jour d’avant“ de Sorj Chalandon? Il y a d’autres romans bien entendu, et pas seulement en Europe.
Dans de nombreux pays, de l’Ukraine à la Chine populaire en passant par la Turquie, les coups de grisou continuent à marquer l’existence des mineurs, alors que les avancées scientifiques et des conditions de travail dignes et adéquates devraient permettre de les empêcher. A Bartın, les autorités ont promis de mener les investigations nécessaires concernant l’explosion dans la mine, d’autant plus qu’elle appartient à un organisme publique, l’Organisation des mines à charbon de Turquie (Türkiye Taşkömürü Kurumu).
Le bémol d’Erdoğan
Toutefois, le président Erdoğan a rapidement mis un bémol à la possibilité d’une amélioration des conditions de travail, en évoquant l’inévitabilité du destin et l’impossibilité d’empêcher ce genre d’accident à l’avenir si tel est le décret divin. Il s’agissait là d’ailleurs d’une rengaine entonnée par le président après chaque catastrophe. Elle n’a guère persuadé les syndicats qui dénoncent l’exploitation effrénée des mines et les conditions de travail souvent désastreuses. Se basant sur les statistiques publiées par Institut des statistiques de Turquie (Türkiye İstatistik Kurumu), de nombreux journaux rappelaient que près de 2.000 mineurs avaient perdu la vie depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002.
Le chef de l’opposition kémaliste Kemal Kılıçdaroğlu, Parti républicain du peuple, lui non-plus, n’était guère convaincu par les promesses et explications du gouvernement: „41 de nos frères ont perdu la vie. Pour l’amour de Dieu, à quelle époque vivons-nous? Pourquoi ces morts massives n’ont-elles lieu qu’en Turquie?“ Il n’était bien entendu pas le seul à être révolté. Dans une déclaration, citée par le quotidien de gauche Birgün, la Chambre des ingénieurs des mines apportait un début de réponse à la question posée par Kılıçdaroğlu: „Le recrutement de nouveaux cadres suite à l’intervention des hommes politiques dans l’administration, les nominations de personnes incompétentes et le fait que l’autorité et les responsabilités des ingénieurs n’ont pas été déterminées de manière adéquate et correcte ont causé de nombreux problèmes et, malheureusement, ont eu pour conséquence cette catastrophe. La science et la technologie minières disposent des connaissances et de l’expérience nécessaires pour empêcher les explosions de grisou. Par conséquent, ces accidents sont évitables. Alors qu’ils devraient se soumettre aux exigences scientifiques et technologiques, le fait qu’ils expliquent la catastrophe en évoquant le destin et la fatalité nous fait penser que de tels accidents se reproduiront à l’avenir.“

Les accidents du travail ne se produisent pas seulement dans les mines. Même à l’époque où l’Union européenne et la Turquie flirtaient durant la première décennie des années 2000, les accidents du travail coûtaient la vie à des centaines de travailleurs chaque année. Dans les mines, les usines, les docks et sur les chantiers. Le combat pour des conditions de vie et de travail décentes sont des combats que nous connaissons bien dans nos contrées aussi. Ils ont aussi fait de l’Europe ce qu’elle est.
Il est grave qu’il faut une catastrophe comme celle de Bartın pour que les médias internationaux abordent la question des conditions de travail et des droits des travailleurs en Turquie. Leur combat est le même que celui des travailleurs en Europe. Ce n’est donc pas une balle en argent ou bien un pieu de bois qu’il faut pour terrasser le grisou, mais bien de la solidarité.
* Le Luxembourgeois Laurent Mignon enseigne la littérature turque à l’université d’Oxford
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