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Une étude sur le public des muséesMauvaises habitudes

Une étude sur le public des musées / Mauvaises habitudes
La fréquentation des musées reste le plus souvent une pratique de gens aisés Photo: archives Editpress/Didier Sylvestre

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Une étude commandée par le ministère de la Culture montre que la fréquentation des musées est encore largement conditionnée par le niveau d’études, l’origine sociale et le lieu de vie. La réponse la plus couramment donnée par ceux qui ne se rendent pas au musée est: „Je n’ai jamais pris l’habitude d’y aller.“ Cela démontre à la fois les lacunes de l’école dont l’influence positive est par ailleurs établie, mais aussi peut-être à faire sur le contenu et la médiation pour briser cette fatalité.

Le „Kulturentwécklungsplang 2018-28“, en sa recommandation numéro 47, proposait de réaliser une enquête sur les pratiques culturelles du pays, avec une périodicité de dix ans. Dans ce qui n’est en fait qu’un premier volet de cette enquête, le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (Liser) a limité son intérêt au public des musées en 2021. Pandémie oblige, l’enquête fut réalisée par un questionnaire rempli en ligne, et non par des entretiens qualitatifs comme ce fut le cas lors des précédentes éditions. De même, les questions portaient sur les pratiques de la période mars 2019 à mars 2020, avant deux années qui allaient bouleverser les pratiques. 

Sur les 12.000 enquêtes envoyées à un échantillon représentatif de la population, 1.995 ont été complétées et retournées. Le premier constat est que la fréquentation des musées progresse. 60% des répondants contre 50% en 2009 et 40% en 1999 ont visité un musée dans l’année (à noter que la visite d’un site ou d’un lieu industriel chargé de mémoire plafonne à 29%). Mais dans le détail de la participation, il n’y a par contre pas de révolution copernicienne observée. „Cela a malheureusement confirmé ce qu’on pensait“, a commenté la ministre de la Culture, Sam Tanson, lors de la présentation de l’étude.

Les écarts de participation entre catégories sociales restent toujours grands. La fréquentation des musées augmente avec le niveau de formation. Les écarts de participation vont du simple au double entre les personnes avec une formation du primaire et celles avec une formation du supérieur long (35% contre 82%).  On retrouve de semblables écarts en explorant d’autres critères fortement associés au niveau de scolarité, comme la catégorie socioprofessionnelle, le revenu, mais aussi la région de résidence. 

De l’habitude à l’habitus

Cette absence de nouveauté se retrouve d’ailleurs dans l’ancienneté du concept de capital culturel employé dans l’explication de ces divergences. „Le capital culturel opère une polarisation sociale à deux niveaux: d’une part entre public et non public et, d’autre part, au sein du public dans les intensités de pratiques et les variétés de pratiques“, constate l’étude. „Ainsi, les classes socialement favorisées sont surreprésentées au sein du public des musées par rapport aux classes sociales les moins favorisées. En outre, les franges les plus diplômées et les plus favorisées du public des musées sont aussi celles qui fréquentent les catégories de musées les plus emblématiques de la culture que sont les musées d’art, et particulièrement les musées d’art moderne.“ Le capital culturel est une notion largement employée par le sociologue français Pierre Bourdieu dans les années 70 et particulièrement pour décrire les stratégies de distinction qu’opèrent les classes dominantes à travers la culture officielle.

Pierre Bourdieu a aussi montré comment l’école est une force de reproduction des classes sociales. Mais, l’étude du ministère, en l’espèce, rappelle plutôt qu’elle fait partie de la solution que du problème, puisqu’elle est à même de gommer en patrie les effets de ces différences de cette inégale répartition des richesses culturelles. La fréquentation des musées à l’âge adulte est fortement dépendante des habitudes prises durant l’enfance. Si les parents jouent un rôle important pour faire découvrir les musées aux enfants, l’école a une place plus grande dans la fréquentation des musées à l’âge adulte. 63% des personnes qui fréquentent les musées les fréquentaient déjà avec leurs écoles.

Mais dans les détails de l’étude, on observe aussi que tous les élèves ne sont pas égaux dans leur accès au musée à travers l’école. Puisque 42% des personnes avec un niveau de formation du primaire ne visitaient pas de musée avec l’école contre 10% de celles avec un niveau du supérieur long. En des termes bourdieusiens non employés par l’étude, on peut se demander si des enseignants de certaines écoles ne renoncent pas à emmener certains élèves au musée, parce qu’ils considèrent que ce n’est pas leur univers, leur place. 

Le manque d’habitude est la première explication donnée par les personnes qui n’ont fréquenté aucun musée entre mars 2019 et mars 2020. Venaient ensuite, dans des proportions semblables (proches des 50%), le manque d’information, le manque de temps, la fatigue après le travail, mais aussi, justement, le fait qu’ils ne se sentent pas au musée „dans [leur] univers“. L’étude parle pour cette dernière réponse „d’éloignement symbolique des institutions muséales“. Le coût du billet n’arrive qu’en huitième position et concerne 21% des non-usagers (moins d’un résident sur deux connaît ou utilise d’ailleurs les options de prix réduits des musées). „Dans l’ensemble, les réponses illustrent la notion d’habitus mise en évidence par Bourdieu dans les années 70, à savoir que les obstacles à la fréquentation des musées relèvent bien plus du champ culturel et symbolique que des obstacles matériels“, lit-on encore dans l’étude.

Le fait que 70% des moins de 30 ans disent manquer d’information sur l’offre proposée, laisse penser que les musées ne doivent pas concentrer leur communication sur les réseaux sociaux dont les fameuses bulles empêchent d’atteindre de nouveaux publics.  

Tout comme le public, le non-public demande prioritairement une meilleure diffusion des actualités sur les musées, mais dans une proportion moindre (35%). Un tiers estime que rien de particulier ne serait susceptible de le faire. Comme s’ils en excluaient définitivement l’idée. „Le plus grand défi est d’attirer le public qui ne vient pas. On n’y parviendra pas par la communication, mais avec l’éducation, avec l’école et l’aide des associations“, estime la ministre Sam Tanson.

„Ouvrir les portes“

L’étude n’aborde pas ou peu la question du contenu des musées et de leur médiation. La peur de franchir le palier (treshold fear) est toutefois nourrie par l’impression que la culture présentée dans les musées n’est pas la sienne ou qu’on n’en dispose pas des codes et qu’on ne veut pas vivre la mauvaise expérience de se le faire remarquer. 

Porte-parole du réseau afrodescendant Finkapé et membre du conseil d’administration du Mudam, Antonia Ganeto est particulièrement attachée à l’accès du plus grand nombre à la culture. Il faut selon elle réussir à amener le public en famille dans les musées. Le prix est un critère à ne pas négliger à son goût. La gratuité est „une clé pour démocratiser“. Il faut ensuite agir sur la pédagogie. „L’univers n’est pas lisible pour certains. Ils n’ont pas le capital culturel, ni les codes pour déchiffrer ce qui est proposé.“ Les musées devraient avoir une approche pédagogique, de vulgarisation pour donner les outils pour accéder à un certain langage, proposer des dossiers pédagogiques et des approches de vulgarisation par des médiateurs culturels.

Antonia Ganeto accorde à l’école un rôle primordial et „pas assez pris au sérieux“ pour créer des ponts. Il faut créer beaucoup plus de liens entre écoles, musées et centres culturels, créer des passerelles, produire du va-et-vient. Mais le musée est aussi un lieu qui n’échappe pas à une entreprise de décolonisation chère à Finkapé. „Il faut veiller à une pluralité d’univers qui correspondent aux sociétés“ et ouvrir les portes à d’autres artistes qui de prime abord ne se verraient pas là.“ Et alors le grand public pourrait se dire que le musée est un lieu où il a sa place.