Franklin Pereira est venu sur le tard à la danse hip-hop. Ce professeur de sport avait 35 ans en 2015 lorsqu’il s’est lancé dans la pratique de la danse hip-hop. Et il ne lui aura fallu que quelques années pour arriver en finale du prestigieux concours de battle „Juste debout“ et gagner le blaze de „The Wolf“, pour avoir parcouru en solitaire l’Europe entière à la recherche de compétitions. La capoeira qui lui a fait prendre conscience de sa créativité corporelle, puis le fitness, dans lequel la musique électronique est omniprésente, l’ont mené à pratiquer la dernière des danses hip-hop reconnues comme telle, la house dance. Venue après le locking, le popping, le breakdance, cette dernière est un mélange de styles, qui remonte au temps où les B Boys, danseurs de break, ont dû s’adapter dans les soirées branchées à la house qui régnait en maître.
Mais, à vrai dire, Franklin Pereira a toujours baigné dans le milieu du hip-hop, observateur plutôt qu’acteur, concentré qu’il était sur le football. Si la danse est sans doute la face la mieux acceptée du hip-hop, elle est aussi sans doute la moins bien documentée, car la moins médiatisée. Elle partage aussi le sort de la danse en général, qui vient de la difficulté de sa mise en mots. Pour contourner cette difficulté, la compagnie française Quality street fondée en 1999 par Thierry „Nasty“ Martinvalet a créé une conférence dansée, une histoire de la street dance en paroles, mouvements et musiques. Lorsque Franklin Pereira en 2017 a assisté à l’une d’entre elles, il s’est décidé à importer le modèle. Ce serait à la fois l’occasion de mettre sur pied une véritable performance, mais aussi „d’ancrer une bonne fois pour toutes l’histoire de ce qui s’est passé, comme cela s’est fait partout, qu’on parle tous le même langage, que n’importe qui ne puisse s’autoproclamer pionnier“. „Il faut ,ancrer‘ l’histoire de la danse hip-hop au Luxembourg, pour prendre conscience de la richesse du passé, ne plus avoir besoin de se justifier.“ Car si au Grand-Duché, le hip-hop existe depuis 40 ans, à travers la danse, il est toujours en quête de sérieux pour obtenir les aides financières permettant à ses artistes d’en vivre.
Pionniers eschois
En termes d’histoire du hip-hop luxembourgeois, le rappeur Alain Tshinza, en 2009, avec „Hamilius“ a déjà largement défriché le terrain et fait un premier travail de rassemblement des documents d’archives. Il reste néanmoins beaucoup à dire sur la danse hip-hop en elle-même qui ouvrait ce brillant documentaire de 90 minutes qui brassait l’histoire de l’ensemble de la culture hip-hop au Luxembourg. On y faisait connaissance avec les Cool Brebs, un groupe de danseurs d’Esch-sur-Alzette qui s’entraînaient en 1983 à la galerie commerciale de la rue de l’Alzette. C’est aussi par là que Franklin Pereira fait commencer son histoire de la danse hip-hop au Luxembourg. Il évoque notamment les deux frères Afrika, dont l’aîné, Eddy, en visite chez sa tante, avait découvert cette pratique au Trocadéro à Paris, alors que le passage de la mythique tournée américaine New York City Rap tour avec Afrika Bambaataa notamment aux platines, venait tout juste d’essaimer le hip-hop dans la capitale française.
Eddy a partagé cette danse aussi avec son frère, André, et ses amis du quartier du Brill à Esch. Ce n’est sans doute pas à un hasard que la danse hip-hop, née dans les quartiers populaires, ait pris au Luxembourg dans un quartier ouvrier d’une cité sidérurgique. Les frères Selly ou encore Jerry Libardi, l’un des premiers collectionneurs de hip-hop, ont rejoint le mouvement et constitué donc ces „Cool Breaking robots electric boogie smurfy“, groupe qui aura duré trois ans, prolongé ensuite par Systematic Crew à partir de 1988.
Franklin Pereira parle également des frères Julio et Juliano, issus de la communauté capverdienne qu’il a connue à travers ses sœurs à Bonnevoie et qu’une vieille photo montre aux côtés des mythiques Benny B. Il s’intéresse aussi aux lieux mythiques du rap dans les années 90, le Byblos et le Métropolis où l’on allait danser, le centre Hamilius où l’on allait s’entraîner. Dans une première partie de sa conférence dansée qu’il a présentée en avril dernier aux Rotondes, il a également évoqué l’âge d’or du hip-hop luxembourgeois, la période 1993-98 et l’année phare 1997, les danseurs Dany Boy et Alex Lopes, les crew MNS et MQP.
Suite à cette première conférence dansée centrée sur la période 1980-2000 organisée avec le soutien de l’„Institut fir lëtzebuergesch Sprooch- a Literaturwëssenschaft“ de l’Université du Luxembourg, The Wolf a obtenu un soutien plus appuyé de l’université. Cela lui donnera une légitimité et une force de frappe supplémentaires, pour convaincre les protagonistes de cette histoire de la pertinence du sujet et réunir matériel et témoignages. Cette collaboration offrira de nouvelles capacités de recherches dans les médias. Cela devrait lui libérer du temps pour penser au caractère chorégraphique de ses conférences d’un nouveau genre. Il songe à des reconstitutions à partir de documents d’époque.
Il aura alors fait le boulot de transmission qui lui est cher. „Le hip-hop a tout englobé. C’était un art de vivre. Les personnes vivaient cette culture. Il faut en prendre conscience“, explique-t-il. „Il y a des gens qui, aujourd’hui, sont entrés dans le hip-hop de différentes manières. On peut aller dans une école de jazz et prendre un cours de hip-hop. On y entre plus seulement par la rue, mais il est important d’avoir cette trace culturelle, que les personnes qui veulent continuer à véhiculer et transmettre cette culture, aient accès aux informations. Sinon c’est comme si on n’avait jamais existé.“
Block Party
Le festival „50 years of hip hop“ se déroule les 24 et 25 juin aux Rotondes, organisé par les associations Art in Motion, De Läbbel, HHBEL, K+A Bourglinster, Knowedge (à laquelle appartient Franklin Pereira) et I love Graffitti. Samedi 24: workshops (tag, graffiti, rap, DJ et danse), DJ set et concerts (dont le rappeur américain Jeru The Damaja, le beatboxer luxembourgeois Slizzer et le DJ français Cut Killer). Dimanche 25 : Battle de danse On S’en Fish, workshops (graffiti, rap et beatbox), et DJ sets.
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