Théâtre„Le poisson belge“ de Léonore Confino au TOL

Théâtre / „Le poisson belge“ de Léonore Confino au TOL
Claude (Julie Allain) et Claude (Régis Laroche) créeront un univers espiègle, ludique et loufoque

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Deuxième production d’une saison consacrée à l’enfance, à la mort et au deuil, „Le poisson belge“ est une pièce poétique à la fois drôle, tendre et mélancolique sur le deuil, la désillusion et la différence. Si elle souffre de quelques problèmes de rythme et d’un texte trop peu subtil, la mise en scène sensible d’Aude-Laurence Biver et l’excellent jeu des acteurs en font un spectacle à voir.

Un vieil homme grincheux (Régis Laroche) est assis sur un banc. Une jeune fille (Julie Allain), enjouée, l’aborde. Elle attend ses parents, qui n’arrivent pas. Très vite, elle essaie de l’embobiner. Lui ne se laisse pas berner – „je déteste les clodos qui font semblant d’attendre leurs parents“, lui lancera-t-il.

Après qu’elle eut prétexté souffrir d’une faim terrible, il se résigne et l’invite à son appart, ce qui, à une époque où Vanessa Springora parle, dans son livre „Le consentement“, de la relation qu’elle eut à 14 ans avec l’écrivain Gabriel Matzneff alors que celui-ci avait plus que le triple de son âge, pourra paraître incongru.

Il le lui dira d’ailleurs: „Il y a des vieux qui font des trucs terribles aux enfants“, à quoi la jeune fille, avec ce mélange d’insolence et de naïveté qui la caractérisera tout au long de la pièce, répondra: „Ah, vous voulez dire des trucs vers le bas?“, récusant immédiatement cette perspective en ajoutant que „non, ça n’est vraiment pas mon genre“.

Le dialogue s’engage alors, d’abord heurté, teinté de méfiance et d’insultes („vous avez un cœur de merde“), puis de plus en plus fluide, intime, confidentiel. Le vieux, qui s’appelle Claude mais qu’elle baptisera Grande monsieur, veut d’abord se débarrasser de l’enfant, cherchant clandestinement, alors que la jeune fille dort, à joindre ses parents, craignant surtout que la présence de la jeune fille ne fasse basculer un quotidien organisé au millimètre, alors qu’elle, qui s’appelle également Claude, mais que lui appellera Petit fille, inspectera son appartement avec méfiance et minutie, trouvant son odeur „correcte sans plus“, critiquant son aménagement jusqu’à l’assortiment culinaire de la cuisine, peu ragoutant à vrai dire.

Une „vieille croûte“ empathique

Lui a la gueule cassée de qui en a fini avec la vie et ne se soucie plus guère de son apparence physique, même s’il garde des soucis d’élégance vestimentaire, ce dont témoigne un look de dandy déglingué. Un jour, il rentre d’un rencard avec un œil au beurre noir – Petit fille apprendra qu’il aime à se faire taper dessus et lui proposera, malicieuse, qu’elle pourra tout aussi bien s’en charger.

Elle a l’air d’une créature maritime issue du dernier film de Guillermo del Toro, avec sa casquette qui lui donne l’air d’une créature aquatique ne sachant, sur terre ferme, que frétiller avec maladresse et frénésie. Elle a toute l’insolence de la jeunesse, se dit née poisson, souffre de troubles respiratoires qui lui feront croire qu’elle est équipée de branchies et qu’en l’occurrence, elle ne peut que respirer convenablement sous l’eau.

Elle se dit fascinée par les monstres marins et les hommes-troncs et, alors qu’elle prendra un bain dans la magnifique salle de bain de Grande monsieur, aura peur d’être aspirée sous l’eau par une pieuvre. Claude sénior ne la croira évidemment pas – mais se montrera cependant étonnamment préoccupé quand il verra que sa noyade semble bien réelle.

Au fur et à mesure de la pièce, les deux se confieront l’un à l’autre – lui parlera de la fille qui, depuis sa plus jeune enfance, grandit en lui, des habits de femmes qu’il revêt depuis toujours et qui ont conduit ses parents, puis ses amis, puis ses partenaires à le rejeter, l’amenant à se construire un cocon fait de silences, de solitude et de mauvaise humeur.

Elle parlera de ses parents, tous deux psychanalystes, „des malades mentaux de la bouche“ et, dans un moment d’anthologie où Julie Allain déploie tout son talent, mimera de façon effrayante, à la fois ridicule et triste, l’une des discussions entre les deux géniteurs – un moment repris en écho, mais en moins drôle (c’est toujours plus rigolo quand les parents, en plus d’être des connards, sont aussi psychanalystes) à la fin de la pièce par Régis Laroche.

Drôle, espiègle et mélancolique

Ensemble, ils construiront un univers fait d’espièglerie, de blagues de gamins (hilarante scène très peu PC pendant laquelle Petit fille livrera un mode d’emploi efficace pour se débarrasser d’un revendeur d’une assurance-habitation assez tenace) et de mélancolie. Cet univers repose sur une amitié touchante, qui tient dans l’excellent jeu d’acteur de Julie Allain, tourbillon énergétique, tout entière en raillerie, bouderie et lucide naïveté et celui de Régis Laroche, on ne peut plus juste dans un renfermement blessé et une mélancolie solitaire.

C’est ce jeu d’acteur d’ailleurs qui, combiné à d’ingénieuses et délicates idées de mise en scène, une belle scénographie signée Anouk Schiltz, qui transforme l’appartement du vieil homme en une sorte d’antre sous-marin, et une bande-son reliant entre elles les différentes scènes (et dont les différents extraits paraissent un brin courts), sauve un texte parfois trop simple, trop réducteur.

Tout d’abord, le revirement du vieil homme grincheux en ersatz paternel sensible se fait un peu trop vite. Si la pièce est un hymne à l’altérité, cet hymne est assez bruyant – le message est asséné de façon trop ostentatoire et le texte, lors de ces passages, verse parfois dans la simplicité. Ainsi, quand Petit fille balance à Grande monsieur qu’il „aime les hommes“, il répondra: „J’aime les humains.“ 

Enfin, le coup de théâtre final est assez grossier – l’on se doutait déjà de ce qui allait survenir et l’on aurait mieux fait de tout simplement la couper, cette fin, laissant alors le spectateur dans la fameuse hésitation par laquelle Tzvetan Todorov définissait le fantastique, un entre-deux qui aurait permis de laisser planer le doute quant à la nature ontologique des relations unissant les deux personnages.

Malgré ces quelques réserves quant au texte de Confino, „Le poisson belge“ est une belle aventure poétique, un huis clos touchant, empreint de réalisme magique, dont la finesse aurait mérité une fin plus délicate.

Info

Où: au TOL
Durée: 80 minutes
Quand: le 18, 30 janvier et le 8 et 14 février à 19.00 h, le 28, 29, 31 janvier et le 6, 7, 12 et 13 février a 20.00 h, le 9 février à 17.30 h
À voir pour: le jeu des acteurs, l’humour loufoque
Qui: Léonore Confino (texte), Aude-Laurence Biver (mise en scène), Dana Calimente (assistante à la mise en scène), Juliette Allain et Régis Laroche (acteurs), Anouk Schiltz (scénographie), Benjamin Zana (création musicale).

La scénographie d’Anouk Schiltz est fort réussie
La scénographie d’Anouk Schiltz est fort réussie