Michael Rakowitz dit de son travail qu’il se situe quelque part „à l’intersection entre la résolution des problèmes et la création de troubles“. La première monographie française que lui consacre le FRAC Lorraine (niché dans le splendide quartier de la cathédrale, ce qui ne gâche rien) démontre combien son œuvre ne renonce à aucune complexité, sans pour autant être entravé dans la production d’un discours limpide, sur l’histoire, son accès, ceux qui en détruisent ou en manipulent les traces.
L’artiste et universitaire cherche plutôt à faire renaître des traces du passé, non pas à l’identique, mais en recourant à des matériaux qui permettent à ses copies d’échapper aux conditions de destructions de leurs modèles dont ils ne veulent être rien d’autre que des parents pauvres. Michael Rakowitz s’intéresse au territoire de ses ancêtres et de son grand-père paternel Juif irakien, qui, en 1946, décide de quitter son pays pour rejoindre l’Illinois. Il s’empare de l’histoire de ce pays, depuis les temps immémoriaux et faussement glorieux de la Mésopotamie, jusqu’au saccage de ses trésors par le sinistre Etat islamique. Les déplacements de populations, les destructions et pillages, appropriations et accumulations, embargo commercial et restitutions constituent la toile de fond de sa recherche artistique, comme l’explique le guide de médiation de l’exposition.
Cette dernière commence avec de nombreuses pièces tirées d’un projet au long cours débuté en 2007 et intitulé „The invisible enemy should not exist“. Le projet n’est pas près de s’achever, puisqu’il consiste à faire œuvre d’une mémoire bancale en réalisant les répliques de 8.000 pièces détruites ou déplacées du musée national de Bagdad. Pour réaliser ses répliques dans son atelier de Chicago, Rakowitz se base sur des descriptions scientifiques reprises de l’Université de Bagdad et recourt à des matériaux liés à la culture arabe aux Etats-Unis et notamment des emballages de produits alimentaires, de médicaments, de journaux. Michael Rakowitz conçoit ces œuvres comme des „fantômes“ qui viennent hanter les musées occidentaux. Leur présentation sur socles et tiges rappelle d’ailleurs celle d’œuvres parvenues jusqu’aux Etats-Unis à l’époque coloniale. C’est cette sacralisation qui a rendu la circulation commerciale de ces objets profitable et rendue donc aussi possible les pillages.
L’artiste est bien placé pour savoir que la présence d’objets irakiens en Occident a pu et peut encore être rassurante pour les Irakiens et Irakiennes en exil, qui ont là l’occasion de retrouver une partie de leur culture. Mais ceux qui en profitent restent une minorité, puisque, rappelle-t-il aussi, les objets d’Irak sont traités avec plus d’intérêt que les personnes qui en viennent. Le travail de l’artiste renvoie bien évidemment à la question très présente des appropriations et des restitutions de biens étrangers. Il lui est d’ailleurs arrivé de conditionner sa participation à une exposition à la restitution d’un bien mal acquis.
En 2018, à Trafalgar Square, Michael Rakowitz avait reconstitué un dieu protecteur sumérien en pierre, un Lamassu, détruit trois ans plus tôt par l’Etat islamique, à partir de boîtes de dattes. A Metz, c’est son projet de reproduction grandeur nature des panneaux monumentaux, qui figuraient dans le palais construit par le roi assyrien Assurnasirpal II à Nimroud et détruit par les mêmes zigotos en 2015, qu’on nous donne à voir.
Tous ces nouveaux artefacts sont décrits avec la précision muséologique qu’il se doit, mais sont aussi accompagnés de citations d’archéologues ou de destructeurs comme Donald Rumsfeld, pour exprimer soit le chagrin, soit le cynisme.
Réplique de soldat
Michael Rakowitz travaille également avec la vidéo et la photographie pour mieux renouer ses liens avec ses racines et proposer des perspectives de décolonisation. Son documentaire, „Return“ (lancé en 2004 et lui aussi symboliquement encore en cours) conte la réalisation d’une idée qui lui est survenue suite à la destruction des structures d’échange à cause de la guerre en Irak. Il a décidé de rouvrir, 40 ans après sa fermeture, une société d’import et export qui avait fait la fortune de son grand-père dans les années 50 et 60. Avec le budget du projet artistique, il a proposé à des ressortissants de la communauté irakienne, d’envoyer gratuitement des objets en Irak. Il voulait illustrer les difficultés logistiques et les moyens détournés d’envoyer et recevoir à et d’un pays occupé par un autre. Au moment où l’embargo s’achève, pour documenter l’absence de produits labellisés produits en Irak, il documente le voyage du sirop de dattes irakien estampillé made in Lebanon à son arrivée au Liban. Cela l’amène à se lancer dans une tentative tumultueuse et dûment documentée d’acheminer la première commande de dattes irakiennes passée depuis 40 ans.
Dans un film ironique, „The Ballad of Special Ops Cody“, il explore aussi le paradoxe de l’émigré nostalgique sans réellement envisager de retour. Le document d’une quinzaine de minutes prend pour point de départ un incident survenu en 2005, quand un groupe d’insurgés publie une photo de la prise d’otage d’un soldat américain qu’ils veulent échanger contre la libération de prisonniers irakiens. L’armée ne retrouve d’abord pas le John Adam dont il s’agirait, puis remarque que le soldat est en fait une poupée plus vraie que nature que l’on vend sur les bases militaires américaines du Koweït et en Irak, à l’attention des enfants dont le papa se trouve sur le champ de bataille. Encore une histoire de substitution, pourrait-on dire. La métaphore est d’ailleurs filée dans le film, puisque la poupée y devient un héros animé qui se rend dans les collections de l’Oriental Institute de l’Université de Chicago, qui coopère avec le musée national d’Irak depuis les années 30. Là, elle rencontre des statues votives mésopotamiennes, emportées à l’époque coloniale, et leur offre de rentrer chez elles. Mais les statues pétrifiées refusent.
Comme une suite logique de sa démarche, au mur d’une des salles d’exposition, Michael Rakowitz a affiché une initiative administrative conçue comme un geste artistique, par laquelle il veut faire établir la qualité diasporique d’une de ses œuvres. Le but est qu’elle appartienne à un musée britannique et à un musée irakien pour qu’elle ne soit jamais chez elle dans aucun lieu.
Pour finir le passage par le FRAC Lorraine, un détour par l’espace „Degrés Est“ dédié aux artistes de la région Grand Est reste dans une thématique similaire. C’est cette fois entre France et Algérie que le cœur de l’artiste présentée balance. Ouassila Arras s’interroge sur ce qu’est habiter un lieu. Elle y évoque la destinée mélancolique de ceux qu’on appelle des chibanis, des immigrés algériens venus dans les années 60, pensant un jour repartir, mais qui finalement passent leur retraite entre hommes, en foyer, dans une grande précarité matérielle et affective. Pour évoquer leur histoire, elle a recouvert les murs de l’espace d’argile qui, en s’effritant, devient henné au sol, transporté par les chaussures des visiteurs, dont on ne sait au juste s’ils se font porteurs d’une histoire jamais racontée ou s’ils viennent de la piétiner.
Infos
Jusqu’au 14 août au 49 Nord 6 Est – FRAC Lorraine / 1 bis, rue des Trinitaires, Metz (du mardi au vendredi de 14 à 18 h et les samedi et dimanche de 11 à 19 h, entrée gratuite).
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