L’histoire du temps présent: Mai 58 en France

L’histoire du temps présent: Mai 58 en France

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Il y a exactement 60 ans, le général de Gaulle revenait au pouvoir en France et fondait un nouveau régime. Mais contrairement à Mai 68, Mai 58 n’est pas commémoré. La Cinquième République a vu le jour dans des conditions lourdes de non-dits qui continuent de peser sur la société française.

Vincent Artuso

En France, Mai 68 est commémoré religieusement chaque année. Mai 58 est en revanche plutôt oublié. Il a pourtant eu un impact plus déterminant encore dans l’histoire française. Les événements qui se sont déroulés à partir du 13 mai 1958 ont permis à Charles de Gaulle de revenir au pouvoir et d’instaurer une constitution toujours en vigueur aujourd’hui. Voilà donc typiquement le genre d’épisode passé dont on fête l’anniversaire. Seulement voilà, celui-ci a un sérieux défaut: Mai 58 a été un putsch militaire maquillé in extremis en transition démocratique par ceux-là mêmes dont le pouvoir était abattu. Tout cela sur fond de conflit colonial et de menaces de guerre civile.

La crise commence à une époque où la France se perçoit comme une nation pluricontinentale ou, en l’occurrence, comme une nation pluricontinentale menacée de dissolution. Son Empire colonial a commencé à s’effondrer au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Des soulèvements en Afrique du Nord, au Cameroun, à Madagascar ont été réduits dans le sang. En 1954, après l’humiliante défaite de Diên Biên Phu, les Français doivent cependant quitter l’Indochine et, deux ans plus tard, ils lèvent leurs protectorats sur le Maroc et sur la Tunisie.

L’Algérie, c’est la France!

Entre-temps, les indépendantistes algériens ont à leur tour repris les armes. Or l’Algérie, selon les Français, c’est la France, non pas une colonie mais l’extension du territoire métropolitain sur le sol africain. Conquise à partir de 1830, découpée en départements depuis 1848, ses habitants sont français. Mais, pour paraphraser Orwell, certains Français y sont plus égaux que d’autres. Les 9 millions de musulmans qui y vivent à la fin des années 1950 ne sont pas des citoyens à part entière mais des „sujets“ français. D’un point de vue juridique, ce statut est dû au fait qu’ils ne sont pas soumis au Code civil mais au droit islamique.

Pour pouvoir devenir citoyen français à part entière, un „Français musulman d’Algérie“ – telle est la désignation officielle – doit se placer sous juridiction française. L’écrasante majorité des musulmans s’y refuse. Cela dit, le million d’Européens d’Algérie, les „pieds-noirs“, ne souhaitent pas forcément partager ses droits et privilèges avec les indigènes. L’Etat français n’a jamais fait preuve non plus de sa volonté d’assimiler la majorité des habitants des départements d’Algérie. Pourtant il y a un précédent. A la fin du 19e siècle, les juifs d’Algérie se sont vu octroyer la nationalité française de plein droit par décret.
L’Algérie est donc un territoire où les contradictions de la République française ne sont pas seulement visibles mais déterminent le quotidien. Avec la guerre, elles vont rejaillir sur la métropole. A l’exception des communistes, tous les partis politiques y sont hostiles à l’indépendance. „L’Algérie, c’est la France!“, déclare un jeune ministre de l’Intérieur, François Mitterrand, en 1955. Deux ans plus tard, le socialiste Guy Mollet confie à l’armée les pleins pouvoirs civils et militaires en Algérie. Si les autorités françaises optent pour la force elles essaient aussi de rattraper le temps perdu et d’aligner l’Algérie sur la métropole. D’ambitieux programmes économiques, sociaux et scolaires sont lancés et l’assimilation des musulmans est proclamée comme objectif.

La Quatrième République n’est nullement passive mais ses gouvernements ont la vie courte et l’armée, comme les pieds-noirs, se défient foncièrement des partis politiques. Au début du mois de mai 1958, ils perçoivent la nomination de Pierre Pflimlin à la tête d’un nouveau gouvernement comme une provocation, soupçonnant ce chrétien-démocrate alsacien de vouloir négocier avec les indépendantistes du Front de libération nationale. L’annonce de l’exécution par le FLN de trois soldats français finit par mettre le feu aux poudres.

Le coup d’Etat

Le 13 mai, le Gouvernement général, siège de l’administration française en Algérie, est pris d’assaut par une foule de pieds-noirs et un Comité de salut public est formé avec la bénédiction du général Raoul Salan, le chef de l’armée française en Algérie. La présidence en est confiée à un autre militaire, le général Jacques Massu, un gaulliste convaincu. Si Pflimlin appelle au respect de l’ordre républicain il se garde d’intervenir.
Les putschistes lancent un appel au général de Gaulle, qui prend la parole le 19 mai. Au cours d’une conférence de presse, durant laquelle il refuse de condamner les événements d’Alger, l’ancien chef de la France libre fait savoir qu’il est prêt à reprendre les rênes. Aux journalistes qui s’inquiètent de la préservation des libertés publiques, il rétorque qu’il les a restaurées en 1944 et tente de les convaincre par un argument spécieux, mais qui fait rire sur le moment: „Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur?“

Cinq jours plus tard, des parachutistes venus d’Algérie s’emparent d’Ajaccio et un autre Comité de salut public est instauré en Corse. Il s’agit de la première phase de l’„Opération Résurrection“. La seconde prévoit une opération aéroportée en région parisienne et la prise des centres de pouvoir. Les militaires d’Alger donnent à Pflimlin jusqu’au 29 mai pour démissionner. Dans la nuit du 27 mai, ce dernier rencontre un de Gaulle qui, une fois de plus, refuse de condamner les putschistes et se présente comme la seule alternative à la guerre civile.

Pflimlin est convaincu que cette discussion n’est qu’une première prise de contact. De Gaulle le prend de court en publiant, immédiatement après leur entretien, un communiqué dans lequel il déclare avoir commencé à former un gouvernement. Le 28 mai, un jour avant l’arrivée à échéance de l’ultimatum, René Coty, le président de la République annonce finalement „sa“ décision de nommer de Gaulle président du Conseil, c.-à-d. premier ministre. Le 1er juin, l’Assemblée nationale entérine cette décision. Deux jours plus tard elle donne à de Gaulle les pleins pouvoirs qu’il réclamait pour réformer les institutions. „C’est parce que le Parlement s’est couché qu’il n’y a pas eu de coup d’Etat!“, résumera Pierre Mendès-France.

Colombey-les-Deux-Mosquées

Les non-dits de l’époque continuent de peser sur l’attitude ambigüe qu’a la société française envers la constitution voulue par de Gaulle. Mitterrand y voyait un Coup d’Etat permanent, qui donne un pouvoir démesuré au président de la République aux dépens du gouvernement et de l’Assemblée nationale. En accédant à la fonction, il s’est néanmoins gardé de l’altérer. Comme beaucoup de Français, il a fini par apprécier la marge de manœuvre et la stabilité que les institutions gaulliennes offrent à l’exécutif, ainsi que leur capacité à tenir à distance du pouvoir le parti communiste puis le Front national. C’est le fonctionnement particulier de la Cinquième République, à la fois démocratique et autoritaire, à la fois républicain et monarchique, qui a permis à un libéral pro-européen comme Emmanuel Macron de prendre le pouvoir, à contre-courant de la tendance à l’œuvre un peu partout dans le monde.

Les événements de Mai 58 ont fait de la France une monarchie élective, ils en ont aussi fait une nation européenne. Car si les partisans de l’Algérie française ont permis à de Gaulle de s’emparer du pouvoir, lui-même ne croyait pas en cette cause. Il ne croyait pas non plus en la possibilité d’assimiler les musulmans d’Algérie. „Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante?“, aurait-il confié à son ministre et mémorialiste Alain Peyrefitte: „Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Eglises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées“.
En 1961, 75% des électeurs français, interrogés par référendum, ont dit „oui“ à l’autodétermination, ouvrant la voie vers l’indépendance. Suivant leur président, ils ont fini par trancher le vieux débat entre universalisme républicain et nationalisme de type européen, en se prononçant pour la seconde option. A une nation multiethnique et pluricontinentale ils ont préféré, pour reprendre là encore des termes attribuées par Peyrefitte à de Gaulle une nation „de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne“.

Le divorce par consentement mutuel, obtenu par de Gaulle, a levé la vieille contradiction coloniale mais créé de nouveaux malentendus dans une France qui a choisi d’être française au sens étroit, tout en accueillant des centaines de milliers d’Algériens qui avaient pour leur part choisi de faire de leur pays une nation islamique et arabe. Quant à la droite nationaliste, elle a été radicalisée et marginalisée par la défaite avant de s’unifier plus tard autour d’un ancien député et para en Algérie, Jean-Marie Le Pen.