Théâtre documentaireRéenchanter le monde: „Is There Life on Mars?“

Théâtre documentaire / Réenchanter le monde: „Is There Life on Mars?“
Les témoignages de personnes autistes et de leur entourage sont transmis en direct dans les casques des acteurs, qui leur donnent voix sur scène

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Montée à partir d’une centaine de témoignages, „Is There Life on Mars?“ entend montrer l’univers intérieur des autistes tout en mettant fin aux clichés attelés au sujet. Un pari réussi, grâce à un dispositif ingénieux, une scénographie inventive et un jeu d’acteur dénué de pathos.

Au départ, Héloïse Meire voulait mettre en scène une pièce qui questionnerait l’idée même d’une norme. Car, comme le fait valoir l’un des témoins qui interviennent dans la pièce, quand on est trop petit, dans un train, on peut éprouver du mal à caler sa valise au-dessus du siège alors que, quand on est trop grand, les genoux ne manqueront pas de heurter le dos du siège devant vous et votre taille de géant vous obligera à des contorsions peu agréables.

Très vite pourtant, cette exploration d’une altérité qui nous touche tous – car qu’est-ce qu’une norme sinon une moyenne pondérée abstraite, qui dans la vraie vie ne colle à personne – a amené la metteuse en scène à s’intéresser à cette „autre réalité qu’est l’autisme“ et à réaliser que, malgré certains traits définitionnels scientifiques communs, il y avait „autant d’autismes et de vécus de l’autisme que de personnes autistes“ – raison pour laquelle il faut d’ailleurs parler de Trouble du spectre de l’autisme (TSA).

En début de pièce, une des actrices arpente la salle du théâtre d’Esch. Dans la pièce, elle recueille des définitions – qu’est-ce que l’autisme, pour vous, demande-t-elle. Quelques minutes plus tard, les quatre acteurs – Muriel Clairembourg, Jean-Michel d’Hoop, Léonore Frenois et François Regout – reprendront une partie de ces bribes définitionnelles, mettant à jour le malaise qu’on éprouve généralement à définir l’autisme. Chacun sait vaguement de quoi il en retourne – mais quand il s’agit de mettre des mots dessus, voilà que les choses deviennent plus malaisées. „Un handicap cérébral“, dira l’un, „une perception différente de la vie“, balbutie un deuxième, „une prison, un enfermement“, tentera encore un autre.

Définir par l’empathie

Plutôt qu’une définition scientifique, „dont vous trouverez mille versions sur Internet“, fait remarquer l’une des comédiennes, le spectacle donne à vivre, à travers les témoignages de personnes autistes et de leurs familles, les différentes formes d’autisme et la difficulté qu’ont les personnes atteintes d’un TSA tout comme leur entourage à vivre avec leur trouble.

Ainsi, les parents de Tom se rappellent comment le médecin de leur fils tournait autour du pot, n’osant énoncer le diagnostic à haute voix. À la fin, ce furent les parents eux-mêmes qui mirent un mot sur ce dont souffre leur fils: „Vous voulez dire qu’il est autiste“, s’exclameront-ils.

Josef, 34 ans, raconte comment, quand il était jeune, l’on savait peu de choses sur les TSA, certains médecins allant jusqu’à qualifier les autistes de débiles, ce qui est, comme la pièce le montre, on ne peut plus loin de la vérité. Laconique, il dira: „Je suis né le même jour, la même année que Britney Spears, c’est dire que les choses ont mal commencé“ avant de poursuivre avec humour: „Il y a un pourcent de personnes autistes en Belgique, ça représente bien plus que la communauté germanophone.“ 

Amelia, 46 ans, évoque son hypersensibilité, l’agression sensorielle qu’elle ressent face aux lumières néon, aux bruits environnants: „Quand pour vous, c’est Mozart, pour moi, c’est Wagner.“ À l’issue d’un des multiples entretiens rejoués sur scène, l’on demande à Yoann, 17 ans, s’il lui importe d’ajouter quelque chose. Le jeune homme, désemparé, conclura: „Ma vie est quand même difficile.“

Comme des scientifiques sur une base spatiale, les quatre comédiens captent, dans leurs casques, les témoignages recueillis, transmis en direct puis rejoués, remodulés, incorporés sur scène. Puisque certains autistes, comme l’indique la metteuse en scène dans sa note d’intention, se décrivent eux-mêmes comme des martiens infiltrés dans notre société, tout se passe sur scène comme si les quatre comédiens avaient dirigé leurs antennes empathiques vers le ciel afin de capter et de traduire les témoignages venus de cette autre planète, étrange et fascinante.

„Like Antennas to Heaven“

Comme les acteurs n’ont pas retenu par cœur les paroles des témoins, il y a une large part d’improvisation dans leur jeu, part qu’ils maîtrisent fort bien, ne versant ni dans l’hyperbole ni dans une distance par trop respectueuse qui n’aurait pas collé au sujet. Ils deviennent ainsi les porte-paroles des témoins, modulent leur voix et corps, qu’ils mettent au service des témoignages recueillis, dans une malléabilité admirable: ils ne forcent pas le trait et restent dans la sobriété, réduisant ainsi l’altérité de départ – parler d’une autre planète implique une distanciation, une mise à l’écart des autistes – à une simplification ironique.

Depuis peu, le théâtre d’Esch, sous la direction de Carole Lorang, fait la part belle à un théâtre documentaire qu’on retrouve assez rarement dans les autres salles du pays – alors que la Compagnie du Grand Boube avait, il y a quelque temps de cela, mis l’accent, dans „Success Story“, sur des personnes ayant grandi dans des foyers d’aide à l’enfance et avant qu’une production maison ne se focalise, en fin de saison, sur le quotidien de frontalières au Luxembourg, la compagnie belge „What’s Up“ recourt à des documents pour mettre en scène ce qui dans une fiction aurait peut-être été dénaturé, excessivement structuré.

Il est évidemment délicat de parler d’un tel trouble quand on se retrouve entre acteurs non atteints d’un TSA jouant sur scène devant un public largement épargné par ce même trouble: l’on risque de verser ou bien dans le didactisme, ou alors dans l’excès de bienséance respectueuse ou encore dans une empathie facile, où les personnes autistes deviennent un prétexte pour susciter de l’émotion sur scène. Rien de tel ici, grâce notamment au caractère documentaire de la pièce, au jeu des acteurs, au montage habile, au recours à la danse, à la vidéo et au son (l’on retrouve, entre autres, du Mozart, du Bowie et une belle chanson de Belle & Sebastian).

Un dispositif multimodal

Si le pathos est évité, c’est aussi dû à un dispositif scénique de toute beauté – un pan multimodal, découpé en carrés et rectangles de tailles différentes et ressemblant tantôt à un tableau de Mondrian, devient tour à tour surface de projection, mur à escalader, chambre où s’isoler, vitrine d’exposition à admirer – à un moment donné, sont projetés différents objets et symboles sur les rectangles, suggérant la saturation hétéroclite du cerveau d’un des témoins, plus tard, l’univers intérieur d’une autre personne fan de Star Wars y est figurée. C’est sur cette multimodalité du dispositif signé Cécile Hupin que repose toute l’ingéniosité de la pièce.

Parfois seulement, l’accent sur le caractère transcendant et thérapeutique de l’art en général et du théâtre en particulier paraît trop peu nuancé: quand Yoann parle de ses gestes incontrôlés et qu’il fait suivre sa description verbale de quelques preuves à l’appui, Muriel Clairembourg reprend ses gestes en écho – et les deux de se mettre à danser une danse désordonnée, qui n’est pas sans rappeler les agitations sur scène d’un Thom Yorke.

Ailleurs pourtant, le caractère analytique, ravageur et créatif de la vision du monde des personnes atteintes d’un TSA surgit – quand Josef fait valoir qu’il lui est difficile de jouer la comédie sociale (et qu’il se mettra, dans une chorégraphie réussie, à vouloir mimer le comportement d’autrui), il révèle le caractère absurde de nos us et coutumes. Là où nous avons pris l’habitude, conditionnés que nous sommes, de considérer nos rites comme normaux, les comédiens nous amènent à nous interroger sur l’altérité et l’étrangeté qui siège au cœur même de nos pratiques les plus communes – suggérant aussi qu’il y a d’autres façons d’être au monde, parmi lesquelles nos normes sociétales ne constituent qu’une forme de vie conventionnelle et, souvent, soporifique.

Info

La pièce est reprise au Mamer Kinneksbond le 30 janvier à 20 heures. La soirée à Mamer est présentée en collaboration avec le Centre pour enfants et jeunes présentant un Trouble du spectre de l’autisme (CTSA), Autisme Luxembourg asbl et le Théâtre d’Esch. Sous le Haut Patronage de Leurs Altesses Royales le Grand-Duc et la Grande-Duchesse.

Armand
12. Januar 2020 - 13.05

"Sous le Haut Patronage de Leurs Altesses Royales le Grand-Duc et la Grande-Duchesse." Na dann lieber nicht.