Expos croiséesMirage et silence: Sali Muller et Julie Wagener à Dudelange

Expos croisées / Mirage et silence: Sali Muller et Julie Wagener à Dudelange
„Der Moment, in dem sich alles dreht“ (2019) de Sali Muller Photo: Sali Muller

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Avec Sali Muller, il est question de dispositifs réflecteurs (dont le miroir). Avec Julie Wagener, c’est de peinture dont il s’agit, et d’enfermement. C’est à voir à Dudelange. Attention, fragile!

Marlène Kreins tient désormais les rênes des deux centres d’art de Dudelange; après l’automnale exposition d’hommage à Dominique Lang et à son époque, dans le cadre du centenaire du décès du peintre dudelangeois (1874-1919), elle enchaîne avec deux propositions (féminines), arrimées toutes deux aux notions/dimensions d’auto-réflexion, de temps et de fragilité, mais explorées de manière totalement différente.

Bien que traditionnellement dévolu à la photographie contemporaine, c’est une jeune peintre que le Centre d’art Nei Liicht accueille actuellement, à savoir Julie Wagener, née en 1990 à Bogota, illustratrice de formation (à Saint-Luc, Bruxelles), déjà récompensée d’un Luxembourg Design Award en 2019 et remarquée au Salon du CAL 2019 pour ses huiles „Take Shelter“ qui charrient par les mains – gros plans sur des doigts décharnés et recroquevillés – les stigmates de notre société malade: l’épuisement et la solitude.

L’aliénation de l’individu

Ici, à Dudelange, pour sa première exposition monographique „Spheres of Silence“, Julie Wagener frappe fort en échancrant le pathétique constat de la détresse et de l’aliénation de l’individu par une galerie de portraits en buste: mains crispées, phalanges scarifiant les bras, visages émaciés et cireux, yeux vides, autant de caractéristiques physiques qui trahissent l’état intérieur, la fragilité mentale et sociale d’un personnage „collectif“ – dans lequel chacun peut se reconnaître –, à ce point muet qu’il rend son angoisse assourdissante.

L’accrochage est économe – huit tableaux en tout – mais d’autant plus puissant. Avec des noirs profonds, des ombres jetées sur les plis et drapés, histoire de noyer davantage encore la figure „précipitée par la trappe ouverte dans le néant“. Voilà qui n’est pas sans rappeler les insomnies d’un Vélasquez ou les visions apocalyptiques d’un Francis Bacon. En résulte que Julie Wagener nous tend un miroir existentiel.

Miroirs

Et ça tombe bien, c’est aussi le propos de Sali Muller, autre arpenteuse de l’histoire de l’art. Et donc, dans le second espace d’exposition, celui du Centre d’art Dominique Lang, tout commence par … le miroir, cet agent narcissique coupable de reflets et donc de fausses vérités. C’est le miroir de la marâtre du conte de Grimm (Blanche-Neige), c’est surtout l’objet minimal, éminemment décoratif, dont la matérialité quasi sculpturale est héritée de l’artiste américain Robert Morris (1931-2018).

Partant de là, Sali Muller met en scène un jeu de surfaces en polycarbonate, colorées mais transparentes, toutes suspendues comme un palais des glaces mobile, permettant au quidam qui passe de dupliquer sa silhouette. Ainsi, l’installation „Der Moment, in dem sich alles dreht“ (2019) est une expérience, optique et sensorielle: c’est une œuvre de lumière qui plonge le corps dans l’espace et le temps, qui flirte avec les métamorphoses, qui aussi nourrit le flou entre le réel, le virtuel et le surréel.

Nuages et poésie de l’éphémère

Dans la foulée, Sali rameute Magritte qui adorait regarder par la fenêtre, à commencer par les nuages, ces incarnations de l’imaginaire en transit et de la poésie de l’éphémère, avec le bleu et blanc de l’enfance, ce temps révolu où germent les frustrations d’aujourd’hui. Concrètement, ça donne „Wolkenbilder“ (2019), un „tableau“ mouvant, une installation vidéo – composée de quatre écrans superposés “en décalé“, comme un rêve inassouvi – où les nuages blancs défilent à l’identique dans l’azur, comme pour mettre en question les apparences et le sens caché des images.

Le travail de Sali Muller, c’est un processus esthétique, qui séduit autant qu’il déroute; c’est un langage métaphorique, c’est un goût pour la perception ambivalente et pour le pouvoir d’épiphanie des objets.

Infos

A Dudelange: Julie Wagener, „Spheres of Silence“, peinture, jusqu’au 23 février au Centre d’art Nei Liicht; Sali Muller, „Here and There/Ici et là“, installation, jusqu’au 23 février au Centre d’art Dominique Lang. Expos ouvertes du mercredi au dimanche de 15.00 à 19.00 h.