LuxFilmFest„Jumbo“ retrace les amours d’une jeune objectophile

LuxFilmFest / „Jumbo“ retrace les amours d’une jeune objectophile
Malgré le manque d’innovation on attendra avec curiosité les prochaines œuvres de la réalisatrice Zoé Wittock Photo: dpa/Gregor Fischer

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Présenté au World Cinema Dramatic du 36e festival de Sundance et à la section Generation 14plus de la 70e Berlinale, le premier film de Zoé Wittock, une coproduction entre la Belgique, le Luxembourg et la France, retrace les amours d’une jeune objectophile avec un manège de parc d’attractions.

C’est en s’intéressant à l’histoire vraie d’une Américaine qui s’est éprise de la Tour Eiffel et a fini par l’épouser en 2007, devenant ainsi Madame Eiffel, que la réalisatrice belge Zoé Wittock a trouvé l’inspiration pour son premier film. L’objectophilie est en effet un phénomène bien réel, qui désigne l’amour et l’attirance sexuelle et/ou spirituelle d’un être humain pour un objet inanimé. Une idée qui était déjà présente dans les vers de Lamartine („Milly ou la Terre natale (I)“ extraits de „Harmonies poétiques“) que cite le film: „Objets inanimés, avez-vous donc une âme/ Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer?“ 

Jeanne est une jeune femme introvertie qui habite encore chez son excentrique et envahissante mère Margarette. Un rôle qui rappelle le personnage d’Isabelle Huppert dans „Copacabana“ de Marc Fitoussi, et qu’Emmanuelle Bercot semble prendre beaucoup de plaisir à jouer. Passionnée de manèges, Jeanne travaille dans un parc de fête foraine où elle prend soin des manèges la nuit, les lustrant et veillant sur eux, tout en ramassant les détritus laissés par la foule. Le jour, seule dans sa chambre, elle reproduit les machines aimées en modèles réduits composés de fil de fer, sous la lumière diffuse des guirlandes colorées dont elle s’éclaire. Lorsqu’un nouveau manège, le „Move It“ fait son apparition dans le parc, Jeanne lui donne le petit nom de „Jumbo“ et se découvre des sentiments d’une étrange nature à son égard …

Noémie Merlant („Portrait de la jeune fille en feu“) confirme son talent dans l’interprétation de la timide Jeanne qui fait pour la première fois l’expérience d’un bouleversement émotionnel. L’aspect le plus intéressant du film est d’ailleurs là, dans l’exploration que fait Jeanne du plaisir et du transport amoureux, dans son rapport à elle-même et à sa propre sensualité. Mais la nature de sa relation l’empêche de pouvoir simplement s’abandonner au bonheur: elle doit trouver sa place et son identité face aux conventions de la société, apprendre à affirmer ses valeurs et ses convictions face à sa mère qui, malgré sa relative marginalité, condamne cet amour différent.

Le film ne parvient pas à tenir ses promesses

L’idée était prometteuse et la matière riche pour un premier long-métrage. Malheureusement, malgré une direction d’acteurs et une réalisation habiles, le film ne parvient pas à véritablement tenir ses promesses en matière de narration. Extrêmement classique, le traitement de l’histoire suit la structure habituelle d’un conte de fées à happy end, sans nourrir de réflexion plus profonde sur ce qu’un tel récit raconte de notre société, de ses normes, conformismes et rejets. Qui plus est, plusieurs ellipses narratives empêchent le lecteur de véritablement suivre le voyage émotionnel de la jeune Jeanne: si les moments forts de cette histoire d’amour singulière sont bien mis en scène et en images, on regrette de passer très rapidement d’un point clef au suivant, sans qu’il nous soit donné le temps ou l’espace de vivre avec l’héroïne l’évolution de ses sentiments et idées.

Ces choix de narration vont jusqu’à créer certaines incohérences dans le récit – pourquoi Jeanne désire-t-elle présenter aussi rapidement sa mère à la machine, alors que rien ne l’y oblige et qu’elle entretient avec Margarette des rapports compliqués? Pourquoi ne prend-elle pas le temps de savourer le plaisir de sa relation à Jumbo loin de tous et sans contrainte aucune? Et pourquoi, lorsque les choses se compliquent sous son toit, s’aligne-t-elle sur les idées de sa mère, alors qu’elle est en profond désaccord avec elle? Pourquoi laisse-t-elle un homme la couvrir de reproches, alors qu’elle n’entretient pas de véritable relation amoureuse avec lui?

Un tel comportement pourrait s’expliquer par le fait que Jeanne est une „adulescente“ et le film un „coming-of-age“, mais le fait de passer d’un rebondissement à un autre sans donner aux sentiments le temps de mûrir finit par nous détacher du personnage et de son histoire. L’originalité du récit réside avant tout dans son idée fondatrice, mais celle-ci ne suffit malheureusement pas à créer un propos véritablement neuf, et les thématiques abordées ne sont pas suffisamment creusées pour déboucher sur d’autres réflexions plus riches. Zoé Wittock a cependant su s’entourer d’actrices courageuses, dont le talent et la juste interprétation convainquent. Si l’on reste sur sa faim en matière de narration et d’innovation pour ce premier film, on attendra toutefois avec curiosité les prochaines œuvres de la réalisatrice.